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L’articulation entre les accords collectifs de branche et les pratiques d’entreprise constitue une source récurrente de contentieux en droit du travail. La chambre sociale de la cour d’appel d’Agen, par un arrêt du 1er juillet 2025, apporte des précisions significatives sur l’application obligatoire des conventions collectives étendues et sur le régime probatoire du temps de travail des personnels ambulanciers.
Un salarié avait été embauché le 16 juillet 2019 par une société de transport sanitaire en qualité d’auxiliaire ambulancier. La relation de travail était soumise à la convention collective des transports routiers et activités auxiliaires. Un accord collectif relatif à la durée et à l’organisation du travail dans les entreprises de transport sanitaire, conclu le 16 juin 2016 et étendu par arrêté du 19 juillet 2018, modifiait les modalités de calcul du temps de travail effectif. L’employeur n’avait toutefois appliqué ce nouvel accord qu’à compter du mois d’août 2021, maintenant jusqu’alors l’ancien système de calcul forfaitaire.
Le salarié saisit le conseil de prud’hommes d’Agen le 12 janvier 2022 afin d’obtenir divers rappels de salaire au titre des heures supplémentaires, des indemnités de repas et de la contrepartie au temps d’habillage et de déshabillage, ainsi que des dommages-intérêts pour non-respect des durées maximales de travail.
Par jugement du 1er juillet 2024, le conseil de prud’hommes condamna l’employeur à verser au salarié plusieurs sommes, notamment 13 415,33 euros au titre des heures supplémentaires, 1 246,67 euros au titre des indemnités de repas, 2 000 euros pour non-respect des durées maximales de travail et 1 092,93 euros au titre du rappel de salaire pour les temps d’habillage et de déshabillage.
L’employeur interjeta appel de cette décision. Il soutenait avoir maintenu, avec l’accord de la majorité des salariés, l’ancien système forfaitaire plus favorable. Il contestait également la fiabilité des feuilles de route remplies par le salarié et l’obligation de revêtir la tenue sur le lieu de travail. Le salarié demandait la confirmation du jugement sur la plupart des chefs et sollicitait l’infirmation concernant les dommages-intérêts pour non-respect des durées maximales de travail, réclamant 10 000 euros à ce titre.
La cour d’appel d’Agen devait déterminer si l’employeur pouvait valablement différer l’application d’un accord collectif étendu au profit d’un système antérieur présenté comme plus favorable.
La cour infirme partiellement le jugement. Elle condamne l’employeur à payer 10 842 euros au titre des heures supplémentaires, outre 1 084,2 euros de congés payés afférents. Elle confirme la condamnation au titre des indemnités de repas et les dommages-intérêts de 500 euros pour non-respect des temps de repos. Elle déboute le salarié de ses demandes relatives aux temps d’habillage et de déshabillage.
L’arrêt consacre le caractère impératif des conventions collectives étendues en matière de décompte du temps de travail (I). Il précise également le régime probatoire applicable aux différentes composantes de la durée du travail (II).
I. L’application impérative des conventions collectives étendues
La cour rappelle le mécanisme de l’extension conventionnelle (A) avant d’écarter les arguments tirés du principe de faveur (B).
A. Le mécanisme de l’extension conventionnelle
La cour d’appel d’Agen rappelle avec netteté le régime juridique de l’extension des conventions collectives. Elle cite l’article L.2261-15 du code du travail selon lequel « les stipulations d’une convention de branche ou d’un accord professionnel ou interprofessionnel peuvent être rendues obligatoires pour tous les salariés et employeurs compris dans le champ d’application de cette convention ou de cet accord par arrêté du ministre chargé du travail ».
L’arrêté d’extension du 19 juillet 2018 avait expressément rendu obligatoires les dispositions de l’accord du 16 juin 2016 « pour tous les employeurs et tous les salariés des entreprises de transport sanitaire ». La publication au Journal officiel du 27 juillet 2018 avait fait courir le délai d’application.
La cour en déduit logiquement qu’« à compter de la publication de cet arrêté d’extension, ces dispositions s’imposent à toutes les sociétés relevant du champ de la convention collective des transports routiers et auxiliaires de transport ». Cette formulation traduit le caractère erga omnes de l’extension conventionnelle. L’employeur ne dispose d’aucune faculté de différer unilatéralement l’entrée en vigueur d’une convention étendue.
Le mécanisme de l’extension répond à une finalité d’harmonisation des conditions de travail au sein d’une branche professionnelle. Permettre à chaque employeur de reporter à sa convenance l’application des accords étendus viderait ce dispositif de sa substance.
B. Le rejet des arguments tirés du principe de faveur
L’employeur invoquait le principe de faveur pour justifier le maintien de l’ancien système forfaitaire. Selon lui, l’application du forfait de 10 % sur l’amplitude horaire était plus avantageuse pour les salariés que le décompte au réel des pauses.
La cour procède à une analyse rigoureuse de cet argument. Elle constate d’abord que l’employeur « ne justifie pas de l’existence d’un accord d’entreprise susceptible de prévaloir sur la convention collective étendue ». Elle relève ensuite l’absence de « décision unilatérale explicite de sa part de maintenir l’ancien système conventionnel ».
Sur le fond, la cour apprécie la comparaison des garanties offertes par chaque système. Elle observe que « la méthode au réel permet aux salariés de ne voir soustraire à leur temps de travail effectif que les pauses ou coupures réellement effectuées d’une durée minimale de 20 minutes successives, la soustraction étant en tout état de cause plafonnée à une durée d’une heure trente par jour ».
Ce système offre donc « la possibilité aux salariés de ne se voir soustraire aucun temps de travail ou un temps moindre à l’application du système forfaitaire ». La cour conclut qu’« en tout état de cause, la décision de maintenir l’application du système forfaitaire antérieur apparaît dès lors moins favorable aux salariés que les nouvelles dispositions conventionnelles ».
Cette analyse illustre la méthode d’appréciation globale des garanties. Le principe de faveur ne peut être invoqué que si le dispositif maintenu présente effectivement un caractère plus avantageux pour la collectivité des salariés concernés.
II. Le régime probatoire du temps de travail
La cour précise les règles de preuve applicables aux heures supplémentaires (A) et aux temps de pause (B).
A. La preuve des heures supplémentaires
La cour rappelle le mécanisme probatoire issu de l’article L.3171-4 du code du travail. Le salarié doit « présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments ».
En l’espèce, le salarié produisait son contrat de travail, ses bulletins de paie et des tableaux récapitulatifs. La cour observe que ces éléments « ne permettent pas en eux-mêmes de déterminer les heures supplémentaires dont le payement est demandé ». Toutefois, ils étaient « complétés par ceux versés aux débats par la société », notamment les feuilles de transports et les extractions du logiciel de la sécurité sociale.
La comparaison de ces documents établissait la concordance des heures de début et de fin de service. Le désaccord portait sur l’existence et la durée des pauses. La cour relève que plusieurs attestations de salariés confirmaient « la pratique existante au sein de la société, de ne pas renseigner complètement et systématiquement les feuilles de route quant aux pauses réalisées ».
Au terme de son analyse, la cour « dispose d’éléments suffisants pour considérer que le salarié a effectué des heures supplémentaires, mais dans une proportion moins importante que celle qu’il revendique ». Elle fixe souverainement le montant à 10 842 euros, réduisant ainsi la somme allouée en première instance.
Cette évaluation illustre le pouvoir d’appréciation du juge du fond. La cour n’est pas tenue de préciser le détail de son calcul dès lors qu’elle dispose d’éléments suffisants pour former sa conviction.
B. La charge de la preuve des temps de pause
La cour opère une distinction fondamentale entre les pauses obligatoires et les pauses facultatives. Elle rappelle que « les dispositions de l’article L.3171-4 du code du travail relatives à la répartition de la charge de la preuve des heures de travail effectuées entre l’employeur et le salarié ne sont pas applicables à la preuve du respect des temps de pauses obligatoires et des repos quotidiens, qui incombe à l’employeur ».
Cette règle probatoire trouve son fondement dans les impératifs de santé et de sécurité au travail. L’employeur, débiteur d’une obligation de sécurité, doit démontrer qu’il a respecté les temps de repos légalement imposés.
Concernant les pauses facultatives, la cour cite l’article 5 de la convention collective qui définit une pause comme « un arrêt de travail ou une interruption d’activité décidée par l’employeur qui en fixe l’heure de début et l’heure de fin et ce avant le début effectif de chaque pause ou coupure ».
En l’espèce, l’employeur « n’apporte pas la preuve du respect des temps de pause obligatoire, qui ne peuvent dès lors être soustraits du temps de travail effectif ». Il ne justifie pas davantage « de décision de sa part fixant l’heure de début et de fin des pauses non obligatoires ».
Les extractions du logiciel de sécurité sociale, qui retracent les trajets accomplis par le véhicule, « ne permettent pas d’établir que M.[K] ne se livrait pas durant ces périodes à une activité autre que celle de la conduite de son véhicule ». Cette observation traduit la distinction entre le temps de déplacement et le temps de travail effectif.
La cour confirme également l’existence d’un préjudice résultant du non-respect des durées maximales de travail. Elle rappelle que « le dépassement de la durée maximale de travail et le non-respect du droit au repos qui en résulte ouvrent, à eux seuls, droit à la réparation », conformément à la directive 2003/88/CE. Elle refuse toutefois d’accorder deux indemnisations distinctes pour un même préjudice, appliquant le principe de réparation intégrale.