Cour d’appel administrative de Versailles, le 8 juillet 2025, n°23VE00650

Par un arrêt en date du 8 juillet 2025, la Cour administrative d’appel de Versailles a précisé les conditions d’exercice du droit de compensation de l’administration fiscale dans le cadre d’un groupe de sociétés. En l’espèce, une société mère d’un groupe fiscalement intégré avait sollicité la restitution de cotisations d’impôt sur les sociétés au titre de l’exercice clos en 2013, en se prévalant de l’imputation du déficit d’une de ses filiales. Au cours de l’instruction de cette réclamation, l’administration a mené une vérification de comptabilité de la filiale portant sur des exercices postérieurs, qui a révélé que le déficit de 2013 était en réalité infondé. L’administration a par conséquent réduit d’office le montant du dégrèvement accordé à la société mère, laquelle a contesté cette rectification. Le tribunal administratif de Versailles, par un jugement du 1er décembre 2022, avait fait droit à la demande de la société, estimant que l’administration avait procédé à une compensation irrégulière entre des exercices fiscaux distincts. Le ministre de l’économie et des finances a alors interjeté appel de cette décision.

Il était ainsi demandé aux juges d’appel de déterminer si l’administration fiscale pouvait, sur le fondement de l’article L. 203 du livre des procédures fiscales, opposer à une demande de dégrèvement une insuffisance d’imposition se rapportant au même exercice, mais constatée fortuitement lors du contrôle d’exercices ultérieurs. La Cour administrative d’appel a répondu par l’affirmative, considérant que le mécanisme de compensation permet à l’administration, à tout stade de la procédure, d’invoquer les omissions ou insuffisances relatives à l’imposition contestée, peu important les circonstances de leur découverte. Par cette décision, elle annule le jugement de première instance et valide la démarche de l’administration. Cet arrêt illustre l’étendue des prérogatives de l’administration dans l’exercice de son droit de compensation (I), tout en affirmant l’autonomie de cette procédure face aux autres instruments de contrôle fiscal (II).

I. La consécration d’une conception extensive du droit de compensation fiscal

La décision de la Cour administrative d’appel de Versailles confirme l’étendue des pouvoirs de l’administration en matière de compensation, tant sur le plan temporel (A) que matériel (B), en lui permettant de se prévaloir de découvertes faites dans des contextes procéduraux distincts.

A. Un champ temporel étendu à l’ensemble de la procédure contentieuse

L’arrêt commenté réaffirme avec force que le droit de compensation de l’administration peut être exercé sans contrainte de délai une fois la procédure contentieuse engagée par le contribuable. En se fondant sur une lecture littérale de l’article L. 203 du livre des procédures fiscales, la cour rappelle que l’administration peut « à tout moment de la procédure […] effectuer ou demander la compensation ». Elle précise la portée de cette faculté en des termes clairs : « l’administration fiscale est fondée à invoquer des insuffisances ou omissions de toute nature pendant l’instruction de la demande, laquelle doit s’entendre comme prenant effet au plus tôt à compter de l’examen de la réclamation du contribuable par l’administration et se poursuivant pendant toute la durée du contentieux ».

Cette interprétation consacre une vision dynamique des droits de la défense de l’administration. Le point de départ de son droit à compensation n’est pas figé à la date de la réclamation initiale, mais s’étend sur toute la durée de l’instruction administrative et juridictionnelle. Ainsi, l’administration est en droit de se prévaloir d’éléments nouveaux qui apparaîtraient après l’introduction de l’instance, ce qui lui confère une marge de manœuvre significative pour ajuster la dette fiscale du contribuable jusqu’à ce que le litige soit définitivement tranché par le juge de l’impôt.

B. L’indifférence quant à l’origine de la constatation de l’insuffisance

La cour écarte l’argument de la société requérante selon lequel l’administration ne pouvait se fonder sur les conclusions d’une vérification de comptabilité portant sur des exercices postérieurs pour justifier la compensation. Elle juge en effet qu’aucun texte ni principe n’interdit à l’administration d’utiliser des informations recueillies lors d’un contrôle externe au litige principal. Le passage décisif de l’arrêt souligne que « aucune disposition d’aucun texte ni aucun principe de droit ne faisait obstacle à ce que l’administration fiscale procède à cette compensation, quand bien même les insuffisances ont été constatées au cours d’une vérification de comptabilité relative à des exercices postérieurs ».

L’élément déterminant pour la mise en œuvre de la compensation n’est donc pas la procédure ayant permis de révéler l’insuffisance, mais bien l’année d’imposition concernée par cette dernière. En l’espèce, bien que découverte lors du contrôle des exercices 2014 à 2016, l’omission se rapportait matériellement au résultat de l’exercice 2013, objet de la demande de dégrèvement. Cette solution renforce l’efficacité du droit de compensation en tant qu’outil de rétablissement de l’exacte imposition du contribuable, indépendamment du cadre procédural ayant mis au jour l’erreur ou l’omission.

II. L’affirmation de l’autonomie de la procédure de compensation

En validant la démarche de l’administration, la cour distingue nettement la compensation des procédures de redressement classiques. Elle affirme ainsi son autonomie en la décorrélant de l’exigence d’une imposition définitive (A) et en clarifiant son application au sein d’un groupe fiscalement intégré (B).

A. Une mise en œuvre indépendante du caractère définitif des impositions

L’un des moyens soulevés par la société consistait à soutenir que l’administration ne pouvait opérer de compensation tant que les redressements notifiés à sa filiale n’étaient pas devenus définitifs. La cour rejette cet argument en précisant que le principe de présomption de sincérité des déclarations fiscales n’entrave pas l’application de l’article L. 203 du livre des procédures fiscales. Selon les juges, ce mécanisme « ne fait pas obstacle à ce que l’administration fiscale […] tire les conséquences à l’occasion d’une demande de décharge d’imposition, d’une vérification de comptabilité diligentée après la réception de la réclamation ».

La compensation est ici envisagée comme un simple moyen de défense au fond pour l’administration, et non comme une procédure de rectification autonome soumise au même formalisme. L’administration n’émet pas un nouvel avis d’imposition, mais se contente d’opposer une créance fiscale à la demande de restitution du contribuable dans le cadre d’un même litige. La cour ajoute d’ailleurs, pour parfaire son raisonnement, que le désistement ultérieur de la filiale dans son propre contentieux a rendu les impositions définitives, mais cette précision « en tout état de cause » confirme que la solution de principe n’en dépendait pas.

B. La rectification de l’erreur d’analyse du tribunal administratif

L’arrêt censure l’erreur de droit commise par les premiers juges, qui avaient considéré que l’administration avait opéré une compensation entre des exercices différents, ce qui est prohibé. La Cour administrative d’appel rétablit la juste qualification des faits en soulignant que l’opération s’est déroulée au sein d’un seul et même exercice. Elle explique que l’administration « n’a pas effectué une compensation entre l’impôt sur les sociétés dû par le groupe au titre de l’exercice clos en 2013 et l’impôt sur les sociétés dû au titre des exercices clos en 2014 et 2015 ».

Au contraire, elle a bien opposé à la « demande de restitution d’impôt sur les sociétés […] présentée par la société […] au titre de l’exercice 2013 », les « insuffisances ou omissions qu’elle avait constatées dans l’assiette de l’impôt sur les sociétés de [la filiale], membre de ce groupe, au titre de la même année 2013 ». La compensation portait donc sur une même année et un même impôt, conformément aux exigences légales. Cette analyse confirme que, dans le cadre d’un groupe intégré, une insuffisance constatée chez une société membre peut légitimement être opposée à une demande de dégrèvement formée par la société mère pour le même exercice.

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Hassan KOHEN
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