Par un arrêt en date du 7 janvier 2025, la Cour administrative d’appel de Versailles a statué sur la légalité d’une mesure d’éloignement et d’une interdiction de retour sur le territoire français. En l’espèce, un ressortissant algérien, entré irrégulièrement en France en 2019, s’était rendu dans les locaux d’une préfecture sur convocation pour déposer une demande de titre de séjour. Il y fut interpellé et fit l’objet, le même jour, d’un arrêté préfectoral l’obligeant à quitter le territoire français sans délai, assorti d’une interdiction de retour de trois ans. Saisi par l’intéressé, qui invoquait notamment son mariage récent avec une ressortissante française, le tribunal administratif de Versailles avait rejeté sa demande d’annulation par un jugement du 13 avril 2023. Le requérant a interjeté appel de cette décision.
La question de droit posée à la cour était double. D’une part, il s’agissait de déterminer si l’autorité administrative pouvait légalement édicter une obligation de quitter le territoire à l’encontre d’un étranger en situation irrégulière au moment même où celui-ci engageait des démarches de régularisation. D’autre part, la cour devait apprécier si une interdiction de retour de trois ans, fondée sur une unique condamnation passée et le maintien en situation irrégulière, ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’intéressé, marié à une citoyenne française.
La Cour administrative d’appel de Versailles répond de manière différenciée à ces deux interrogations. Elle confirme la légalité de l’obligation de quitter le territoire français, considérant que ni la procédure d’interpellation ni le dépôt d’une demande de titre de séjour ne peuvent y faire obstacle. En revanche, elle annule l’interdiction de retour sur le territoire français, jugeant cette mesure disproportionnée au regard de la situation familiale du requérant et des faits qui lui sont reprochés. Cette décision illustre ainsi une application rigoureuse des conditions d’édiction d’une mesure d’éloignement (I), tempérée par un contrôle approfondi de la proportionnalité des sanctions qui l’accompagnent (II).
I. La validation rigoureuse de la mesure d’obligation de quitter le territoire
La cour confirme la légalité de l’obligation de quitter le territoire en se fondant sur une stricte séparation des contentieux et une interprétation restrictive des droits de l’étranger sollicitant sa régularisation. Elle écarte ainsi toute influence des conditions de l’interpellation sur la légalité de l’acte administratif (A) et refuse de conférer un effet protecteur au simple dépôt d’une demande de titre de séjour (B).
**A. L’indifférence des conditions de l’interpellation sur la légalité de la décision administrative**
Le requérant soutenait que son interpellation résultait d’un procédé déloyal, la convocation en préfecture pour le dépôt de son dossier ayant servi de prétexte à son arrestation. La cour écarte ce moyen en rappelant une distinction fondamentale entre la procédure judiciaire et la procédure administrative. Elle juge que « les conditions d’interpellation, de retenue ou de garde à vue, dont il appartient au seul juge judiciaire de connaître, sont sans incidence sur la légalité de la décision du préfet ». Cette position réaffirme le principe de l’autonomie du droit administratif et du contentieux de l’éloignement.
La légalité de l’arrêté préfectoral s’apprécie uniquement au regard des motifs de droit et de fait qui le fondent, en l’occurrence la situation irrégulière de l’étranger. Les éventuelles irrégularités entachant l’interpellation ne peuvent vicier la décision administrative elle-même, laquelle repose sur des critères objectifs prévus par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. La cour se refuse ainsi à exercer un contrôle sur une procédure qui ne relève pas de sa compétence, maintenant une frontière étanche entre le contrôle de l’action de police administrative et celui de l’action de police judiciaire.
**B. Le refus de reconnaître un effet suspensif à une demande de régularisation**
L’étranger faisait valoir que la décision d’éloignement ne pouvait être prise sans un examen préalable de sa demande de titre de séjour. La cour rejette cet argument en s’appuyant sur une jurisprudence constante et en citant sa propre logique juridique. Elle énonce que « le seul dépôt d’une demande de titre de séjour ne saurait faire obstacle à ce que l’autorité administrative décide d’obliger à quitter le territoire français un étranger » se trouvant dans un des cas prévus par la loi, notamment celui d’une entrée et d’un séjour irréguliers.
Cette solution confirme que la démarche de régularisation n’ouvre pas une période de protection pour l’étranger en situation irrégulière. Tant qu’un droit au séjour n’est pas légalement constitué, l’autorité administrative conserve sa pleine compétence pour prononcer une mesure d’éloignement. La cour précise que la seule exception concerne les cas où « la loi prescrit l’attribution de plein droit d’un titre de séjour », situation dans laquelle le requérant ne se trouvait pas. En agissant de la sorte, le juge administratif préserve l’efficacité des politiques de lutte contre le séjour irrégulier, en évitant que la procédure de régularisation ne devienne un instrument dilatoire.
Si la cour valide la légalité de l’obligation de quitter le territoire, elle adopte une approche distincte pour l’interdiction de retour en exerçant un contrôle plus approfondi.
II. Le contrôle de proportionnalité comme limite à la rigueur administrative
La Cour administrative d’appel de Versailles censure l’interdiction de retour sur le territoire français en se livrant à une analyse concrète de la situation du requérant. Elle examine avec attention la réalité des liens personnels et familiaux de l’intéressé (A) pour conclure au caractère disproportionné de la sanction qui lui a été infligée (B).
**A. La prise en compte de la réalité des liens personnels et familiaux**
Pour apprécier l’atteinte portée au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la cour ne s’arrête pas au caractère récent du mariage ou à la situation irrégulière de l’étranger. Elle examine les pièces produites, y compris celles postérieures à l’arrêté, pour constater que « la majeure partie des documents qu’il fournit (…) permettent d’établir la réalité de sa relation conjugale ». Cette démarche pragmatique témoigne de la volonté du juge de ne pas se contenter d’une appréciation formelle.
De plus, la cour minimise la portée de l’argument du préfet relatif au trouble à l’ordre public. Elle relève que l’intéressé « n’a été condamné qu’une fois, en 2021, à un emprisonnement délictuel de deux mois pour usage et tentative d’obtention frauduleuse de faux document administratif ». En replaçant cette condamnation dans son contexte, unique et non récente, le juge en réduit la gravité et la pertinence pour justifier une mesure aussi sévère qu’une interdiction de retour de longue durée.
**B. La sanction d’une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale**
Forte de cette analyse factuelle, la cour procède à une mise en balance des intérêts en présence. D’un côté, l’intérêt général de la défense de l’ordre public et de la maîtrise des flux migratoires ; de l’autre, le droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale, matérialisé par un mariage réel avec une ressortissante française. Au terme de ce contrôle de proportionnalité, la cour conclut que « l’interdiction de retour sur le territoire français d’une durée de trois ans prise à son encontre porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale du requérant ».
Cette annulation partielle illustre parfaitement le rôle de rempart du juge administratif dans la protection des droits fondamentaux. Tout en reconnaissant la légitimité de l’action administrative en matière d’éloignement, il rappelle que les sanctions accessoires doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées au but poursuivi. En l’espèce, la durée de trois ans est jugée excessive au regard de l’intensité des liens familiaux et de la faible gravité du trouble causé à l’ordre public. La décision démontre que la situation administrative d’un étranger ne le prive pas de la protection garantie par la Convention européenne, le juge se devant d’examiner chaque situation dans sa singularité.