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Cour d’appel d’Agen, 9 septembre 2025. La chambre sociale est saisie d’un litige relatif à la réalité d’un contrat de travail, contestée dans le contexte d’une procédure collective. Le salarié, engagé en octobre 2019 pour un poste technique, est licencié après ouverture d’un redressement puis d’une liquidation au printemps 2023. Il sollicite des rappels de salaires et indemnités de rupture en soutenant l’effectivité de la relation contractuelle.
Le conseil de prud’hommes d’Agen, 13 septembre 2024, avait jugé l’inexistence du contrat et débouté l’intéressé. En appel, le salarié maintient sa demande de fixation de créances et de prise en charge par l’organisme de garantie. Le liquidateur et l’organisme de garantie opposent la fictivité du contrat, invoquant l’absence d’activité, l’absence de subordination et des liens capitalistiques et personnels révélant une collusion.
La cour rappelle d’abord les critères du lien de subordination et la règle probatoire propre au contrat apparent. Elle constate l’apparence d’un lien contractuel au vu des pièces produites, puis retient que la preuve de la fictivité est rapportée. Elle confirme le jugement et rejette l’ensemble des prétentions, les dépens d’appel étant laissés à la charge du salarié.
I — Le contrôle du lien de subordination et la charge probatoire
A — Le lien de subordination, critère décisif de la relation salariale
La cour se fonde sur une définition constante, utilement rappelée en ces termes: « L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs. Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné (Soc., 28 novembre 2018, pourvoi n° 17-20.079, PBRI). »
La décision examine alors des indices concrets d’exercice d’un pouvoir de direction et de contrôle. Or, aucune pièce probante ne démontre des directives, un contrôle, ou une faculté de sanction. Les bulletins présentent des montants hétérogènes, sensiblement inférieurs au salaire convenu, sans justification opérationnelle convaincante. Des versements par une société immobilière, extérieure à l’employeur déclaré, brouillent l’imputation des rémunérations. L’absence de réclamation salariale antérieure à la procédure collective renforce l’impression d’une relation non exécutée dans les faits.
La démarche est conforme à l’exigence d’un faisceau d’indices fonctionnels, où la matérialité de l’activité compte davantage que l’apparence documentaire. Faute d’éléments sur l’exercice quotidien des tâches, la caractérisation du lien de subordination fait défaut.
B — La preuve de la fictivité face au contrat apparent
La cour rappelle la règle de répartition de la charge de la preuve: « En présence d’un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui invoque le caractère fictif de celui-ci d’en rapporter la preuve (Soc., 25 octobre 1990, pourvoi n° 88-12.868, Bull. 1990, V, n° 500). » Elle ajoute, de manière décisive: « Il résulte de ces éléments l’apparence d’un contrat de travail, laquelle impose aux intimés de rapporter la preuve de son caractère fictif. »
La présence d’un écrit, d’une déclaration préalable et de bulletins fonde l’apparence. Toutefois, les éléments extrinsèques produits, tirés des registres et annonces légales, montrent des connexions organiques entre plusieurs structures, l’intervention d’une société tierce dans le paiement, et l’incohérence des rémunérations. S’y ajoute l’absence de démonstration d’une activité réelle. L’ensemble rompt la présomption simple attachée au contrat apparent.
L’arrêt illustre une articulation éprouvée: l’apparence documentalise, la réalité opérationnelle emporte la conviction. Ici, la preuve contraire est tenue pour rapportée, en combinant indices économiques, anomalies de paie et carence d’éléments sur l’exécution du travail.
Cette solution probatoire, solidement ancrée, commande ensuite l’appréciation de la valeur et de la portée de l’arrêt.
II — Valeur et portée de la solution retenue
A — Un contrôle renforcé des collusions et simulations en contexte de défaillance
La décision assume un contrôle pragmatique face aux configurations intragroupes et aux circuits de paiement atypiques. Elle ne sanctionne pas en soi les liens capitalistiques ou personnels, mais les appréhende comme indices au soutien d’une simulation lorsque s’y ajoutent l’absence d’activité et l’absence de subordination. La cohérence interne du contrat, testée par les flux de rémunération et la constance des bulletins, devient un marqueur central.
La grille est fidèle au droit positif: l’apparence peut céder devant des indices graves, précis et concordants de fictivité. La cour d’appel d’Agen, 9 septembre 2025, s’inscrit dans une jurisprudence attentive aux fraudes en période préinsolvabilité, sans exiger une démonstration pénale de collusion. Elle retient un standard civil probatoire, proportionné à l’enjeu de garantie.
Cette approche prévient la captation des mécanismes collectifs au moyen de montages documentaires peu suivis d’effet. Elle incite à une traçabilité stricte des pouvoirs hiérarchiques et des flux salariaux, conditions minimales de crédibilité contractuelle.
B — Conséquences pour la garantie salariale et la temporalité des réclamations
La garantie des créances salariales demeure purement accessoire à l’existence d’un contrat valide et exécuté. L’anéantissement de la relation salariale entraîne, par voie de conséquence, l’absence de prise en charge par l’organisme de garantie, sans qu’il soit besoin d’examiner les plafonds ou les modalités de versement. La solution réaffirme une évidence souvent discutée en pratique collective.
La décision éclaire aussi la temporalité des prétentions. La variation de la période de rappel et l’absence de démarches préalables affaiblissent la vraisemblance de l’exécution. Le message est net: les anomalies de paie doivent être signalées en temps utile, la passivité prolongée pesant sur l’appréciation de la réalité du contrat.
Enfin, l’arrêt offre un guide opérationnel aux praticiens. En présence d’un contrat apparent, l’analyse doit croiser l’effectivité de l’activité, la démonstration du pouvoir hiérarchique et la routinisation des paiements. À défaut, la fictivité peut être retenue, entraînant l’échec des demandes salariales et la neutralisation corrélative de toute garantie.