Cour d’appel de Agen, le 9 septembre 2025, n°25/00071

Rendue par la Cour d’appel d’Agen, chambre sociale, le 9 septembre 2025, sur renvoi après cassation partielle du 6 novembre 2024, la décision tranche deux enjeux. D’une part, la nullité du licenciement pour dénonciation de faits de harcèlement. D’autre part, la requalification d’un contrat à temps partiel en contrat à temps complet, au regard des exigences d’écrit et de preuve. Les faits tiennent à l’emploi à temps partiel d’une agente de service, à des tensions d’équipe suivies d’une saisine du CHSCT, puis à des mesures disciplinaires et à un licenciement pour faute simple. Après un jugement prud’homal retenant l’absence de cause réelle et sérieuse, un arrêt de la cour d’appel de Toulouse partiellement réformateur, et la cassation limitée, le renvoi a conduit la cour d’Agen à refuser la nullité tout en accueillant la requalification. La question posée est double, quant au régime probatoire propre à la dénonciation de harcèlement, puis quant à la portée de la présomption de temps complet en cas de défaillance d’écrit et d’avenants.

I. Nullité du licenciement et dénonciation du harcèlement moral

A. Le cadre normatif et la charge de la preuve
La cour rappelle le cœur du dispositif protecteur, en citant les articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail. Elle énonce ainsi, d’une part, que « Aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié […] pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés ». Elle ajoute, d’autre part, que « Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul ».

L’arrêt vise ensuite la jurisprudence la plus récente, rappelant que « Le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, peu important qu’il n’ait pas qualifié ces faits de harcèlement moral lors de leur dénonciation ». Sur la charge probatoire, la cour cite encore la formulation de principe: « Il résulte des articles L. 1152-1, L. 1152-3 et L. 1154-1 du code du travail que, lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient au salarié de démontrer que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion […] mais que, dans le cas contraire, il appartient à l’employeur de démontrer l’absence de lien entre la dénonciation […] et son licenciement ». La méthode est claire: qualifier la cause, puis ajuster la charge, afin de tester l’existence d’un mobile de représailles.

B. L’absence de lien de rétorsion consacrée par l’espèce
Les pièces de dénonciation produites par la salariée comportaient des écrits circonstanciés et une saisine du CHSCT, suffisants pour laisser supposer un harcèlement. La cour en déduit, conformément au principe, que l’employeur devait démontrer l’absence de lien entre ces dénonciations et la rupture, l’arrêt de Toulouse ayant jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. La motivation s’appuie sur des repères objectifs: « Entre les faits dénoncés par la salariée et le licenciement, 14 mois se sont écoulés ». Elle relève aussi la succession de procédures disciplinaires, dont l’une non contestée, et une plainte du client immédiatement antérieure au licenciement.

L’addition de ces indices convainc la juridiction de l’absence de lien de rétorsion, et, partant, conduit au refus de la nullité. La solution s’inscrit dans la ligne exigeante posée par la chambre sociale: la protection subsiste, mais suppose d’écarter un motif autonome, suffisamment établi, nonobstant l’inanité de la cause réelle et sérieuse. On peut discuter la portée de l’écoulement du temps, qui ne saurait être décisif à lui seul; néanmoins, la combinaison du délai, des antécédents disciplinaires et du grief client constitue un faisceau cohérent. L’arrêt confirme ainsi un équilibre probatoire délicat, qui préserve l’effectivité de la protection sans neutraliser l’appréciation concrète des motifs.

II. Temps partiel, exigences d’écrit et requalification à temps complet

A. L’exigence d’écrit et la présomption de temps complet
Sur le temps partiel, la cour rappelle la teneur de l’article L. 3123-14, dans sa version applicable, relatif aux mentions obligatoires du contrat et de ses avenants. La conséquence probatoire est posée en des termes nets: « L’absence d’écrit n’entraîne pas une requalification de plein droit du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet mais pose une présomption simple de travail à temps complet que l’employeur peut renverser en démontrant, d’une part la durée exacte […] d’autre part que le salarié avait connaissance des rythmes de travail et qu’il ne devait pas rester à la disposition permanente de l’employeur ». La cour souligne aussi l’exigence d’avenants, en cas de compléments d’heures, et leur nécessaire précision quant à la répartition.

Au vu des pièces, un seul avenant temporaire comportait une référence à une annexe de répartition. Les bulletins attestaient d’heures complémentaires récurrentes; toutefois, « Pour autant, aucun autre avenant n’a été régularisé, de sorte que la présomption simple de travail à temps complet s’applique ». L’articulation normative est maîtrisée: défaut d’écrit complet, compléments d’heures répétés sans avenants réguliers, activation de la présomption légale.

B. La carence probatoire de l’employeur et ses effets indemnitaires
Sur la preuve contraire, l’employeur invoquait la connaissance par la salariée de ses plages fixes et l’existence d’une autre activité. La cour relève que ces éléments ne suffisent pas, faute d’établir la durée exacte convenue et la prévisibilité des rythmes en dehors des plages de l’autre emploi. En outre, l’absence de communication de pièces sur la durée hebdomadaire ou mensuelle et sa répartition achève de faire échec au renversement de la présomption. La décision adopte une position ferme et classique: la preuve doit être double, précise et concomitante à l’exécution du contrat.

La conséquence normative s’énonce sans ambiguïté: « La cour infirme le jugement […] et retient qu’à compter du 1er avril 2015, point de départ sollicité, la salariée travaillait à temps complet ». S’ensuivent les effets financiers de plein droit: « Dès lors que la requalification du contrat de travail à temps plein est retenue, la salariée ouvre droit au paiement du rappel de salaire […] outre […] les congés payés y afférents ». La cour y ajoute les reliquats d’indemnité de licenciement, l’indemnité compensatrice de préavis et la prime annuelle, consacrant une réparation intégrale sur la période non prescrite. La portée pratique est nette dans les secteurs à horaires morcelés: la connaissance de créneaux habituels ne dispense pas de l’écrit complet, ni ne neutralise la présomption, si la disponibilité hors créneaux reste indéterminée.

Par cet arrêt du 9 septembre 2025, la Cour d’appel d’Agen refuse la nullité du licenciement, faute de lien de rétorsion probable, et consacre la requalification à temps complet pour carence d’écrit et d’avenants. Le régime probatoire en sort clarifié: charge ajustée et critères cumulatifs pour la nullité; exigence rigoureuse et garanties écrites pour le temps partiel. L’économie de la solution protège à la fois l’effectivité des droits et la sécurité des preuves, dans un cadre conforme à la jurisprudence sociale récente.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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