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La prescription de l’action en recouvrement de l’indu constitue un mécanisme protecteur des professionnels de santé face aux réclamations tardives des organismes de sécurité sociale. L’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence le 13 juin 2025 illustre avec une particulière acuité les conséquences de l’inaction d’une caisse primaire d’assurance maladie dans l’exercice de ses prérogatives.
Une infirmière libérale conventionnée avait fait l’objet d’un contrôle administratif de sa facturation portant sur la période du 1er octobre 2015 au 30 septembre 2016. Le 29 mai 2017, la caisse lui avait notifié un indu de 52 888,57 euros pour diverses anomalies de facturation. Le 11 décembre 2017, une pénalité financière de 10 000 euros lui avait également été notifiée. La professionnelle avait contesté ces deux décisions devant le tribunal des affaires de sécurité sociale. Par jugement du 15 septembre 2022, le tribunal judiciaire de Nice avait validé l’indu pour un montant de 52 644,97 euros et confirmé la pénalité financière. L’infirmière avait interjeté appel le 14 octobre 2022.
Devant la cour d’appel, l’appelante soulevait la prescription de l’action en recouvrement, faisant valoir que la caisse n’avait émis aucune mise en demeure et n’avait pas déposé de conclusions avant l’expiration du délai. La caisse soutenait que la prescription quinquennale devait s’appliquer en raison de la fraude alléguée et que la saisine du tribunal par la professionnelle avait interrompu la prescription de sa propre action.
La question posée à la cour était de déterminer si l’action en recouvrement de l’indu et de la pénalité financière était prescrite, et plus précisément si le non-respect des règles de facturation pouvait être qualifié de fraude justifiant l’application de la prescription quinquennale.
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence infirme le jugement et déclare la caisse irrecevable en ses actions en recouvrement tant de l’indu que de la pénalité financière. Elle retient que « le non-respect des règles de facturation reproché caractérise l’indu et non une fraude » et que la prescription triennale s’applique. Elle juge que la caisse, seule titulaire de son action en recouvrement, ne pouvait invoquer l’effet interruptif de la saisine du tribunal par la professionnelle.
L’arrêt présente un double intérêt. Il précise la distinction entre faute et fraude pour déterminer le délai de prescription applicable (I) et rappelle le caractère relatif de l’interruption de la prescription (II).
I. La distinction entre faute et fraude dans la détermination du délai de prescription
La cour opère une qualification rigoureuse des faits reprochés à la professionnelle (A) avant d’en tirer les conséquences sur le régime de prescription applicable (B).
A. La qualification des faits au regard des définitions légales
L’article L.133-4 du code de la sécurité sociale prévoit que l’action en recouvrement de l’indu « se prescrit par trois ans, sauf en cas de fraude, à compter de la date de paiement de la somme indue ». La notion de fraude, qui permet d’écarter la prescription triennale au profit de la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil, revêt donc une importance considérable.
La cour relève que l’article R.147-11 du code de la sécurité sociale définit limitativement les cas de fraude comme « les faits commis dans le but d’obtenir ou de faire obtenir un avantage ou le bénéfice d’une prestation injustifiée » lorsqu’est constatée l’une des circonstances suivantes : établissement ou usage de faux, falsification de documents, utilisation des facilités conférées par un emploi dans un organisme d’assurance maladie, bénéfice des activités d’une bande organisée, exercice non autorisé d’une activité pendant un arrêt de travail, ou « facturation répétée d’actes ou prestations non réalisées, de produits ou matériels non délivrés ».
La cour analyse méthodiquement les griefs reprochés. Le rapport administratif de contrôle concluait que « les deux premiers griefs soit la facturation à tort de frais de déplacements et des facturations non conformes à la prescription médicale relèvent de la faute et non de la fraude ». Cette analyse est déterminante car elle émane du service de contrôle lui-même.
B. L’application de la prescription triennale au non-respect des règles de facturation
La cour affirme que « le non-respect des règles de facturation n’est pas au nombre des faits constitutifs de fraude limitativement énumérés par les dispositions de l’article R.147-11 du code de la sécurité sociale ». Elle précise que « la fraude rendant applicable la prescription quinquennale est celle qui résulte d’un acte traduisant une intention de modifier la réalité pour obtenir un avantage ou une prestation injustifiée ».
Cette interprétation est confortée par le comportement même de la caisse. La cour relève que la lettre de notification de la procédure de pénalité financière indiquait que « le montant de cette pénalité ne pourra pas dépasser 50% du montant de la somme due », ce qui correspond au barème applicable à la faute et non à la fraude. La « fiche de synthèse avis » mentionnait expressément que « la qualification retenue du grief est la faute ». La décision du directeur fixant la pénalité financière ne se référait à aucun des cas de fraude prévus par l’article R.147-11.
La caisse se trouve ainsi liée par sa propre qualification. Elle ne peut soutenir devant le juge une position contradictoire avec celle adoptée lors de la procédure administrative. Cette cohérence exigée entre la phase administrative et la phase contentieuse constitue une garantie pour le professionnel de santé contrôlé.
II. Le caractère relatif de l’interruption de la prescription
La cour rappelle que seul le titulaire d’un droit peut interrompre la prescription de son action (A) et rejette l’argument tiré d’une prétendue exception en matière sociale (B).
A. L’exclusion de l’effet interruptif de la contestation du débiteur
La caisse soutenait que la saisine du tribunal par la professionnelle avait interrompu la prescription de sa propre action en recouvrement. La cour rejette fermement cet argument en rappelant que « seule constitue, pour le défendeur à une action, une demande en justice interrompant la prescription celle par laquelle il prétend obtenir un avantage autre que le simple rejet de la prétention de son adversaire ».
La cour énonce que la caisse « ne peut utilement arguer que la saisine de la juridiction de première instance par la professionnelle de santé de sa contestation de l’indu a pu avoir un effet interruptif de la prescription de sa propre action ». Elle souligne que la caisse « confond ainsi la prescription de son action en recouvrement, qu’elle seule peut interrompre pour être titulaire de ce droit, avec l’action en contestation de l’indu notifié par le professionnel de santé, titulaire de ce droit ».
Cette position s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle la saisine de la commission de recours amiable n’est pas interruptive ou suspensive de prescription au bénéfice de l’organisme social. La cour cite l’arrêt de la deuxième chambre civile du 3 avril 2014 à cet égard.
B. Le rejet de l’exception tirée des relations contractuelles
La caisse invoquait une jurisprudence de la chambre sociale selon laquelle les actes interruptifs auraient un effet au profit des deux parties lorsque demande principale et demande reconventionnelle procèdent des mêmes relations contractuelles. Elle faisait valoir que l’adhésion de la professionnelle à la convention nationale des infirmiers créait de telles relations.
La cour écarte cet argument avec netteté. Elle juge que « la caisse a engagé son action en recouvrement portant sur un indu qui ne résulte pas de l’exécution d’un même contrat avec la professionnelle de santé, mais en réalité du non-respect de règles légales ou réglementaires de facturation à l’assurance maladie ». L’adhésion à la convention nationale est « inopérante à déroger au principe posé par l’article 2219 du code civil, selon lequel la prescription extinctive est un mode d’extinction d’un droit résultant de l’inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps ».
Cette analyse distingue clairement le lien conventionnel unissant le professionnel à l’assurance maladie de la source de l’indu, qui réside dans la violation de dispositions légales et réglementaires. L’arrêt rappelle ainsi que la prescription de l’article L.133-4 du code de la sécurité sociale constitue un régime spécifique qui ne saurait être contourné par des raisonnements empruntés au droit du travail. La caisse devait agir dans le délai triennal en émettant une mise en demeure ou en déposant des conclusions aux fins de condamnation. Son inaction pendant plus de trois ans après la notification de l’indu lui est fatale.