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La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a rendu le 19 juin 2025 un arrêt relatif à la répétition de l’indu dans un contexte de troubles de voisinage entre copropriétés. Cette décision apporte un éclairage sur l’articulation entre plusieurs expertises judiciaires successives et sur les conditions dans lesquelles un paiement effectué en exécution d’une décision de référé peut être considéré comme justifié.
Les faits de l’espèce concernent deux immeubles mitoyens situés à Marseille. Une société propriétaire d’un immeuble abritant un hôtel s’est plainte de remontées d’eau et d’odeurs d’égout provenant de l’immeuble voisin. Une première expertise judiciaire, ordonnée en 2011, a conclu à l’imputabilité des désordres au syndicat des copropriétaires voisin. Par ordonnance de référé du 23 mars 2012, ce syndicat a été condamné à réaliser des travaux de reprise et à verser une provision de 21 975 euros. Les travaux ont été exécutés dès mai 2011, mais de nouvelles infiltrations sont apparues en 2014, conduisant à une seconde expertise dont le rapport a été déposé le 25 juillet 2018. Cette seconde expertise a identifié des causes différentes, tenant notamment à la transformation de caves en locaux à usage ludique. Le syndicat des copropriétaires a alors assigné la société propriétaire de l’hôtel en répétition des sommes versées en exécution de l’ordonnance de 2012.
Le tribunal judiciaire de Marseille, par jugement du 17 décembre 2021, a fait droit à la demande de répétition de l’indu, considérant que le second rapport d’expertise remettait en cause les conclusions du premier. La société propriétaire de l’hôtel a interjeté appel. La question posée à la Cour était de déterminer si le paiement effectué en exécution d’une ordonnance de référé pouvait être considéré comme indu lorsqu’une expertise ultérieure identifie des causes de désordres différentes de celles retenues initialement.
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence infirme partiellement le jugement et déboute le syndicat des copropriétaires de sa demande en répétition de l’indu. Elle retient que « le rapport d’expertise de M. [E] ne remet pas fondamentalement en cause les conclusions du premier rapport d’expertise de M. [D] » et que les désordres provenaient de plusieurs causes, structurelles et conjoncturelles. La disparition de la première cause identifiée en 2011 n’ayant pas fait disparaître toute venue d’eau, la condamnation prononcée en 2012 demeure justifiée.
Cette décision présente un intérêt certain quant à l’appréciation du caractère indu d’un paiement effectué en exécution d’une décision provisoire (I), et quant à la méthode d’articulation entre expertises judiciaires successives (II).
I. Le maintien de la justification du paiement malgré l’évolution des constatations expertales
L’arrêt se prononce sur le fondement juridique de la répétition de l’indu dans le contexte particulier d’un paiement effectué en exécution d’une décision de référé (A), avant d’apprécier concrètement le caractère justifié ou non de ce paiement au regard des éléments de preuve (B).
A. Le cadre juridique de la répétition de l’indu appliqué aux décisions provisoires
La Cour rappelle les textes applicables en visant l’article 1302-1 du code civil selon lequel « celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l’a indûment reçu ». Elle mentionne également l’article 1303-1 qui précise que « l’enrichissement est injustifié lorsqu’il ne procède ni de l’accomplissement d’une obligation par l’appauvri ni de son intention libérale ».
La particularité de l’espèce tient à ce que le paiement litigieux trouve son origine dans une ordonnance de référé, décision provisoire par nature. La question se posait de savoir si l’évolution des constatations techniques, résultant d’une seconde expertise, pouvait rétroactivement priver ce paiement de sa cause. La Cour répond par la négative en considérant que le paiement demeure justifié dès lors que la cause initialement identifiée a effectivement existé, quand bien même d’autres causes auraient été découvertes ultérieurement.
Cette solution s’inscrit dans une conception objective de la cause du paiement. Il ne suffit pas qu’une expertise postérieure identifie des éléments nouveaux pour que le paiement antérieur devienne indu. Encore faut-il que ces éléments nouveaux contredisent les constatations ayant fondé la décision initiale.
B. L’appréciation concrète du caractère justifié du paiement
La Cour procède à une analyse minutieuse des deux rapports d’expertise pour déterminer si le second contredit véritablement le premier. Elle relève que l’expert désigné en 2011 avait identifié plusieurs causes aux désordres : une mise en charge anormale du collecteur unitaire privé, un défaut d’entretien de la cour arrière, une contre-pente du collecteur dans sa partie terminale et un raccordement non rectiligne de la grille pluviale. Ces « constatations objectives sont corroborées par les photographies issues du rapport d’expertise et permettent de matérialiser l’existence des désordres subis par la partie appelante et leurs causes ».
La Cour observe que le second expert a constaté que « les investigations vidéo faites dans le cadre de nos opérations n’ont pas révélé de désordre sur ce raccordement ». Elle en déduit que cette absence de désordre s’explique précisément par la réalisation des travaux de réfection en mai 2011. Les causes identifiées par le premier expert ont donc bien existé et ont été corrigées. Le fait que des infiltrations aient persisté pour d’autres raisons, notamment structurelles, ne remet pas en cause la réalité des causes initialement identifiées.
II. La méthode d’articulation entre expertises judiciaires successives
La Cour développe une approche de combinaison des expertises plutôt que de substitution (A), ce qui emporte des conséquences sur la charge de la preuve en matière de répétition de l’indu (B).
A. La complémentarité des rapports d’expertise plutôt que leur contradiction
La Cour énonce que « contrairement à ce qui a été retenu en première instance, le rapport d’expertise de M. [E] ne remet pas fondamentalement en cause les conclusions du premier rapport d’expertise de M. [D] ». Elle adopte ainsi une lecture combinée des deux expertises plutôt qu’une lecture substituant la seconde à la première.
Cette approche conduit à retenir une pluralité de causes aux désordres. La Cour distingue les causes « structurelles en raison de la transformation de pièces en sous sol et de la localisation de l’immeuble » des causes « conjoncturelles par un défaut d’entretien du collecteur d’eaux pluviales voisins objectivé lors de la venue de l’expert [D] ». Cette distinction permet de comprendre pourquoi les travaux réalisés en 2011 ont supprimé la cause conjoncturelle sans faire disparaître les causes structurelles.
La méthode retenue par la Cour présente l’avantage de respecter la chronologie des constatations expertales. Le premier expert a constaté un état des lieux à un instant donné. Le second expert a constaté un état des lieux différent, précisément parce que des travaux avaient été réalisés entre-temps. Les deux constatations ne sont pas contradictoires mais complémentaires.
B. Les conséquences probatoires de cette approche
La charge de la preuve en matière de répétition de l’indu pèse sur le demandeur qui doit établir le caractère indu du paiement. En l’espèce, le syndicat des copropriétaires devait démontrer que les sommes versées en 2012 l’avaient été sans cause. La Cour considère qu’il échoue dans cette démonstration.
La décision met en lumière l’exigence d’une contradiction effective entre les expertises pour qu’un paiement antérieur puisse être considéré comme indu. La simple identification de causes nouvelles ou complémentaires ne suffit pas. Il aurait fallu que le second expert conteste formellement l’existence des causes retenues par le premier, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Cette solution assure une certaine sécurité juridique aux paiements effectués en exécution de décisions provisoires. Le bénéficiaire d’une telle décision ne se trouve pas exposé au risque d’une action en répétition dès lors que de nouvelles investigations techniques sont diligentées. Encore faut-il que ces investigations démontrent positivement l’absence de cause du paiement initial, et non simplement l’existence de causes additionnelles.