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La cour d’appel d’Agen, chambre sociale, statue le 2 septembre 2025 sur un litige relatif au temps de travail et au travail dissimulé. Le différend porte sur la validité d’un forfait-jours, la preuve d’heures supplémentaires, le respect des temps de pause et de repos, ainsi que l’allégation de dissimulation.
Une salariée, engagée en 2015 puis promue à des fonctions d’encadrement, a vu ses bulletins mentionner un forfait-jours sans convention écrite. Après plusieurs arrêts de travail et une inaptitude avec dispense de reclassement, le contrat a été rompu pour inaptitude en juin 2022. La relation de travail relevait de la convention collective du commerce de détail alimentaire non spécialisé.
Saisie en 2023, la juridiction prud’homale d’Auch a invalidé le forfait-jours, rejeté les heures supplémentaires et les demandes de harcèlement et de travail dissimulé. La salariée a relevé appel, sollicitant des rappels d’heures, des dommages-intérêts pour manquements aux pauses et une indemnité pour dissimulation. L’employeur a conclu à la confirmation et à une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Deux séries de questions étaient posées: l’effet de l’absence d’écrit sur le forfait-jours et la preuve des heures, pauses et repos. La cour confirme l’invalidité du forfait, rejette les heures faute d’éléments suffisants, mais alloue mille euros pour non-respect des pauses et repos. Elle rappelle que « En application des dispositions de l’article L.3121-55 du code du travail, la forfaitisation de la durée du travail doit faire l’objet de l’accord du salarié et d’une convention individuelle de forfait établie par écrit ». Sur la charge probatoire des heures, la formation indique que « La preuve des heures effectuées n’incombe spécialement à aucune des parties ».
I. L’invalidité du forfait-jours et la rigueur probatoire en matière d’heures supplémentaires
A. L’exigence d’un écrit pour la validité du forfait-jours
La cour rappelle la condition formelle décisive, en retenant que « Il en résulte que ces conventions doivent nécessairement être passées par écrit, nonobstant la mention de l’existence d’un forfait figurant sur les bulletins de paye du salarié (Cassation, sociale, 4 novembre 2015, Pourvoi nº 14-10.419 ; Cassation, sociale, 13 février 2013, Pourvoi nº 11-27.826) ». L’absence de convention individuelle rend ainsi inopposable la forfaitisation, malgré la pratique de paie et l’intitulé des fonctions exercées.
Cette invalidité n’est pas neutre pour le décompte du temps de travail. La juridiction d’appel précise que « Une convention de forfait invalide entraîne le décompte du temps de travail et des heures supplémentaires selon le droit commun du code du travail ». La solution replace donc la relation dans le régime légal, imposant l’examen contradictoire des éléments relatifs aux amplitudes quotidiennes et hebdomadaires réellement accomplies.
B. L’application de l’article L.3171-4 et le rejet des heures faute d’éléments suffisamment précis
Après avoir replacé le litige dans le cadre probatoire légal, la cour énonce le standard jurisprudentiel de référence: « Il résulte de l’article L. 3171-4 du Code du travail qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments ». Le juge forme ensuite sa conviction en appréciant l’ensemble des pièces versées aux débats par les deux parties.
La formation souligne encore le nécessaire lien entre l’irrégularité du forfait et la preuve des heures, en rappelant que « La seule irrégularité de la convention de forfait ne suffit pas à démontrer que le salarié a effectivement accompli des heures supplémentaires ». En l’espèce, le tableau hebdomadaire remanié, les agendas cadrés sur l’amplitude 8h-18h, des échanges ponctuels en dehors des horaires et des attestations non chiffrantes ne permettent pas de quantifier utilement des dépassements. Faute d’éléments précis sur des heures non rémunérées, la demande en rappel d’heures est rejetée.
II. La portée de l’arrêt: protection des temps de repos et délimitation du travail dissimulé
A. La preuve du respect des pauses et repos, à la charge de l’employeur, et la réparation de droit
Sur les temps de pause et de repos, la cour distingue nettement le régime de preuve. Elle dégage que « Il résulte des articles L.3121-16, L.3121-18, L.3121-20 et L.3131-1 du code du travail et 1353 du code civil que les dispositions de l’article L. 3171-4 du code du travail relatives à la répartition de la charge de la preuve des heures de travail effectuées entre l’employeur et le salarié ne sont pas applicables à la preuve du respect des temps de pause obligatoires et des repos quotidiens et hebdomadaires, preuve qui incombe à l’employeur ». Cette orientation rompt avec la logique partagée de l’article L.3171-4 et réaffirme une responsabilité probatoire spécifique.
La sanction découle de la finalité protectrice des repos. La cour précise que « Conformément aux dispositions des articles L.3131-1 du code du travail et de la directive 2003/88/CE du parlement européen et du conseil du 4 novembre 2003, le dépassement de la durée maximale de travail et le non-respect du droit au repos qui en résulte ouvrent, à eux seuls, droit à la réparation ». L’employeur n’ayant produit aucun élément établissant des pauses minimales de vingt minutes après six heures et le respect des repos, une indemnisation autonome est allouée. Le montant de mille euros, mesuré, s’inscrit dans une logique de réparation suffisante sans dénaturer la gravité des manquements.
B. Le travail dissimulé: exigence d’un élément intentionnel et articulation avec l’échec de la preuve des heures
L’arrêt circonscrit l’infraction sociale en rappelant la définition textuelle: « Conformément aux dispositions de l’article L.8221-5 du code du travail, est réputé dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur de mentionner de manière intentionnelle sur le bulletin de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail ». Le caractère intentionnel ne peut se déduire d’une simple irrégularité du forfait ou d’une mention de forfait-jours sur les bulletins.
La solution se comprend au regard du rejet des heures supplémentaires. À défaut d’établissement d’heures réellement accomplies et non payées, l’élément matériel indispensable fait défaut, ce qui interdit toute qualification de dissimulation. L’arrêt confirme ainsi une ligne constante: la preuve de l’intention suppose davantage que des irrégularités formelles, spécialement lorsque l’assiette des heures demeure non démontrée. La portée pratique est nette: les employeurs doivent sécuriser par écrit les forfaits-jours et tracer les pauses et repos, tandis que les salariés doivent étayer précisément leurs dépassements pour prétendre à des rappels et, a fortiori, à la sanction pénale civile attachée à la dissimulation.