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Par un arrêt rendu le 10 septembre 2025, la Cour d’appel d’Agen s’est prononcée sur les conséquences du défaut de vérification de la solvabilité de l’emprunteur dans le cadre d’un prêt à la consommation.
Un particulier avait souscrit le 8 juillet 2020 un prêt personnel à la consommation d’un montant de 49 735 euros auprès d’un établissement bancaire, remboursable en 144 mensualités. À la suite de plusieurs impayés, l’emprunteur a été mis en demeure de payer une somme de 2 211,51 euros les 24 juin et 21 juillet 2023. La banque a alors assigné l’emprunteur devant le tribunal de proximité de Condom le 8 décembre 2023, sollicitant sa condamnation au paiement de la somme de 44 225,28 euros.
Par jugement réputé contradictoire du 30 mai 2024, le tribunal de proximité de Condom a prononcé la déchéance du droit aux intérêts de l’établissement prêteur, retenant que celui-ci n’avait procédé à aucune vérification de la solvabilité de l’emprunteur. Le tribunal a en outre débouté la banque de sa demande en paiement du capital restant dû, estimant que la créance nette n’était pas justifiée par l’historique des paiements.
La banque a interjeté appel de cette décision, ne contestant pas la déchéance du droit aux intérêts mais sollicitant la condamnation de l’emprunteur au paiement du capital restant dû. L’intimé n’a pas constitué avocat.
La Cour d’appel d’Agen devait déterminer si l’établissement de crédit avait satisfait à son obligation de vérification de la solvabilité de l’emprunteur et, dans la négative, quelles étaient les sommes effectivement dues par ce dernier malgré la déchéance des intérêts.
La Cour confirme le jugement en ce qu’il a prononcé la déchéance du droit aux intérêts, relevant que « le conseiller financier de clientèle de la Caisse n’a toutefois réuni aucune pièce budgétaire de solvabilité comme en entrées, les bulletins de paye et en sortie les dépenses régulières ni en patrimoine, une éventuelle épargne ». Elle infirme en revanche le jugement sur le paiement du capital et condamne l’emprunteur à régler la somme de 37 894,59 euros, correspondant au capital restant dû après déduction des remboursements effectués.
Cette décision illustre l’articulation entre la sanction du défaut de vérification de la solvabilité et le maintien de l’obligation de remboursement du capital (I), tout en précisant l’étendue de l’obligation de vérification incombant au prêteur (II).
I. La déchéance du droit aux intérêts, sanction proportionnée du manquement du prêteur
La décision commentée consacre la déchéance des intérêts comme sanction adéquate du défaut de vérification de solvabilité (A), tout en préservant le droit du prêteur au remboursement du capital (B).
A. La confirmation de la sanction du défaut de vérification
L’article L. 312-16 du code de la consommation impose au prêteur de vérifier la solvabilité de l’emprunteur « à partir d’un nombre suffisant d’informations » avant la conclusion du contrat. La Cour d’appel d’Agen relève que l’établissement bancaire avait certes recueilli certaines informations déclaratives, notamment la situation professionnelle d’ouvrier en contrat à durée indéterminée et l’absence de charges de logement. Elle constate néanmoins que « le conseiller financier de clientèle de la Caisse n’a toutefois réuni aucune pièce budgétaire de solvabilité ».
Cette formulation révèle l’insuffisance d’une vérification purement déclarative. Le prêteur ne peut se contenter des éléments fournis par l’emprunteur sans procéder à une vérification documentaire. La Cour précise que cette vérification aurait dû porter tant sur les ressources, par les bulletins de salaire, que sur les charges régulières et le patrimoine éventuel. La durée du prêt, soit 144 mensualités représentant douze années, aurait en outre justifié « une évaluation prospective » de la capacité de remboursement.
La déchéance du droit aux intérêts, prévue à l’article L. 341-2 du code de la consommation, constitue une sanction automatique en cas de manquement à cette obligation. L’appelante n’a d’ailleurs pas contesté cette sanction, reconnaissant implicitement la carence relevée par les premiers juges.
B. Le maintien de l’obligation de remboursement du capital
Si la déchéance des intérêts prive le prêteur de la rémunération de son financement, elle ne saurait dispenser l’emprunteur de rembourser les sommes effectivement mises à sa disposition. La Cour infirme sur ce point le jugement de première instance qui avait débouté la banque de toute condamnation.
La Cour retient qu’« il ressort du décompte de la Caisse au 15 juillet 2024 que, sur 49 735 euros financés, l’emprunteur a remboursé 11 840,41 euros et qu’il reste à devoir le solde de 37 894,59 euros du capital restant dû ». Cette motivation laconique suffit néanmoins à établir la créance. La banque avait en effet communiqué en appel un décompte « expurgé de tous intérêts », permettant d’isoler le seul capital.
Cette solution s’inscrit dans la logique de l’article L. 312-39 du code de la consommation, que la Cour vise expressément. En cas de défaillance, le prêteur peut exiger le remboursement immédiat du capital restant dû. La déchéance des intérêts contractuels n’interdit pas l’application des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure, conformément au droit commun de la responsabilité.
II. L’étendue de l’obligation de vérification de la solvabilité
La Cour d’appel d’Agen précise les exigences concrètes de la vérification de solvabilité (A), tout en confirmant l’importance de cette obligation dans la protection de l’emprunteur (B).
A. L’exigence d’une vérification documentaire effective
La décision commentée apporte des précisions utiles sur le contenu de l’obligation de vérification. La Cour distingue les informations simplement déclarées et celles effectivement vérifiées. L’établissement bancaire avait retenu une situation sociale d’ouvrier en contrat à durée indéterminée, l’absence de charges de logement, l’absence de dettes au fichier des incidents de paiement et l’absence de regroupement de crédits. Ces éléments, pour certains vérifiables par la consultation du fichier de la Banque de France, ne suffisent pas.
La Cour exige la réunion de « pièces budgétaires de solvabilité ». Cette formule englobe les justificatifs de revenus, notamment les bulletins de salaire, les justificatifs de charges récurrentes et les éléments relatifs au patrimoine. La notion d’« évaluation prospective » est également mentionnée. Elle signifie que le prêteur doit apprécier la capacité de remboursement sur la durée totale du prêt, non au seul moment de sa conclusion.
Cette exigence s’explique par la durée exceptionnellement longue du crédit en cause. Un prêt à la consommation remboursable sur douze années expose l’emprunteur à des aléas importants. Le prêteur professionnel, disposant des moyens d’apprécier ces risques, ne peut se soustraire à une analyse approfondie de la situation financière de son client.
B. La fonction protectrice de l’obligation de vérification
L’obligation de vérification de la solvabilité poursuit un double objectif. Elle protège l’emprunteur contre le risque de surendettement en empêchant l’octroi de crédits manifestement inadaptés à ses capacités financières. Elle protège également le prêteur lui-même contre le risque d’impayés, même si cette fonction secondaire n’est pas explicitement reconnue par les textes.
La présente espèce illustre la pertinence de cette obligation. L’emprunteur, dont la solvabilité n’avait pas été sérieusement vérifiée, s’est trouvé défaillant après avoir remboursé moins d’un quart du capital emprunté. La banque, sanctionnée par la perte des intérêts représentant la rémunération de son financement sur douze années, subit les conséquences de sa propre négligence.
La solution retenue par la Cour d’appel d’Agen apparaît équilibrée. La déchéance des intérêts sanctionne le manquement du prêteur sans pour autant enrichir indûment l’emprunteur, qui reste tenu de rembourser les sommes effectivement reçues. Cette articulation préserve la force obligatoire du contrat, rappelée par le visa de l’article 1103 du code civil, tout en donnant effet aux dispositions protectrices du code de la consommation.