Cour d’appel administrative de Versailles, le 7 février 2025, n°23VE02385

Par un arrêt en date du 7 février 2025, la Cour administrative d’appel de Versailles s’est prononcée sur le refus de renouvellement d’un titre de séjour opposé à un ressortissant étranger, père de plusieurs enfants français. En l’espèce, un individu de nationalité malienne, titulaire d’un titre de séjour en qualité de parent d’enfant français, avait sollicité le renouvellement de ce titre auprès de l’autorité préfectorale. Cette dernière a rejeté sa demande par un arrêté du 26 mai 2023, assortissant cette décision d’une obligation de quitter le territoire français. Le requérant a alors saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, qui a rejeté sa demande par un jugement du 12 octobre 2023. L’intéressé a interjeté appel de ce jugement, soulevant d’une part son irrégularité, et d’autre part, sur le fond, le bien-fondé de son droit au séjour, arguant notamment de sa contribution à l’entretien et à l’éducation de ses enfants. Le problème de droit posé à la cour portait ainsi sur les conditions d’appréciation de la contribution effective d’un parent à l’entretien de ses enfants français comme condition d’obtention d’un titre de séjour, et sur l’étendue du contrôle du juge sur la proportionnalité d’une mesure d’éloignement au regard du droit à la vie privée et familiale. La Cour administrative d’appel a d’abord annulé le jugement de première instance pour une irrégularité de procédure, avant d’user de son pouvoir d’évocation pour statuer directement sur la requête. Sur le fond, elle a rejeté la demande, considérant que les preuves de la contribution effective à l’entretien des enfants n’étaient pas suffisamment établies et que le refus de séjour ne portait pas une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale du requérant.

Cette décision illustre d’abord la fonction du juge d’appel comme garant de la régularité procédurale avant de confirmer, sur le fond, une approche exigeante quant à la preuve des liens familiaux (I). Ensuite, l’arrêt réaffirme une conception stricte des conditions légales du droit au séjour, qui prime sur une appréciation extensive des droits fondamentaux invoqués (II).

I. L’office du juge d’appel : entre censure procédurale et appréciation souveraine

La Cour administrative d’appel exerce pleinement son rôle en contrôlant la régularité du jugement de première instance avant de statuer elle-même sur l’affaire. Elle sanctionne ainsi une défaillance procédurale des premiers juges (A), puis use de son pouvoir d’évocation pour assurer une bonne administration de la justice (B).

A. La censure de l’omission de statuer comme garantie d’un procès équitable

Le juge d’appel veille scrupuleusement au respect par les juridictions du premier degré de leur obligation de répondre à l’ensemble des moyens soulevés par les parties. En l’espèce, la cour constate que les premiers juges ont failli à cette obligation. Elle relève en effet que « Les premiers juges n’ont pas répondu à ce moyen, qui n’était pas inopérant. Le jugement attaqué est dès lors entaché d’irrégularité et doit être annulé ». Cette annulation pour vice de procédure rappelle que le silence du juge sur un argument qui n’est pas dénué de pertinence constitue une violation du droit à un recours effectif et du principe du contradictoire. La solution, classique, réaffirme que la validité d’une décision de justice repose non seulement sur la justesse de sa solution, mais aussi sur la rigueur de son processus intellectuel, qui doit démontrer que toutes les facettes du litige ont été considérées.

B. Le pouvoir d’évocation comme instrument de célérité de la justice

Après avoir annulé le jugement, la cour aurait pu renvoyer l’affaire devant le tribunal administratif. Elle choisit cependant de statuer directement sur la demande, considérant qu' »Il y a lieu pour la cour d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A… ». Ce faisant, elle met en œuvre son pouvoir d’évocation, qui lui permet, lorsque l’affaire est en état d’être jugée, de trancher elle-même le fond du litige. Cette technique procédurale répond à un impératif de bonne administration de la justice en évitant des délais supplémentaires qu’impliquerait un renvoi. Le juge d’appel se substitue ainsi entièrement au premier juge, examinant l’ensemble des moyens de légalité interne et externe dirigés contre l’arrêté préfectoral, ce qui le conduit à une analyse complète des conditions du droit au séjour du requérant.

Ayant ainsi purgé le litige de son vice procédural, la cour examine les conditions de fond du droit au séjour, adoptant une interprétation rigoureuse des textes applicables.

II. L’appréciation rigoureuse des conditions de fond du droit au séjour

Sur le fond, l’arrêt se caractérise par une application stricte des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (A), laquelle conduit à une mise en balance restreinte de l’ingérence administrative au regard des droits fondamentaux (B).

A. L’exigence d’une preuve matérielle et continue de la contribution parentale

Le cœur du litige réside dans l’interprétation de l’article L. 423-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui subordonne la délivrance du titre de séjour à la preuve d’une contribution effective à l’entretien et à l’éducation de l’enfant. La cour procède à une analyse factuelle méticuleuse des éléments fournis par le requérant. Elle juge que celui-ci « n’établit pas par les pièces qu’il produit la réalité de ses allégations, dès lors qu’il se borne à produire, au titre des mois de janvier et février 2022, deux relevés de virements bancaires n’indiquant pas le nom du bénéficiaire ainsi qu’une attestation de la mère des enfants, et au titre de l’année 2023, quatre attestations de virement bancaire dont l’un est postérieur à la date de l’arrêté préfectoral attaqué ». Cette approche démontre que la simple allégation ou des preuves jugées équivoques, sporadiques ou postérieures à la décision attaquée sont insuffisantes. L’adjectif « effectif » est ainsi entendu comme exigeant des preuves tangibles, régulières et traçables de l’implication matérielle du parent, particulièrement en l’absence de vie commune.

B. La proportionnalité de l’atteinte à la vie privée et familiale subordonnée à l’effectivité des liens

Face aux moyens tirés de la violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’intérêt supérieur de l’enfant, la cour effectue un contrôle de proportionnalité. Elle met en balance le droit au respect de la vie privée et familiale du requérant et les objectifs d’ordre public poursuivis par la décision de refus. Or, l’insuffisance des preuves de contribution à l’entretien des enfants vient directement affaiblir la consistance du lien familial invoqué. La cour en conclut que « le préfet du Val-d’Oise n’a pas porté d’atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de M. A… en prenant l’arrêté litigieux ». De même, elle écarte le moyen tiré de l’atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant au motif que le requérant « n’établit pas la réalité des liens qu’il entretient avec ses enfants présents en France ». Cet arrêt confirme une jurisprudence constante selon laquelle la protection de la vie familiale n’est pas absolue ; son intensité dépend de la solidité et de la réalité des liens factuels qui la sous-tendent, dont la preuve incombe au demandeur.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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