Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 11 septembre 2025, n°20/07201

Rendue par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence le 11 septembre 2025 (n° 2025/117, RG 20/07201), la décision tranche un contentieux relatif à l’étendue de la garantie de l’organisme de garantie des salaires. Le litige tient, d’une part, au cantonnement temporel de la garantie des créances de salaire durant la période d’observation. Il concerne, d’autre part, la prise en charge des créances de rupture lorsqu’une résiliation judiciaire est fixée à une date postérieure à la liquidation.

Les faits tiennent à l’embauche d’un salarié dans une société de restauration rapide, suivie de la destruction du fonds par incendie, et de salaires demeurés impayés. Saisi au fond, le juge prud’homal a été requis d’ordonner la résiliation judiciaire du contrat, dans un contexte de redressement puis de liquidation. Postérieurement à l’ouverture des procédures, un licenciement a été prononcé par le mandataire, tandis que la juridiction prud’homale a ultérieurement fixé la résiliation à la date de son jugement.

Par jugement du 16 juin 2020, le conseil de prud’hommes a prononcé la résiliation judiciaire aux torts de l’employeur, fixé diverses créances salariales et de rupture, et déclaré ces créances opposables à la garantie salariale. L’appel, limité, a porté sur la durée de la garantie pour les salaires, et sur l’exclusion de la garantie pour les créances de rupture, en raison de la date de la résiliation judiciaire.

La question de droit portait sur deux points distincts mais liés. Premièrement, déterminer si la garantie légale des salaires devait être cantonnée aux périodes antérieures au redressement et à une fraction de la période d’observation. Deuxièmement, apprécier si des créances de rupture issues d’une résiliation judiciaire prononcée postérieurement à la liquidation entraient, malgré tout, dans le champ de la garantie.

La cour retient, au titre des salaires, que « il s’agit d’une garantie légale prévue aux articles L.3253-6 & suivants du code du travail », dont « les limites […] résultent de dispositions figurant dans le même code ». Elle confirme la fixation judiciaire des créances, charge étant faite au mandataire d’établir le relevé selon les bornes légales. S’agissant des créances de rupture, elle se réfère à l’impulsion européenne et aux arrêts récents de la Cour de cassation, tout en réaffirmant la condition temporelle de l’article L.3253-8, 2°. La cour déduit qu’en l’espèce « la garantie n’est pas due, et la décision doit être infirmée », la date de la résiliation judiciaire étant postérieure de plus de quinze jours à la liquidation, et non critiquée par voie d’appel incident.

I. Le périmètre légal de la garantie salariale

A. Principes gouvernant la garantie et ses limites
La juridiction d’appel pose d’abord la nature et la source de la garantie. En rappelant que « il s’agit d’une garantie légale prévue aux articles L.3253-6 & suivants du code du travail », elle ancre le raisonnement dans le texte. Elle précise surtout que « les limites de cette garantie résultent de dispositions figurant dans le même code », renvoyant notamment à la partie réglementaire. La garantie n’est donc ni discrétionnaire ni négociée, mais bornée par la loi, qui organise plafonds, périodes protégées et conditions d’intervention.

Cette affirmation écarte, avec justesse, un cantonnement artificiel aux seules périodes antérieures au jugement d’ouverture. Elle replace la discussion sur le terrain des bornes légales, plutôt que des conclusions adverses. Le débat utile devient alors celui de la correcte application des seuils, périodes et plafonds réglementaires, au regard des étapes de la procédure collective.

B. Fixation judiciaire des créances et office du mandataire
Ayant posé le cadre, la cour valide la méthode suivie en première instance. « Dès lors, c’est sans enfreindre ces dispositions que les premiers juges ont fixé la créance », souligne-t-elle, en rappelant l’office du juge prud’homal en matière de fixation. La détermination des montants relève en effet de la compétence juridictionnelle, sous réserve des contraintes légales de garantie.

La décision lie ensuite la fixation au travail de ventilation du mandataire, « à charge pour le mandataire liquidateur d’établir un relevé de créances tenant compte des différentes étapes de la procédure collective ». La cohérence d’ensemble est préservée, puisque la régulation de la prise en charge s’effectue à l’interface de la décision fixant et du relevé appliquant les limites. Cette articulation prépare l’analyse spécifique des créances de rupture issues d’une résiliation judiciaire.

II. Les créances de rupture issues d’une résiliation judiciaire postérieure à la liquidation

A. L’impulsion européenne et l’alignement de la jurisprudence
La cour inscrit son raisonnement dans une dynamique européenne et nationale récente. Sur le plan européen, la CJUE a jugé que la directive 2008/94/CE « s’oppose à ce qu’une réglementation nationale exclut de la couverture des créances les sommes dues lorsque le travailleur a pris acte de la rupture de son contrat de travail ». Le principe est celui d’une protection effective des salariés contre l’insolvabilité, y compris lorsque la rupture procède d’une initiative du salarié.

Sur le plan interne, la Cour de cassation a retenu que la garantie couvre « les créances impayées résultant de la rupture d’un contrat de travail, lorsque le salarié obtient la résiliation judiciaire de celui-ci en raison de manquements suffisamment graves de son employeur empêchant la poursuite dudit contrat ». L’alignement est net : la résiliation judiciaire peut générer des créances garanties, sous réserve des conditions légales, spécialement temporelles.

B. La condition temporelle décisive de l’article L.3253-8, 2°
La cour rappelle ensuite la borne déterminante : la rupture doit intervenir pendant l’une des périodes visées par l’article L.3253-8, 2°. L’exigence est claire et objective, indépendante de la qualification de la rupture, et centrée sur sa date juridique. Dans cette espèce, la résiliation a été « fixée au jour du jugement », date postérieure de plus de quinze jours à la liquidation, sans appel incident du salarié sur ce chef.

Partant, malgré l’ouverture européenne et la clarification de la Cour de cassation, l’absence de concordance temporelle prive la créance de la garantie. La cour conclut sans ambiguïté : « la garantie n’est pas due, et la décision doit être infirmée ». La solution est juridiquement cohérente, car elle préserve à la fois le champ matériel élargi de la garantie, et la rigueur des conditions temporelles qui en assurent la prévisibilité.

L’arrêt offre ainsi une double leçon pratique. La prise en charge des salaires demeure gouvernée par un mécanisme légal, dont le juge fixe les créances et le mandataire applique les bornes. La protection des créances de rupture, bien que confortée par l’évolution européenne et nationale, requiert une vigilance accrue sur la date de rupture, qui conditionne à elle seule l’intervention effective de la garantie.

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