Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 12 août 2025, n°21/06249

La responsabilité de l’agent immobilier à l’égard de l’acquéreur évincé constitue un contentieux récurrent dont les contours demeurent délicats à appréhender. La cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans un arrêt rendu le 12 août 2025, apporte un éclairage utile sur les conditions de mise en œuvre de cette responsabilité délictuelle.

En l’espèce, des indivisaires, propriétaires de locaux donnés à bail commercial, avaient confié un mandat exclusif de vente à une agence immobilière. Celle-ci avait délégué sa mission à une seconde agence. Un acquéreur potentiel avait transmis une offre d’achat inférieure au prix du mandat. Par courrier du 27 décembre 2011, l’agence mandataire avait informé l’agence délégataire que ses clients étaient « disposés à accepter l’offre » selon certaines conditions. Le 9 janvier 2012, l’agence mandataire avait toutefois informé le notaire qu’une offre plus intéressante avait été reçue. L’acquéreur évincé avait alors assigné les propriétaires pour faire déclarer la vente parfaite. Débouté par jugement du 21 mars 2016, confirmé par arrêt du 13 juillet 2018, il avait ensuite recherché la responsabilité délictuelle de l’agence immobilière.

Le tribunal judiciaire de Nice, par jugement du 6 avril 2021, avait débouté l’acquéreur de ses demandes indemnitaires et rejeté la demande reconventionnelle de l’agence. L’acquéreur a relevé appel de cette décision.

La cour d’appel était saisie de deux questions principales. D’une part, l’agence immobilière avait-elle commis une faute engageant sa responsabilité délictuelle en formulant une contre-proposition sans disposer du pouvoir exprès de ses mandants ? D’autre part, la demande reconventionnelle de l’agence en dommages-intérêts était-elle prescrite ?

La cour d’appel d’Aix-en-Provence confirme le rejet des demandes de l’acquéreur. Elle infirme toutefois partiellement le jugement en déclarant irrecevable pour prescription la demande reconventionnelle de l’agence.

Cette décision mérite analyse tant au regard de l’appréciation de la faute de l’agent immobilier dans ses rapports avec l’acquéreur potentiel (I) que des conditions de recevabilité de l’action en responsabilité de l’agent immobilier contre l’acquéreur (II).

I. L’absence de faute de l’agent immobilier dans la transmission d’une contre-proposition

La cour procède à une analyse rigoureuse des conditions de la responsabilité délictuelle de l’agent immobilier (A), avant de caractériser l’absence de comportement fautif en l’espèce (B).

A. Le rappel du cadre juridique de la responsabilité délictuelle de l’agent immobilier

La cour rappelle qu’« en l’absence de lien contractuel direct » entre l’acquéreur et l’agence immobilière, la responsabilité de cette dernière « ne peut être recherchée par l’acquéreur que sur le fondement délictuel de l’article 1240 du code civil ». Ce fondement exige la démonstration d’une « faute en relation de causalité avec un préjudice subi ».

La cour précise ensuite le contenu de l’obligation pesant sur l’agent immobilier. Elle énonce que « tout manquement à son devoir de conseil ou de loyauté envers l’acquéreur exige la preuve que l’agent immobilier a en toute connaissance de cause, excédé son mandat et proposé une offre qui ne correspondait pas à celle que les propriétaires avaient acceptée ». Elle ajoute que doit également être rapportée la preuve qu’il « a tenté de tromper l’acquéreur par des manoeuvres frauduleuses sur les conditions de la vente ».

Cette formulation établit une double exigence probatoire. L’acquéreur doit démontrer soit un dépassement conscient du mandat, soit des manœuvres frauduleuses. La simple erreur ou négligence ne saurait suffire. La cour se place ainsi dans une conception restrictive de la faute de l’intermédiaire immobilier, conforme à la jurisprudence traditionnelle qui distingue le mandataire d’entremise du mandataire de conclusion.

B. La qualification du courrier litigieux en simple élément de pourparlers

La cour procède à une analyse minutieuse du courrier du 27 décembre 2011 pour en déterminer la nature juridique. Elle relève que « l’offre faite par M. [W] le 16 décembre 2011 ne correspondait pas à l’offre de vente du mandat en ce qu’elle lui était inférieure ». Elle en déduit que « le courrier du 27 décembre 2011 ne peut donc être interprété que comme une contre-proposition à cette offre d’achat ».

La cour souligne que ce courrier était adressé non pas à l’acquéreur mais « à l’agent immobilier qu’elle s’était déléguée ». Elle relève la formulation employée : « Cher confrère, mes clients sont disposés à accepter l’offre ». Cette rédaction caractérise selon la cour un échange entre professionnels dans le cadre de pourparlers.

La cour retient que l’acquéreur « ne pouvait voir dans cette proposition que la poursuite des pourparlers avec les propriétaires dès lors que son offre d’achat n’était pas conforme aux termes du mandat ». Elle ajoute que cette analyse s’imposait « d’autant qu’il était en capacité de comprendre du fait de sa profession d’avocat, les termes de la négociation et son absence de conséquences juridiques sans l’accord des propriétaires ».

Cette motivation met en exergue l’importance des qualités personnelles du destinataire dans l’appréciation de la portée d’une communication. Un professionnel du droit ne saurait se prévaloir d’une erreur sur la nature juridique d’un document qu’un profane aurait pu commettre. La cour écarte également toute « manoeuvre frauduleuse », le fait d’informer l’acquéreur de la réception d’une offre supérieure « n’étant pas de nature à constituer des manoeuvres dolosives » mais procédant « uniquement de l’exécution du mandat de vente ».

II. L’irrecevabilité pour prescription de la demande reconventionnelle de l’agent immobilier

La cour se prononce sur le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité (A) et en tire les conséquences sur la recevabilité de la demande (B).

A. La détermination du point de départ de la prescription

La cour rappelle les dispositions de l’article 2224 du code civil selon lesquelles « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Elle doit déterminer à quelle date l’agence immobilière a eu connaissance des faits fondant son action.

L’agence soutenait que l’acquéreur, en engageant une procédure en vente forcée, l’avait privée de percevoir sa commission sur la vente acceptée par un tiers. La cour précise que « le point de départ de la prescription doit être fixé à la date de réalisation du risque auquel la victime s’est trouvée exposée du fait de la faute ». Elle retient que « la manifestation du dommage subi par la SARL Azurmer Immobilier ne peut résulter que de faits susceptibles de lui révéler l’impossibilité d’obtenir la commission prévue ».

La cour identifie cette date comme celle du « terme de l’engagement » du tiers acquéreur. L’offre de ce dernier, datée du 7 janvier 2012, comportait un terme fixé au 29 février 2012 « au-delà de laquelle l’offre deviendra caduque ». La cour constate que ce tiers « n’a pas maintenu son offre d’achat qui est par voie de conséquence devenue caduque le 29 février 2012 ».

Cette analyse retient une conception objective du point de départ de la prescription. Le dommage s’est manifesté à une date certaine, celle de la caducité de l’offre, indépendamment de toute appréciation subjective de la connaissance effective par l’agence de l’impossibilité de percevoir sa commission.

B. Les conséquences de l’écoulement du délai quinquennal

La cour constate que l’agence « n’a formé sa demande que dans ses conclusions du 5 février 2018 ». Elle en déduit qu’« à cette date sa demande en dommages et intérêts était couverte par la prescription », le délai de cinq ans ayant expiré le 29 février 2017.

La cour infirme le jugement de première instance « en ce qu’il a débouté la SARL Azurmer Immobilier de sa demande en dommages et intérêts » et déclare « cette demande irrecevable pour prescription ». Cette solution substitue à un rejet au fond un rejet pour irrecevabilité, modification qui n’est pas neutre sur le plan procédural.

La fin de non-recevoir tirée de la prescription avait fait l’objet d’un contentieux incident. Le conseiller de la mise en état s’était initialement déclaré compétent pour en connaître avant que la cour, par arrêt de déféré du 14 mars 2023, ne juge qu’il n’était pas compétent pour statuer sur cette fin de non-recevoir. Cette question relevait donc de la compétence de la cour statuant au fond.

Cette décision illustre la rigueur avec laquelle les juridictions apprécient le point de départ de la prescription en matière de responsabilité civile. L’agent immobilier qui entend agir contre un acquéreur dont le comportement procédural lui aurait causé un préjudice doit veiller à respecter scrupuleusement le délai quinquennal, dont le point de départ peut être antérieur à l’issue définitive du contentieux principal.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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