Cour d’appel administrative de Versailles, le 7 juillet 2025, n°25VE00557

Un patient, hospitalisé en octobre 2003 pour une intervention chirurgicale programmée sur son genou, a contracté une infection durant son séjour. Cette infection a entraîné des complications multiples et persistantes, aboutissant à une dégradation notable de son état de santé et à une mobilité très réduite. Le patient et ses proches ont alors engagé une action en justice pour obtenir réparation des préjudices subis.

La procédure contentieuse a connu plusieurs étapes. En première instance, par un jugement du 13 juillet 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a reconnu la responsabilité de l’établissement hospitalier et a alloué des indemnités substantielles à la victime et à sa famille. Saisie en appel, la cour administrative d’appel de Versailles a, par un premier arrêt du 15 décembre 2023, réduit le montant de ces indemnisations. Cette décision a cependant été annulée par le Conseil d’État le 18 février 2025 pour un motif de procédure, sans examen du fond de l’affaire, qui a été renvoyée devant la même cour. L’établissement hospitalier et son assureur maintenaient que leur responsabilité devait être atténuée, notamment en raison du comportement de la victime qui n’aurait pas suivi toutes les préconisations médicales, et contestaient l’évaluation des préjudices. Inversement, la victime et ses proches, ainsi que l’organisme de sécurité sociale, demandaient une réévaluation à la hausse des sommes allouées.

Il revenait donc à la cour administrative d’appel, statuant après renvoi, de déterminer dans quelle mesure un établissement hospitalier doit réparer les conséquences dommageables d’une infection nosocomiale lorsque l’état de santé du patient était déjà altéré avant l’infection et que son comportement ultérieur est mis en cause.

Par sa décision du 7 juillet 2025, la cour administrative d’appel de Versailles juge que l’établissement est entièrement responsable des conséquences de l’infection, sans qu’une faute de la victime puisse être retenue pour diminuer son droit à réparation. Cependant, elle considère que le préjudice indemnisable ne correspond pas à l’intégralité du dommage corporel, mais à une perte de chance d’obtenir une amélioration de son état de santé, qu’elle fixe à soixante-quinze pour cent. En conséquence, la cour procède à une nouvelle évaluation de chaque chef de préjudice en appliquant cet abattement, et écarte notamment toute indemnisation au titre des préjudices professionnels, estimant le lien de causalité non établi.

La décision circonscrit ainsi le périmètre de la réparation en combinant une conception rigoureuse de la responsabilité hospitalière (I) avec une application stricte de la théorie de la perte de chance, dont les effets sur l’indemnisation sont significatifs (II).

I. Une responsabilité de principe affirmée, un préjudice réparable redéfini

La cour administrative d’appel commence par réaffirmer avec force le principe de la responsabilité de plein droit de l’établissement hospitalier pour les infections nosocomiales, écartant toute idée de faute de la victime. Elle module toutefois la portée de cette responsabilité en appliquant le mécanisme de la perte de chance pour définir le préjudice réellement imputable à l’infection.

A. Le rejet de l’exonération partielle liée au comportement de la victime

L’établissement de santé cherchait à s’exonérer d’une partie de sa responsabilité en arguant que le patient n’avait pas suivi certaines prescriptions médicales, contribuant ainsi à l’aggravation de son propre dommage. La cour écarte ce moyen de défense de manière catégorique et pédagogique. Elle retient que le comportement de la victime, à le supposer même avéré, est sans incidence sur l’étendue de l’obligation de réparation de l’hôpital. Le raisonnement des juges s’appuie sur une analyse logique de la causalité.

En effet, la cour énonce qu’une telle circonstance « ne saurait être de nature à exonérer l’hôpital de tout ou partie de sa responsabilité, dès lors que ces traitements n’auraient pas été nécessaires en l’absence d’infection et de prise en charge défaillante de celle-ci ». Par cette formule, elle rappelle que la faute initiale, à savoir l’infection nosocomiale et sa gestion défaillante, est la cause première et déterminante de l’ensemble des dommages. Les éventuelles négligences ultérieures de la victime dans son parcours de soins ne peuvent rompre ce lien de causalité ni justifier un partage de responsabilité, car elles s’inscrivent dans une chaîne de conséquences directement issue de la faute de l’établissement. Cette solution est protectrice pour les victimes et conforme à une jurisprudence constante qui n’admet que très restrictivement la faute de la victime comme cause d’exonération en matière de responsabilité médicale.

B. La requalification du dommage en perte de chance d’amélioration

Après avoir posé le principe d’une responsabilité entière, la cour s’attache à définir avec précision la nature du préjudice directement imputable à l’infection nosocomiale. C’est sur ce point que la décision opère un ajustement majeur. Les juges considèrent que l’état de santé du patient était déjà sérieusement compromis avant l’intervention de 2003, en raison d’un accident du travail survenu en 1993 et de multiples interventions chirurgicales antérieures. Le rapport d’expertise est ici déterminant, puisqu’il indique qu’en l’absence de l’infection, « le patient aurait inévitablement évolué vers une aggravation de la pathologie de son genou ».

Dès lors, le préjudice indemnisable n’est pas le dommage corporel final, mais la perte de la chance d’obtenir, grâce à l’opération de 2003, une amélioration, même temporaire, de son état ou, à tout le moins, d’échapper à l’aggravation causée par l’infection. La cour évalue souverainement cette perte de chance à soixante-quinze pour cent. Cette approche permet de distinguer ce qui relève de l’évolution prévisible de la pathologie préexistante de ce qui est directement causé par la faute de l’hôpital. En procédant ainsi, la cour effectue une juste délimitation du dommage réparable, conformément aux exigences d’une réparation intégrale, mais sans faire supporter à l’établissement les conséquences d’un état antérieur sur lequel il n’a eu aucune prise.

II. Les conséquences restrictives de la qualification retenue sur l’évaluation des préjudices

L’application de ce taux de perte de chance de soixante-quinze pour cent a des répercussions directes sur l’évaluation de tous les postes de préjudice. Elle conduit d’une part à une exclusion totale et rigoureuse des préjudices professionnels, et d’autre part à une indemnisation méthodique mais diminuée des autres postes de préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux.

A. L’exclusion radicale des préjudices à caractère professionnel

L’un des apports les plus notables de l’arrêt réside dans son traitement des demandes relatives aux pertes de gains professionnels et à l’incidence professionnelle. La victime, qui n’avait plus exercé d’activité professionnelle depuis plusieurs années avant l’infection de 2003, soutenait que cette dernière l’avait privée d’une chance de reprendre son emploi ou de se reconvertir. La cour rejette entièrement cette argumentation en se fondant sur une analyse très stricte du lien de causalité.

Les juges relèvent que l’absence d’activité professionnelle du patient était due à son état de santé préexistant et aux suites d’un licenciement antérieur, et non à l’infection contractée en 2003. Ils estiment que rien ne prouve que, sans cette infection, le patient aurait été en mesure de retravailler. En conséquence, « il ne résulte pas de l’instruction que la perte de salaires dont l’intéressé demande réparation soit imputable à la faute commise par le centre hospitalier ». De même, le préjudice d’incidence professionnelle, lié à une dévalorisation sur le marché du travail ou à la perte de perspectives de carrière, est écarté. Cette position, bien que juridiquement fondée sur l’absence de lien de causalité direct et certain, apparaît sévère pour la victime, dont la situation de handicap a été indiscutablement aggravée, fermant peut-être définitivement toute perspective de réinsertion professionnelle, même lointaine.

B. La réparation mesurée des autres chefs de préjudice

Pour tous les autres postes de préjudice, la cour procède à une évaluation détaillée avant d’appliquer systématiquement l’abattement de vingt-cinq pour cent correspondant à la part du dommage non imputable à l’infection. Qu’il s’agisse des dépenses de santé, des frais d’aménagement du logement et du véhicule, de l’assistance par une tierce personne, ou des préjudices extrapatrimoniaux comme le déficit fonctionnel, les souffrances endurées et le préjudice esthétique, chaque poste est d’abord évalué dans son montant total.

Le montant final alloué à la victime et à l’organisme social correspond ensuite aux soixante-quinze pour cent de cette évaluation. Cette méthode illustre une volonté de systématisation et d’objectivation du calcul de l’indemnisation. On notera également le rejet de l’indemnisation d’un préjudice d’agrément, au motif que la victime n’a pas démontré la pratique d’activités spécifiques et que les troubles dans les actes de la vie courante sont déjà couverts par le déficit fonctionnel permanent. Cette approche confirme une tendance jurisprudentielle qui interprète de manière restrictive la notion de préjudice d’agrément, évitant ainsi une double indemnisation. L’arrêt se caractérise donc par une grande rigueur technique dans la ventilation des préjudices, aboutissant à une indemnisation précise mais significativement inférieure à celle initialement octroyée en première instance.

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Hassan KOHEN
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