Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 11 septembre 2025, n°23/15542

Par un arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 11 septembre 2025, la juridiction tranche un appel dirigé contre un jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Marseille du 25 mai 2023. Le litige oppose un assuré à un organisme de sécurité sociale au sujet d’une demande indemnitaire fondée sur la responsabilité délictuelle prétendument engagée lors du traitement d’une déclaration d’accident du travail anciennement formulée.

Les faits tiennent à un accident survenu en 1989, déclaré à l’organisme en 2004, suivi d’un refus de prise en charge pour prescription. S’ensuivit un contentieux multiple. Par arrêt du 17 février 2006, la cour d’appel de Besançon a jugé prescrite l’action en reconnaissance de faute inexcusable. Par arrêt du 17 janvier 2008, la Cour de cassation a déclaré prescrite la demande de reconnaissance du caractère professionnel de l’accident et dit n’y avoir lieu à renvoi. En 2018, l’assuré a introduit une action en responsabilité contre l’organisme, réclamant divers préjudices financiers et moraux en lien avec la gestion de son dossier.

En première instance, le recours a été déclaré irrecevable pour défaut de saisine préalable de la commission de recours amiable. En appel, l’assuré sollicite l’infirmation du jugement, la reconnaissance de la compétence de la juridiction sociale, puis la condamnation indemnitaire. L’organisme conclut à la confirmation, invoque l’irrecevabilité, l’incompétence, l’autorité de la chose jugée, et réclame des dommages-intérêts pour procédure abusive.

La question de droit présentée est double. D’une part, déterminer si l’action en responsabilité fondée sur des manquements allégués à la législation de sécurité sociale relève du contentieux général, sans saisine préalable de la commission de recours amiable. D’autre part, apprécier si, malgré la prescription définitivement jugée des actions relatives à l’accident, une faute de l’organisme est caractérisable, de nature à justifier réparation.

La cour infirme d’abord le jugement sur la recevabilité. Elle retient la compétence du contentieux général pour l’action en responsabilité et écarte l’exigence d’un recours préalable. Elle rejette ensuite, au fond, toute faute imputable à l’organisme, la prescription acquise dispensant ce dernier de traiter des demandes irrecevables et d’en tirer effet. Elle refuse enfin de sanctionner l’appel pour abus, faute de préjudice distinct établi, tout en allouant des frais irrépétibles.

I. Le sens de la décision: compétence du contentieux général et neutralisation de la faute par la prescription

A. L’affirmation de compétence de la juridiction sociale et l’absence d’exigence de recours amiable
La cour rappelle le cadre légal du contentieux général en citant l’ancien article L. 142-1 du code de la sécurité sociale: « Il est institué une organisation du contentieux général de la sécurité sociale. Cette organisation règle les différends auxquels donne lieu l’application des législations et réglementations de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole, et qui ne relèvent pas, par leur nature, d’un autre contentieux ». Elle en déduit que le périmètre couvre « l’ensemble des litiges de caractère individuel se rapportant à l’application des lois et règlements régissant les régimes légaux de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole ».

S’appuyant sur une jurisprudence constante, la cour précise que l’action en responsabilité, lorsqu’elle est fondée sur la violation de la législation de sécurité sociale, relève de cette compétence, qu’elle soit principale ou incidente. Elle ajoute qu’« l’action visant à mettre en cause la responsabilité d’un organisme de sécurité sociale peut être engagée sans saisine préalable de la commission de recours amiable ». Ce rappel conduit à accueillir la recevabilité du recours, sans qu’une fin de non-recevoir tirée de l’absence de recours amiable ne puisse prospérer.

B. L’impossibilité de caractériser une faute en présence d’actions définitivement prescrites
Sur le fond, la cour se place sur le terrain de l’article 1240 du code civil, qu’elle cite: « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Elle confronte ce principe aux décisions définitives antérieures ayant tranché la prescription des actions relatives à l’accident et à la faute inexcusable.

Constatant que l’action en reconnaissance du caractère professionnel et celle en faute inexcusable ont été déclarées prescrites par les arrêts précités, la cour déduit que l’organisme « n’ayant pas à traiter des demandes irrecevables pour prescription, elle ne peut avoir commis de faute ni dans le respect des procédures afférentes, ni dans le versement d’une quelconque prestation ». L’absence d’obligation corrélative emporte absence de manquement, ce qui fait obstacle à toute indemnisation sur le fondement délictuelle.

II. Valeur et portée: cohérence du raisonnement et enseignements pour la pratique du contentieux social

A. Une solution conforme à la logique de causalité et à la délimitation de l’office du juge social
La solution apparaît en adéquation avec l’article 1240 du code civil, à la condition rappelée du lien de causalité entre faute et dommage. Lorsque la prescription est définitivement constatée, l’organisme n’a plus l’obligation de statuer au fond, de sorte que la seule privation de prestations corrélatives ne résulte pas d’une faute imputable mais de la forclusion.

La cour prend soin d’écarter l’autorité de la chose jugée quant à l’objet de la présente demande, limitée à la responsabilité délictuelle, sans revisiter le débat clos sur la reconnaissance de l’accident. Elle maintient ainsi une ligne claire entre l’absence d’atteinte à l’office du juge de l’indemnisation et le respect des effets des décisions antérieures. En filigrane, elle rappelle que l’éventuelle mise en cause de l’organisme suppose d’identifier un manquement autonome, distinct de la décision de refus, et d’en établir l’efficacité causale.

B. Une clarification utile sur la compétence, la CRA et l’abus de recours
La décision conforte la compétence du pôle social pour connaître des actions en responsabilité liées à l’application de la législation de sécurité sociale, et ce sans saisine préalable de la commission de recours amiable. Cette précision, renforcée par la référence aux arrêts de la deuxième chambre civile, sécurise la voie procédurale des recours indemnitaires dirigés contre un organisme.

La cour évoque l’hypothèse d’un abus de recours en appel, notant que « l’action en justice […] est ainsi susceptible de dégénérer en abus du droit d’exercer un appel ». Elle refuse toutefois d’allouer des dommages-intérêts à défaut de préjudice distinct avéré. L’enseignement est double. D’une part, l’abus ne se présume pas et requiert la preuve d’un dommage spécifique. D’autre part, la sanction des dérives procédurales n’exonère pas l’examen précis de la base légale de la responsabilité alléguée, qui demeure ici neutralisée par l’autorité des prescriptions acquises.

En définitive, l’arrêt conjugue une recevabilité pleine et entière de l’action en responsabilité devant la juridiction sociale avec un contrôle exigeant du fond, où la prescription antérieure éteignant toute obligation de l’organisme écarte la faute et rompt le lien causal, tandis que le grief d’abus se heurte à l’exigence d’un préjudice distinct.

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