Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 11 septembre 2025, n°24/05723

Rendue par la Cour d’appel d’Aix‑en‑Provence le 11 septembre 2025, la décision commente les conséquences d’une saisie‑attribution pratiquée pour recouvrer des redevances issues d’un bail d’implantation sur une parcelle de terrain. Elle intervient après un long contentieux relatif à un bail emphytéotique résilié par la Cour d’appel de Lyon le 22 septembre 2022, un intermède cassatoire le 3 décembre 2020, puis l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire affectant la société exploitante. Les occupants contestent la saisie en invoquant le dessaisissement, la qualité à agir et une exception d’inexécution fondée sur l’absence de services inclus dans la redevance.

La procédure a débuté devant le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Draguignan, par un jugement du 9 avril 2024 validant la saisie mais en la cantonnant au seul arriéré de loyers, les charges demeurant injustifiées. Devant la Cour d’appel d’Aix‑en‑Provence, les appelants sollicitent la nullité de l’exécution et la reconnaissance d’une inexécution contractuelle partielle, les intimés demandant la confirmation, subsidiairement la reconnaissance d’un cas de force majeure. La question ainsi posée tient, d’une part, à l’invocation possible du dessaisissement pour anéantir un acte d’exécution et, d’autre part, à la portée d’une exception d’inexécution dans un bail de parcelle, spécialement quant aux services et charges. La Cour confirme intégralement, jugeant inopérant le moyen tiré du dessaisissement, retenant la qualité à agir de la titulaire du titre exécutoire, écartant l’exception d’inexécution faute de privation de jouissance, tout en confirmant le cantonnement pour défaut de preuve des charges.

I. La validité de la saisie-attribution à l’épreuve du dessaisissement et des titres

A. L’invocation du dessaisissement, prérogative du seul liquidateur

La Cour reprend mot pour mot la formule de principe dégagée par la troisième chambre civile: « il est jugé que la règle du dessaisissement de l’article L. 641‑9 du code de commerce étant édictée dans l’intérêt des créanciers, seul le liquidateur peut se prévaloir de l’inopposabilité d’un acte juridique accompli par le débiteur au mépris de cette règle, à condition que l’acte concerne les droits et actions inhérents à l’administration et à la disposition des biens dont le débiteur est dessaisi par l’effet du jugement de liquidation judiciaire (3e Civ., 2 mars 2022, n° 20‑16.787) ». Les débiteurs ne peuvent donc exciper du dessaisissement pour obtenir la nullité d’une saisie qui ne lèse pas leurs droits propres, mais l’ordre collectif.

La formation d’appel ajoute que la mesure litigieuse « est un acte de procédure d’exécution forcée et non un acte de procédure », avant de constater la ratification expresse par le liquidateur. L’articulation retenue sécurise l’exécution, puisqu’un vice tiré de l’intervention d’un débiteur dessaisi peut être couvert par l’organe de la procédure collective. Cette approche, protectrice de l’égalité des créanciers, limite les détournements stratégiques du dessaisissement par les débiteurs saisis.

La solution, cohérente avec l’économie de l’article L. 641‑9 du code de commerce, ménage cependant une zone de tolérance: la validité de l’exécution tient parfois à une ratification a posteriori. Ce mécanisme évite l’anéantissement automatique des actes et préserve la célérité des poursuites, tout en réservant au liquidateur la possibilité d’en contester l’opportunité.

B. Le maintien de la qualité à agir du titulaire du titre malgré la location‑gérance

La Cour rappelle que le titre exécutoire résulte d’un bail authentique et n’a pas été transféré par la location‑gérance au profit de l’exploitant. Le contrat d’exploitation confère l’usage du fonds, non la titularité du titre ni la créance procédant du bail d’implantation. Le créancier originaire conserve, dès lors, qualité pour recouvrer les redevances et diligenter une saisie sur la base de l’acte notarié.

Ce raisonnement dissocie à bon droit la sphère des rapports d’exploitation et le lien d’obligation né du bail de parcelle. Il évite la confusion des flux contractuels et des titres, spécialement lorsque l’exploitant est soumis à une procédure collective. La présence conjointe du liquidateur, au surplus, garantit la circulation des fonds dans l’intérêt de la masse.

Cette clarification des qualités à agir achève d’écarter toute cause de nullité de la saisie née de l’architecture contractuelle, ce qui conduit logiquement à examiner l’exception d’inexécution opposée quant au fond.

II. L’exception d’inexécution sous bail de parcelle et le sort des charges

A. L’exigence d’une privation de jouissance au regard de l’objet du bail

La Cour confirme l’analyse du premier juge: malgré des défaillances d’entretien, les occupants ne démontrent pas avoir été privés de la jouissance de la parcelle. Elle se fonde sur l’objet contractuel, la convention stipulant une utilisation « que pour l’implantation d’une habitation légère de loisirs », la parcelle et l’habitation légère « ne pouvant être utilisées à l’usage d’habitation, de commerce, industrie ou d’une profession quelconque ».

En matière de bail de terrain à usage récréatif, l’obligation essentielle du bailleur tient à la mise à disposition de la parcelle et au maintien d’un accès utile. Des manquements relatifs à des services accessoires ne justifient qu’une réduction ou des dommages‑intérêts, sauf impossibilité d’usage caractérisée. La Cour écarte donc l’exception d’inexécution totale, qui suspendrait la redevance, faute d’atteinte substantielle à la jouissance convenue.

Cette méthode, centrée sur l’objet du contrat, évite l’assimilation aux baux d’habitation où la destination résidentielle commande d’autres standards. Elle invite les occupants à préférer des voies de réduction proportionnée, accompagnées de preuves circonstanciées de la gravité des troubles.

B. La preuve des charges et le cantonnement de la saisie

La juridiction d’appel confirme par ailleurs l’absence de justificatifs des charges réclamées. Les décomptes précis, factures et clés de répartition font défaut, malgré des injonctions judiciaires antérieures adressées dans un litige connexe. La partie poursuivante, faute de preuve, ne peut comprendre ces sommes dans l’assiette de la saisie.

La Cour rappelle utilement que « la saisie‑attribution pratiquée pour un montant erroné n’est pas affectée dans sa régularité mais seulement validée à concurrence des sommes dues ». Le cantonnement, déjà opéré en première instance, est ainsi maintenu: seuls les loyers, dûment exigibles pour la période non couverte par la résiliation du bail emphytéotique, demeurent exécutoires.

Cette solution équilibre exigence probatoire et efficacité de l’exécution. Elle évite l’annulation globale d’une mesure régulière en son principe, tout en sanctionnant l’insuffisance des justificatifs pour les charges. Elle trace une ligne claire pour les exploitants de domaines de loisirs quant à la tenue comptable et à la transparence des refacturations.

Au total, l’arrêt articule de manière convaincante le régime protecteur du dessaisissement, la stabilité des titres exécutoires et une lecture finaliste de l’objet du bail pour apprécier l’exception d’inexécution, tout en disciplinant la preuve des charges par le cantonnement de l’exécution.

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