Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 11 septembre 2025, n°22/01061

Rendue par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence le 11 septembre 2025, la décision commente un licenciement disciplinaire d’une salariée intervenant la nuit au domicile de personnes dépendantes. Le contrat à durée indéterminée prévoyait une clause de mobilité fixant un périmètre d’intervention à quarante‑cinq kilomètres ou soixante minutes, conditions conçues comme alternatives. Deux affectations de nuit sont proposées au début d’avril 2019 et refusées par l’intéressée comme situées hors zone.

Après mises en demeure, l’employeur convoque la salariée et prononce un licenciement pour faute grave. Le Conseil de prud’hommes de Grasse, le 23 décembre 2021, retient une cause réelle et sérieuse et alloue notamment des sommes relatives aux présences nocturnes. L’employeur interjette appel, la salariée forme appel incident en contestant la rupture et en sollicitant des rappels de salaires, des dommages‑intérêts et des compléments sur la présence de nuit.

La cour déclare l’appel recevable et borne sa saisine aux prétentions articulées. La question porte d’abord sur la mise en œuvre loyale de la clause de mobilité, la légitimité du refus d’exécution, et la caractérisation de la faute grave. Elle porte ensuite sur l’indemnisation spécifique des présences nocturnes et la charge de la preuve du paiement. La cour retient l’exigence classique selon laquelle « La cause du licenciement doit être objective et reposer sur des faits matériellement vérifiables. » Elle confirme la conformité des affectations au périmètre contractuel, valide la faute grave, et ajuste le solde dû au titre des présences nocturnes.

I. La qualification de la faute au regard de la clause de mobilité

A. L’office du juge et l’exigence d’un délai disciplinaire restreint

La cour rappelle le cadre du contrôle en soulignant que « Si la lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les griefs formulés à l’encontre du salarié et les conséquences que l’employeur entend tirer quant aux modalités de rupture, il appartient au juge du fond, qui n’est pas lié par la qualification donnée au licenciement, de vérifier la réalité des faits invoqués et reprochés au salarié et de les qualifier, puis de décider s’ils constituent une cause réelle et sérieuse au sens de l’article L 1232-1 du code du travail à la date du licenciement, l’employeur devant fournir au juge les éléments permettant de retenir le caractère réel et sérieux du licenciement. » L’examen est donc complet, tant sur la matérialité que sur la qualification des manquements.

La cour contrôle ensuite la célérité de la procédure. Elle rappelle que « La tardiveté de la mise en oeuvre de la procédure de licenciement tend à démontrer que les faits, s’ils peuvent justifier un licenciement pour faute simple, ne peuvent cependant recevoir la qualification de faute grave, laquelle implique un départ immédiat de l’entreprise. » Ayant constaté la connaissance récente des derniers éléments et une convocation quatre jours plus tard, elle écarte toute tardiveté. La mise à pied conservatoire n’était pas imposée, la salariée ne se présentant plus sur le poste.

Enfin, la notion de faute grave est précisée par un attendu de principe, décisif ici : « La faute grave résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et la poursuite du contrat ; il incombe à l’employeur qui l’invoque et à lui seul d’en rapporter la preuve. » La cour retient une insubordination persistante, des refus réitérés d’exécution et les perturbations organisationnelles engendrées, rendant impossible la poursuite du contrat. Elle rappelle cependant que « Si un doute subsiste, il profite au salarié. » Ici, les éléments réunis dissipent ce doute.

B. La portée du périmètre contractuel et la distinction modification/changement

La clause de mobilité commande une application loyale et justifiée par l’intérêt de l’entreprise. La cour rappelle que « La clause de mobilité doit être appliquée de bonne foi pour des raisons objectives dictées par l’intérêt de l’entreprise ; lorsque l’employeur fait un usage abusif de la clause de mobilité, le refus du salarié de sa mutation n’est pas fautif et rend son licenciement consécutif dénué de cause réelle et sérieuse. » Elle vérifie concrètement le périmètre en recourant aux simulations d’itinéraires réalisées aux heures pertinentes.

La clause fixait des critères alternatifs, distance ou durée, et non cumulatifs. La cour retient la méthode de l’itinéraire optimal le plus court, à l’heure de départ programmée, et juge les deux affectations situées dans la zone contractuelle. L’affectation, sans modification d’horaire ni d’éléments essentiels, ne constitue qu’un changement des conditions de travail relevant du pouvoir de direction, et non une modification du contrat exigeant l’accord du salarié. Le refus d’exécution est donc dénué de légitimité, ce qui renforce la gravité des manquements retenus.

II. Valeur et portée de la solution

A. Cohérence normative et contrôle judiciaire de proportionnalité

La solution s’inscrit dans un cadre normatif maîtrisé. L’office du juge, rappelé avec précision, garantit le contrôle de la matérialité, de la qualification et de la proportionnalité de la sanction. La référence au délai restreint, appréciée in concreto, conforte la rigueur exigée pour la faute grave. L’usage de la clause de mobilité, apprécié au regard de l’intérêt de l’entreprise et de la bonne foi, évite les détournements et sécurise l’exercice du pouvoir de direction.

La méthode d’appréciation du périmètre, fondée sur l’itinéraire le plus court et l’horaire pertinent, renforce la prévisibilité contractuelle. Elle est cohérente avec le caractère alternatif des critères fixés. Le raisonnement demeure mesuré, la cour rappelant que le doute profite au salarié, et s’assurant que la preuve réunie est suffisante pour emporter la qualification disciplinaire.

B. Enjeux pratiques pour les affectations et l’indemnisation des présences nocturnes

La décision éclaire l’opérationnalité des clauses de mobilité dans les services à la personne. Les employeurs doivent documenter les affectations, justifier l’horaire de référence et l’itinéraire optimal, et informer utilement le salarié. Les salariés demeurent protégés contre un usage abusif, la charge probatoire incombant à l’employeur et le doute profitant à l’exécutant. La frontière entre modification contractuelle et simple changement de conditions est ici réaffirmée avec clarté.

S’agissant des présences nocturnes, la cour applique la convention collective, dont elle rappelle la règle précise d’indemnisation: « –le salarié bénéficie d’une indemnisation particulière forfaitaire s’il a la nécessité de dormir hors de chez lui, soit une indemnité de 10 € ; –le salarié bénéficie d’une indemnisation particulière forfaitaire supplémentaire s’il n’y pas d’autre adulte responsable que lui au domicile de la personne aidée, soit une indemnité de 10 €. » Elle fixe un solde dû après déduction des sommes déjà acquittées, écartant la demande de restitution faute de preuve. La charge probatoire est ordonnée, conformément à l’attendu selon lequel « La bonne foi contractuelle étant présumée, il incombe au salarié de rapporter la preuve que les faits qu’il allègue sont exclusifs de la bonne foi contractuelle. »

Cette articulation protège la sécurité juridique des affectations tout en assurant l’effectivité des droits pécuniaires liés aux gardes de nuit. Elle fournit un guide opérationnel pour la rédaction et la mise en œuvre des clauses de mobilité, ainsi que pour la traçabilité des indemnités spécifiques attachées aux interventions nocturnes.

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