Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 11 septembre 2025, n°21/10859

La cour d’appel d’Aix-en-Provence, 11 septembre 2025, statue sur les suites d’une opération tripartite de vente, maintenance et location financière d’un matériel de bureautique. L’arrêt interroge la possibilité d’une indemnité de jouissance après caducité, hors toute stipulation contractuelle devenue inopposable.

Les faits utiles tiennent en peu de points. Un professionnel a conclu, en 2014, un bon de commande, un contrat de maintenance et un contrat de location financière prévoyant vingt et un loyers. Le prestataire de maintenance a cessé ses prestations, tandis que le matériel, privé de consommables, n’était plus exploitable. Le locataire n’a restitué l’appareil qu’en juin 2020.

Le tribunal judiciaire de Grasse, 17 juin 2021, a constaté la résiliation du contrat de maintenance et, par interdépendance, la caducité du contrat de location à l’été 2018. Il a cependant alloué une indemnité de jouissance calculée par référence aux loyers contractuels. En appel, les chefs relatifs à la résiliation et à la caducité ne sont pas remis en cause, la discussion ne portant que sur l’indemnité postérieure à la caducité. Ainsi, « Cependant, la cour constate qu’elle n’est pas saisie d’une demande d’infirmation des deux chefs de jugement précédemment énumérés. »

Les prétentions s’opposent clairement. Le loueur revendique une indemnité pour la rétention jusqu’à la restitution, voire l’anatocisme, au besoin sur le terrain d’un enrichissement sans cause. Le locataire soutient l’inapplicabilité des stipulations contractuelles après la caducité, conteste toute jouissance effective et invoque la charge de la preuve de la valeur de la chose. La question porte donc sur le fondement, l’étendue et les conditions probatoires d’une éventuelle indemnité de jouissance après caducité, en l’absence de clause opératoire.

La cour répond en deux temps. Elle rappelle d’abord la règle de principe gouvernant la restitution en cas de caducité, puis elle en précise l’assiette et la preuve, pour finalement rejeter la demande indemnitaire.

I – La reconnaissance d’une indemnité de jouissance postérieure à la caducité

A – Fondement extra‑contractuel de la jouissance restituée

L’arrêt opère une dissociation nette entre la clause de privation de jouissance, inopposable après caducité, et le mécanisme légal de restitution. Le raisonnement s’adosse à une affirmation de principe qui structure la solution: « Il est de principe que la caducité met fin au contrat et qu’elle peut donner lieu à restitution, étant précisé que la restitution inclut les fruits et la valeur de la jouissance que la chose a procurée. » La cour place ainsi l’indemnité éventuelle sur le terrain restitutoire, indépendamment des stipulations contractuelles devenues caduques.

Cette orientation emporte une conséquence méthodologique claire. L’indemnité n’est ni l’application d’une clause pénale, ni un prolongement artificiel du loyer, mais l’évaluation autonome d’une valeur de jouissance, détachée du prix de location. Il s’agit d’une dette de restitution, gouvernée par les principes généraux, et non d’une dette née de l’exécution du contrat caduc.

B – Encadrement temporel par la bonne foi et la première demande

La cour encadre ensuite la période susceptible d’ouvrir droit, en retenant un point de départ lié à la première interpellation utile. Le rappel des intérêts en matière de restitution éclaire ce choix temporel et la prise en compte de la bonne foi du détenteur: « En outre, celui qui est condamné à restituer une somme indûment perçue doit les intérêts du jour de la demande s’il était de bonne foi et du jour du paiement s’il n’était pas de bonne foi. » Par analogie, l’exigibilité de la contre‑valeur de jouissance n’excède pas ce qui est loyalement réclamé à compter de la première demande caractérisée.

Ce bornage, combiné avec la date de restitution effective, restreint l’assiette possible. Il traduit une approche mesurée de la réparation, refusant toute automaticité et privilégiant la cohérence entre interpellation, bonne foi et durée de la rétention.

II – L’exigence probatoire et la neutralisation de l’indemnité faute de jouissance

A – Charge de la preuve: valeur objective et utilité concrète

Sur le quantum, la cour exige des éléments objectifs établissant la valeur de la chose, distincts des loyers contractuels ou du coût d’acquisition. Elle souligne que ces montants agrègent des rémunérations et ne constituent qu’une indication parcellaire. L’auteur de la demande doit donc rapporter la preuve spécifique de la valeur de jouissance, ce qui commande une démonstration économique et technique, et non une simple transposition du prix.

Cette rigueur probatoire évite de transformer la restitution en pénalité implicite. Elle impose d’isoler la valeur d’usage réellement procurée pendant la période retenue, afin de ne pas confondre rémunération contractuelle éteinte et indemnisation restitutoire ciblée.

B – Interdépendance des contrats et absence de jouissance effective

La cour articule enfin l’interdépendance contractuelle et l’état matériel de la chose. La cessation de la maintenance a rendu le matériel inopérant, de sorte qu’aucune jouissance utile n’est démontrée pendant la période envisagée. L’arrêt en tire la conséquence décisive, infirmant la solution de première instance et écartant l’indemnité réclamée, faute d’utilité concrète imputable à la détention.

L’argument d’un enrichissement sans cause se trouve ainsi neutralisé par le constat d’inutilité et l’insuffisance des preuves produites. En l’absence de jouissance avérée et de base d’évaluation fiable, la restitution ne peut excéder la réalité économique, ce qui conduit au rejet de la demande indemnitaire. « Ensuite, si, effectivement, le contrat de location est caduc depuis le 26 juillet 2018 et si la clause contractuelle prévoyant une indemnité privative de jouissance n’est donc plus opposable au locataire, il n’en demeure pas moins qu’il est de principe, comme ci-dessus rappelé que la caducité met fin au contrat et qu’elle peut donner lieu à restitution. »

Ainsi, la cour d’appel d’Aix‑en‑Provence fixe un cadre exigeant: admission de principe d’une indemnité de jouissance sur le terrain de la restitution, mais refus en l’espèce pour défaut de preuve de la valeur et d’une jouissance effective, dans un contexte d’interdépendance ayant rendu la chose inutilisable.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture