Cour d’appel administrative de Versailles, le 8 avril 2025, n°23VE01045

Par un arrêt en date du 8 avril 2025, la Cour administrative d’appel de Versailles a précisé les conditions de mise en œuvre des sanctions pour l’emploi d’un travailleur étranger dépourvu d’autorisation de travail. En l’espèce, un auto-entrepreneur a fait l’objet d’un contrôle routier alors que deux passagers se trouvaient à bord de son véhicule. L’un de ces passagers, ressortissant d’un État tiers, était dépourvu de titre l’autorisant à séjourner et à travailler sur le territoire national. À la suite de ce contrôle, l’Office français de l’immigration et de l’intégration a mis à la charge de l’employeur la contribution spéciale prévue par le code du travail ainsi que la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement, pour un montant total significatif.

L’auto-entrepreneur a formé un recours gracieux, lequel a été rejeté, puis a saisi le tribunal administratif de Versailles. Par un jugement du 30 mars 2023, cette juridiction a annulé les décisions de l’administration, estimant que l’infraction n’était pas matériellement constituée. L’Office français de l’immigration et de l’intégration a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que la matérialité de l’infraction était établie. L’intimé, pour sa part, concluait au rejet de la requête, arguant de l’absence d’élément intentionnel et, subsidiairement, demandait une réduction des sommes réclamées. Se posait dès lors la question de savoir si une aide ponctuelle et bénévole, fournie dans un cadre amical, pouvait être qualifiée de relation de travail et justifier l’application des sanctions relatives à l’emploi d’un étranger sans titre.

La Cour administrative d’appel de Versailles rejette la requête de l’administration. Elle juge que les éléments recueillis ne permettent pas d’établir l’existence d’une relation de travail salariée. Pour ce faire, elle relève que l’administration n’a pas rapporté la preuve d’« indices objectifs de subordination permettant d’établir la nature salariale des liens contractuels qui existeraient entre » les deux individus. Faute de matérialité de l’infraction, les sanctions ne pouvaient donc être légalement prononcées.

Cette décision rappelle avec force que la qualification de relation de travail constitue un préalable indispensable à l’application des sanctions administratives (I), ce qui conduit à circonscrire précisément le pouvoir de contrôle et de sanction de l’administration face à des situations d’entraide (II).

I. La qualification de la relation de travail comme préalable nécessaire à la sanction

La Cour administrative d’appel, exerçant un contrôle de plein contentieux, subordonne l’application des sanctions à une démonstration rigoureuse de l’existence d’un contrat de travail (A), rendant par là même inopérante toute discussion sur l’intention de l’employeur lorsque la matérialité des faits fait défaut (B).

A. L’exigence de la preuve d’un lien de subordination

La solution retenue par la Cour repose entièrement sur l’absence de preuve d’un lien de subordination, critère essentiel du contrat de travail. Le juge administratif rappelle qu’il lui appartient de « vérifier la matérialité des faits reprochés à l’employeur et leur qualification juridique ». En l’occurrence, le juge ne se contente pas des apparences, comme la présence d’un individu dans un véhicule professionnel. Il analyse en profondeur les circonstances de fait pour déterminer si une relation de travail était effectivement nouée.

Pour écarter cette qualification, la Cour s’appuie sur un faisceau d’indices concordants. Elle prend en compte les déclarations des personnes concernées, qui ont constamment affirmé qu’il s’agissait d’une « aide ponctuelle non rémunérée » entre amis. La finalité du déplacement, qui consistait à acheter du matériel dans un magasin de bricolage, est également considérée comme un élément de contexte pertinent. Le juge souligne ainsi que « l’OFII n’a pas recueilli d’indices objectifs de subordination permettant d’établir la nature salariale des liens contractuels qui existeraient » entre l’auto-entrepreneur et le ressortissant étranger. L’argument selon lequel le véhicule était à usage professionnel est écarté, dès lors qu’il était utilisé à des fins mixtes. Cette approche factuelle et rigoureuse réaffirme que la charge de la preuve incombe à l’administration.

B. L’indifférence de l’élément intentionnel en l’absence de l’élément matériel

Devant les juges du fond, l’auto-entrepreneur avait notamment soutenu que l’élément intentionnel de l’infraction faisait défaut. Cependant, la Cour administrative d’appel ne se prononce pas sur ce point, son raisonnement s’arrêtant à une étape antérieure de l’analyse juridique. En constatant l’absence de matérialité de l’infraction, c’est-à-dire l’absence même d’une relation de travail, la question de l’intention de l’employeur de dissimuler un emploi ou d’enfreindre la législation devient sans objet.

Cette méthode de raisonnement est classique mais significative. Elle démontre que la première condition pour engager des poursuites est l’existence d’un acte matériel répréhensible. Sans contrat de travail, il ne peut y avoir d’emploi irrégulier. La Cour écarte ainsi un débat qui n’a plus lieu d’être, confirmant que le juge administratif doit d’abord s’assurer que les faits reprochés sont juridiquement qualifiables avant d’en examiner les autres aspects, notamment la bonne ou mauvaise foi de la personne poursuivie. La sanction administrative, bien que dépourvue de caractère pénal, obéit donc à une logique de légalité stricte.

Cette solution, orthodoxe dans son application des principes du droit du travail, a pour effet de tracer une ligne claire entre le pouvoir de sanction de l’administration et les situations échappant à sa compétence.

II. La portée du contrôle du juge sur la qualification des faits

En annulant les sanctions, le juge administratif ne se contente pas d’une simple censure formelle ; il exerce un contrôle approfondi sur l’appréciation des faits par l’administration (A) et réaffirme par là même la distinction fondamentale entre l’entraide bénévole et le travail dissimulé (B).

A. Un contrôle de plein contentieux approfondi des indices

L’arrêt illustre la plénitude du contrôle exercé par le juge administratif en la matière. En tant que juge de plein contentieux, il ne se limite pas à vérifier si l’administration a commis une erreur manifeste d’appréciation. Il refait l’analyse complète du dossier, pèse les différents éléments de preuve et substitue sa propre appréciation à celle de l’administration. La Cour examine ainsi « les déclarations concordantes » des protagonistes, le caractère ponctuel et non rémunéré de l’aide fournie, et l’absence d’antécédents en matière de travail dissimulé.

Ce contrôle approfondi constitue une garantie essentielle pour les administrés. Il évite que des sanctions lourdes ne soient prononcées sur la base de simples présomptions ou d’une analyse superficielle des faits. La décision montre que la seule présence d’un étranger en situation irrégulière sur un lieu de travail potentiel ou dans un véhicule professionnel ne suffit pas à caractériser l’infraction. Il appartient à l’administration de rassembler des preuves tangibles de l’existence d’une prestation de travail effectuée sous l’autorité d’un employeur qui en a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements.

B. La consécration d’une distinction entre l’entraide et la relation de travail

Au-delà du cas d’espèce, la portée de cette décision réside dans la protection qu’elle accorde aux relations d’entraide amicale ou familiale. La Cour valide l’idée qu’un service rendu de manière bénévole, même s’il est de nature matérielle, ne saurait être assimilé à une relation de travail salariée. En agissant de la sorte, elle préserve un espace de relations sociales qui n’est pas régi par le code du travail et ses contraintes.

Cette jurisprudence est d’autant plus importante qu’elle s’inscrit dans un contexte de lutte contre le travail illégal, où la tentation peut être grande pour l’administration d’adopter une interprétation extensive des textes. L’arrêt fixe ainsi une limite claire : le pouvoir de sanction de l’Office français de l’immigration et de l’intégration ne peut s’exercer que dans le cadre d’une véritable relation d’emploi. Il rappelle que des pans entiers de l’activité humaine, fondés sur la bienveillance et l’assistance mutuelle, échappent par nature à la sphère marchande et, par conséquent, au contrôle de l’administration en matière de police du travail.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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