Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 13 juin 2025, n°23/10222

Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 13 juin 2025, n° 2025/264. Un salarié intérimaire a déclaré un accident survenu le 21 mai 2021 lors d’un déplacement de sacs sur un chantier. L’employeur n’a pas établi de déclaration d’accident, mais a adressé un courrier évoquant des « réserves » et sollicitant un envoi des correspondances vers un centre administratif. La caisse a instruit le dossier, adressé un questionnaire resté sans réponse, puis a notifié la prise en charge le 27 septembre 2021, pli réceptionné le 29 septembre. Saisi tardivement, le pôle social du tribunal judiciaire a déclaré le recours irrecevable pour forclusion; appel a été interjeté.

L’employeur soutenait l’inopposabilité de la décision, invoquant un manquement à la loyauté de l’information en raison d’une notification adressée à l’agence locale et non au centre désigné. La caisse demandait la confirmation du jugement, produisait les avis de réception et opposait la forclusion du recours amiable. La question portait sur la régularité de la notification de la décision de prise en charge et, partant, sur l’opposabilité des délais de saisine de la commission de recours amiable. La cour confirme la forclusion, après avoir jugé la notification régulière au regard des textes et de la jurisprudence, et déduit l’irrecevabilité du recours judiciaire.

I. Régularité de la notification et portée des délais

A. La compétence du destinataire de la notification et les « réserves »
La cour rappelle le cadre normatif du recours préalable. Elle cite d’abord le texte applicable: « Cette commission doit être saisie dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision contre laquelle les intéressés entendent former une réclamation. » Ce rappel fonde l’exigence de date certaine et de point de départ clair.

La juridiction se prononce ensuite sur l’adresse de notification. Elle retient que « les notifications à l’employeur prévues par l’article R.441-14 du code de la sécurité sociale (…) ne peuvent être utilement faites qu’à la personne qui a cette qualité ». La référence à la solution de la deuxième chambre civile du 4 avril 2019 (n° 18-15.886) justifie que l’envoi à l’entité employeur localement identifiée suffit, nonobstant la demande, non probante, de réacheminement interne. La cour souligne encore le défaut de preuve de l’envoi des prétendues réserves et l’absence de réponse au questionnaire recommandé reçu le 19 juillet 2021, de sorte que la prétendue « information déloyale » n’est pas établie.

B. La conséquence procédurale: forclusion du recours amiable et judiciaire
Constatant la réception de la décision le 29 septembre 2021, la cour énonce que « l’employeur devait par conséquent saisir au plus tard le 29 novembre 2021 à minuit la commission de recours amiable ». Le recours daté du 29 mars 2022 est donc tardif, et sa tardiveté est expressément assumée. La forclusion s’attache au recours préalable et frappe corrélativement l’instance contentieuse: « Et cette forclusion induit celle du recours judiciaire. » La solution confirme logiquement l’irrecevabilité prononcée en première instance et consacre l’opposabilité de la décision de prise en charge.

II. Valeur et portée de la solution retenue

A. Conformité aux textes et à la jurisprudence de la Cour de cassation
La décision s’inscrit dans la ligne d’une jurisprudence attachée au respect des formalités de notification et à la sécurité des délais. En se fondant sur le critère organique de la « personne qui a cette qualité » d’employeur, la cour maintient un standard objectif de destinataire, cohérent avec l’article R.441-18 du code de la sécurité sociale. Elle juge, sans excès de formalisme, qu’un souhait de réadressage interne ne vaut pas règle de notification, surtout lorsqu’aucune preuve de réserves motivées ni de suivi du questionnaire n’est fournie. L’équilibre entre loyauté de l’information et stabilité des décisions de prise en charge apparaît correctement assuré.

La référence à la jurisprudence de la deuxième chambre civile du 4 avril 2019 renforce la cohérence de l’arrêt. La cour d’appel retient la même idée directrice: la notification doit atteindre l’employeur en tant que tel, sans multiplier des exigences de traçabilité interne qui dénatureraient la finalité du régime. L’éviction des précédents invoqués par l’employeur, relatifs à d’autres problématiques ou à des situations non transposables, confirme l’orthodoxie du raisonnement.

B. Conséquences pratiques pour les employeurs multi‑sites et sécurité du contentieux
La solution éclaire la pratique des entreprises à structures décentralisées. Elle incite à organiser la circulation interne du courrier social, sous peine de supporter la charge du dysfonctionnement. L’exigence probatoire demeure décisive: à défaut d’accusés d’envoi des réserves et de réponse au questionnaire, l’argument de loyauté s’effondre. La régularité de la notification, telle que consacrée ici par la formule « La décision de prise en charge de l’accident au titre de la législation professionnelle a par conséquent été régulièrement notifiée à l’employeur », verrouille le point de départ du délai.

Sur le contentieux, l’arrêt consolide la fonction d’ordre public du recours préalable et l’effet extinctif de la forclusion. La maxime rappelée par la cour, selon laquelle « cette forclusion induit celle du recours judiciaire », favorise la prévisibilité des litiges AT/MP et prévient les contestations différées. Les organismes de sécurité sociale trouvent là un encouragement à maintenir des notifications claires et motivées, tandis que les employeurs sont invités à documenter rigoureusement leurs réserves et à respecter les délais, faute de quoi la sanction procédurale demeure inéluctable.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture