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Par arrêt du 10 septembre 2025, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence s’est prononcée sur un litige opposant un syndicat des copropriétaires à une société exploitante de résidences touristiques, relatif au recouvrement de factures impayées en exécution d’un contrat d’entretien. Cette décision illustre les difficultés de trésorerie rencontrées par certaines copropriétés et les moyens juridiques dont disposent leurs créanciers pour obtenir satisfaction.
Une société exploitante avait conclu avec un syndicat des copropriétaires un contrat d’entretien le 1er octobre 2012, renouvelable par tacite reconduction, qui prit fin le 30 septembre 2016. Trois factures correspondant aux prestations de ménage de janvier à septembre 2016, pour un montant total de 84 304,96 euros, demeurèrent impayées. La société créancière assigna le syndicat des copropriétaires devant le tribunal judiciaire de Grasse le 5 septembre 2018. Par ordonnance du 18 mai 2020, un administrateur provisoire fut désigné pour la copropriété, emportant suspension de l’exigibilité des créances antérieures. L’administrateur intervint volontairement à la procédure et souleva, à titre reconventionnel, la nullité des contrats conclus entre les parties.
Par jugement du 12 avril 2021, le tribunal fixa la créance au passif du syndicat des copropriétaires et rejeta la demande reconventionnelle. Le syndicat interjeta appel le 26 mai 2021. Entretemps, la société créancière avait fait l’objet d’un apport partiel d’actifs au profit d’une autre entité, laquelle intervint volontairement à l’instance d’appel. Le syndicat des copropriétaires renonça en cause d’appel à son moyen tiré de la nullité du contrat et prétendit à une compensation avec une créance qu’il revendiquait au titre de consommations d’eau.
La question posée à la cour était de déterminer si le syndicat des copropriétaires pouvait valablement opposer une compensation entre sa dette au titre des factures d’entretien et une prétendue créance relative à des consommations d’eau, et si le retard dans le paiement justifiait l’octroi de dommages-intérêts pour résistance abusive.
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a confirmé la fixation de la créance au passif du syndicat des copropriétaires, rejeté la demande de compensation faute de preuve suffisante, fixé le point de départ des intérêts de retard au 24 janvier 2017, date de la mise en demeure, et débouté la société créancière de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive.
La cour rappelle avec rigueur les conditions de la force obligatoire du contrat et de la compensation légale (I), avant de préciser les limites de l’action en responsabilité pour résistance abusive (II).
I. La confirmation de la force obligatoire du contrat et le rejet de la compensation
La cour réaffirme le principe de la force obligatoire des conventions (A), puis écarte la compensation faute de preuve de la créance réciproque invoquée (B).
A. L’application stricte du principe de force obligatoire
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence fonde son raisonnement sur l’article 1134 du code civil dans sa version antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016. Elle rappelle que « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et doivent être exécutées de bonne foi ». Cette formulation classique traduit le caractère impératif de l’engagement contractuel.
En l’espèce, le contrat d’entretien stipulait une rémunération forfaitaire trimestrielle de 140 002 euros, ajustable annuellement. Le syndicat des copropriétaires ne contestait ni l’exécution des prestations de ménage jusqu’au 30 septembre 2016, ni le bien-fondé des trois factures litigieuses. La cour en déduit logiquement que « sa dette sur ce point est établie à hauteur de 84 304,96 euros ».
La solution retenue témoigne de l’attachement du juge au respect de la parole donnée. Le syndicat des copropriétaires, bien que placé sous administration provisoire en raison de ses difficultés financières, ne pouvait se soustraire à ses obligations contractuelles au seul motif de sa situation obérée. La cour refuse d’ailleurs d’accorder des délais de paiement, relevant que « l’ancienneté de la dette, qui est exigible depuis près de neuf ans, justifie de rejeter la demande à ce titre ».
Cette position s’inscrit dans une jurisprudence constante qui refuse de faire peser sur le créancier les conséquences de l’impécuniosité du débiteur lorsque celle-ci ne résulte pas d’un cas de force majeure.
B. L’impossibilité d’opposer une compensation non établie
Le syndicat des copropriétaires prétendait réduire sa dette en invoquant une créance de 10 594,07 euros correspondant à des consommations d’eau imputables à la société créancière. Il s’appuyait sur un rapport d’audit comptable établi par un expert-comptable.
La cour écarte ce moyen avec fermeté. Elle relève que le rapport « s’est contenté de reprendre les éléments de comptabilité ressortant du compte fournisseur, tels qu’établis par l’ancien syndic » et qu’il « ne saurait suffire pour retenir une telle compensation dès lors qu’il n’en ressort pas que ces éléments ont fait l’objet de vérifications sur pièces ». Elle ajoute que « l’audit comptable ne contient aucun élément concernant cette créance » et que le syndicat « ne produisant aucune autre pièce afin de démontrer l’existence de cette créance au titre d’une consommation d’eau », la compensation doit être rejetée.
Cette exigence probatoire stricte s’explique par les conditions de la compensation légale. Aux termes des anciens articles 1289 et suivants du code civil, la compensation suppose deux dettes réciproques, certaines, liquides et exigibles. En l’absence de preuve du caractère certain de la créance invoquée par le syndicat des copropriétaires, la cour ne pouvait que rejeter la demande.
La décision rappelle que la charge de la preuve incombe à celui qui invoque la compensation. Un simple état comptable, non vérifié et établi par une partie intéressée, ne saurait tenir lieu de preuve.
II. Le refus de qualifier la défense de résistance abusive
La cour précise le régime des intérêts de retard (A) et rejette la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive (B).
A. La fixation du point de départ des intérêts moratoires
La société créancière sollicitait que les intérêts de retard courent à compter du 15 septembre 2016, date d’exigibilité des factures. La cour rejette cette prétention en application de l’article 1146 du code civil dans sa version antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016.
Elle rappelle que les intérêts moratoires « sont dus à compter de la date à laquelle le débiteur a été mis en demeure de remplir son obligation » et qu’« il n’en va différemment que si le contrat stipule une dispense de mise en demeure ». Or, « le contrat ne stipule aucune dispense sur ce point ».
La cour ajoute que « la reconnaissance de la créance par le débiteur est indifférente en ce qui concerne la date à laquelle sont dus les intérêts de retard ». Cette précision est importante car le syndic avait, dans plusieurs courriers, reconnu la dette. Cette reconnaissance ne dispense pas le créancier de procéder à une mise en demeure formelle.
Les intérêts courent donc à compter du 24 janvier 2017, date d’envoi de la première mise en demeure. Cette solution, conforme à la lettre du texte, protège le débiteur contre une accumulation d’intérêts qu’il n’aurait pu anticiper en l’absence d’interpellation.
B. Le rejet de l’abus dans l’exercice du droit de se défendre
La société créancière réclamait 10 000 euros de dommages-intérêts pour résistance abusive. Elle reprochait au syndicat des copropriétaires d’avoir contesté une dette qu’il n’avait jamais remise en cause, d’avoir soulevé la nullité des contrats pour ensuite y renoncer, et d’avoir invoqué des créances compensatoires sans fondement.
La cour rappelle d’abord que, selon l’article 1153 du code civil, « les dommages-intérêts résultant du retard dans l’exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal ». Elle constate que les sociétés créancières « ne justifient par aucune pièce avoir subi, du fait du retard dans le paiement des factures, une perte ou manqué un gain qui ne seront pas compensés par les intérêts de retard ».
S’agissant de l’abus du droit de se défendre, la cour énonce que « la défense à une action en justice constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas où le titulaire de ce droit en fait, à dessein de nuire, un usage préjudiciable à autrui ». Elle précise que « le seul rejet des prétentions d’un plaideur, y compris par confirmation en appel d’une décision de première instance, ne caractérise pas automatiquement un abus, pas plus que l’appréciation inexacte qu’une partie fait de ses droits sauf s’il est démontré qu’elle ne pouvait, à l’évidence, croire au succès de ses prétentions ».
En l’espèce, la cour relève que le syndicat des copropriétaires « est représenté depuis 2020 par un administrateur provisoire, dont la désignation témoigne des difficultés financières et de fonctionnement qu’il rencontre depuis 2018 ». Les sociétés créancières « ne démontrent par aucune pièce l’abus qu’elles lui imputent ».
Cette solution s’inscrit dans une conception libérale du droit d’agir en justice. La Cour de cassation juge de manière constante que l’abus du droit d’ester en justice ou de se défendre suppose la démonstration d’une faute caractérisée, consistant soit dans une intention de nuire, soit dans une légèreté blâmable équivalant au dol. La simple erreur d’appréciation sur l’étendue de ses droits ne suffit pas.
La portée de cette décision dépasse le cas d’espèce. Elle rappelle aux créanciers que la résistance d’un débiteur, même infondée, ne constitue pas ipso facto un abus ouvrant droit à réparation. Il leur appartient de démontrer soit une intention malveillante, soit l’évidence de l’absence de fondement des prétentions adverses. La protection du droit de se défendre demeure un principe cardinal de notre ordre procédural.