Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 11 septembre 2025, n°20/06808

La rupture du contrat de travail d’un cadre soumis à un forfait jours continue de soulever des questions complexes, notamment lorsque la validité de cette convention est remise en cause. La cour d’appel d’Aix-en-Provence, par un arrêt du 11 septembre 2025, apporte des précisions sur les conséquences d’une telle invalidation et sur l’appréciation de la cause réelle et sérieuse du licenciement.

Un salarié avait été engagé le 4 novembre 1996 en qualité de technicien. Après avoir démissionné le 1er octobre 2007, il avait signé un nouveau contrat à durée indéterminée le 1er janvier 2008 avec une autre société du groupe, en qualité de responsable informatique, statut cadre, selon un forfait de 215 jours. Le 8 décembre 2017, il fut mis à pied à titre conservatoire puis licencié pour cause réelle et sérieuse le 22 décembre suivant. L’employeur lui reprochait une opposition systématique aux décisions de sa hiérarchie et des négligences dans la gestion de la sécurité informatique.

Le salarié avait saisi le conseil de prud’hommes la veille de son entretien préalable, sollicitant la résiliation judiciaire de son contrat. Il invoquait l’illicéité de la convention de forfait jours, le non-paiement d’heures supplémentaires et une atteinte à sa santé. Le conseil de prud’hommes de Marseille, en formation de départage, avait rejeté la demande de résiliation mais jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, allouant diverses sommes au titre des heures supplémentaires et de l’indemnisation de la rupture.

La cour d’appel devait déterminer si les manquements de l’employeur justifiaient la résiliation judiciaire du contrat et, à défaut, si le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse. Elle devait également statuer sur les conséquences de l’invalidation de la convention de forfait jours.

La cour confirme le rejet de la résiliation judiciaire tout en maintenant l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement. Elle valide l’essentiel des condamnations au titre des heures supplémentaires, après défalcation de certaines sommes indûment réclamées, et reconnaît au salarié une ancienneté remontant à 1996 en application des dispositions conventionnelles.

L’arrêt présente un double intérêt. Il éclaire les conditions de validité et les conséquences de l’invalidation d’une convention de forfait jours (I), tout en précisant les critères d’appréciation du bien-fondé du licenciement d’un cadre (II).

I. L’invalidation de la convention de forfait jours et ses conséquences

La cour procède à un examen rigoureux des conditions de validité de la convention de forfait (A), avant d’en tirer les conséquences sur le droit à rémunération des heures supplémentaires (B).

A. Le contrôle des conditions de validité du forfait jours

La cour rappelle que la validité d’une convention de forfait jours suppose le respect de conditions tant légales que conventionnelles. L’accord collectif doit prévoir les modalités de suivi de la charge de travail et l’employeur doit organiser un entretien annuel portant sur l’organisation du travail et l’amplitude des journées d’activité.

En l’espèce, la juridiction relève que « l’accord collectif de la société […] ne répond pas aux conditions posées par l’article L. 3121-39 du code du travail et à celles fixées par l’accord national ». Elle constate également l’absence de « document de contrôle tenu par lui ou par le salarié, pour assurer le suivi régulier de l’organisation du travail de l’intéressé et de sa charge de travail ». Aucun entretien annuel dédié n’avait été organisé.

Cette analyse s’inscrit dans la jurisprudence constante de la Cour de cassation qui exige un contrôle effectif de la charge de travail des salariés en forfait jours. L’arrêt illustre la vigilance des juridictions quant au respect des garanties destinées à protéger la santé et la sécurité des cadres autonomes.

La portée de cette décision est significative pour les employeurs qui doivent s’assurer non seulement de la régularité formelle des conventions de forfait, mais aussi de leur mise en œuvre effective par un suivi régulier de la charge de travail.

B. Les conséquences indemnitaires de l’invalidation

L’invalidation de la convention de forfait entraîne l’application du droit commun de la durée du travail. Le salarié peut alors prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies au-delà de la durée légale.

La cour applique le régime probatoire issu de l’article L. 3171-4 du code du travail : le salarié doit présenter « des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur […] d’y répondre utilement ». Elle précise que l’absence de décompte patronal « ne le prive pas dans le cadre du débat contradictoire […] de soumettre à son tour […] des éléments de fait et de droit ».

Cette approche équilibrée conduit la cour à défalquer les heures correspondant à des périodes de RTT ou à des semaines n’excédant pas 35 heures. Elle fixe la créance à 70 739,11 euros, soit une réduction d’environ 5 000 euros par rapport à la demande initiale.

L’arrêt confirme également l’existence d’un « préjudice nécessaire » lié au non-respect des jours de repos, indemnisé à hauteur de 1 500 euros. Cette solution s’inscrit dans la reconnaissance par les juridictions supranationales du droit au repos comme composante de la protection de la santé des travailleurs.

La décision révèle cependant les limites de l’invalidation du forfait : les heures supplémentaires accordées « résultent du simple fait de l’annulation de la convention de forfait jours », sans démonstration d’une surcharge effective de travail. Cette nuance explique le rejet de la demande de résiliation judiciaire.

II. L’appréciation du bien-fondé du licenciement du cadre

La cour examine successivement les griefs invoqués par l’employeur (A) puis détermine les conséquences de l’absence de cause réelle et sérieuse (B).

A. L’insuffisance des griefs disciplinaires

L’employeur reprochait au salarié une « opposition systématique et délibérée » aux décisions de sa hiérarchie ainsi que des « négligences graves » dans la gestion de la sécurité informatique. La cour écarte ces griefs au terme d’une analyse circonstanciée.

S’agissant du comportement du salarié, la juridiction relève que « le ton de ceux-ci comme des échanges sur Skype professionnel avec un collègue, ne permettent pas de retenir un abus dans la liberté d’expression ». Le salarié n’avait pas excédé les limites de la critique admissible dans le cadre de ses fonctions de cadre.

Concernant les négligences alléguées, la cour constate que « le résultat de l’audit de sécurité ne lui est parvenu que postérieurement au licenciement ». Dès lors, « si la négligence ou la nonchalance […] dans le traitement de la sécurité doivent être constatées, une lettre de recadrage […] aurait permis de mettre à plat les difficultés, la mesure de licenciement étant disproportionnée ».

Cette appréciation illustre le contrôle de proportionnalité exercé par le juge en matière disciplinaire. L’absence de sanction antérieure et le contexte de « revendication exprimée par le salarié » conduisent à qualifier la mise à pied conservatoire de « manifestement inappropriée ».

La solution rappelle que le licenciement doit constituer une réponse adaptée aux manquements reprochés, ce qui suppose une graduation des sanctions et la prise en compte du contexte dans lequel les faits se sont produits.

B. La détermination des conséquences indemnitaires

La cour statue sur l’ancienneté du salarié et sur l’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur l’ancienneté, l’employeur contestait la reprise de la période antérieure à 2008. La cour relève que « la reprise d’ancienneté résulte de la lecture de la lettre de licenciement » et applique l’article 10 de la convention collective de la métallurgie. Ce texte prévoit la prise en compte de l’ancienneté acquise « lorsqu’un ingénieur ou cadre passe, avec l’accord de son employeur, au service […] d’une filiale ».

Les éléments du dossier établissent cette mutation concertée : identité du dirigeant signataire des deux contrats, localisation commune des sociétés, utilisation du même logo et délivrance des documents de fin de contrat sous l’en-tête du groupe.

Sur l’indemnisation, la cour applique le barème de l’article L. 1235-3 du code du travail qui prévoit une fourchette de 3 à 16 mois de salaire pour 21 ans d’ancienneté. Elle alloue 65 000 euros, soit environ 10,7 mois de salaire, « au regard de l’âge de M. [U] lors de la rupture (45 ans), de l’absence de tout élément postérieur sur sa situation ».

Cette motivation, bien que succincte, révèle les critères retenus par la juridiction : l’âge du salarié et l’absence d’éléments sur sa situation postérieure à la rupture. La cour corrige également une erreur du premier juge sur le salaire de référence, portant celui-ci de 5 600 à 6 066 euros.

La décision rejette enfin la demande d’indemnité pour travail dissimulé, faute de caractérisation de l’élément intentionnel. Le salarié « était totalement autonome dans ses fonctions » et « n’a formulé aucune demande en paiement pendant la plus grande partie de la période contractuelle ». Cette solution rappelle que l’invalidation d’un forfait jours n’emporte pas automatiquement qualification de travail dissimulé.

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Hassan KOHEN
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