Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 19 juin 2025, n°23/14989

La question de la recevabilité des voies de recours au regard de l’autorité de la chose jugée constitue un pan essentiel du contentieux de la sécurité sociale. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans un arrêt rendu le 19 juin 2025, en offre une illustration significative.

Une assurée de nationalité algérienne avait formé une demande d’allocation de veuvage auprès de la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail. Par requête expédiée le 26 février 2022, elle saisit le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille afin d’obtenir le bénéfice de cette allocation. Par jugement du 13 novembre 2023, le tribunal accueillit la fin de non-recevoir opposée par la caisse, déclara la demande irrecevable en raison de l’autorité de la chose jugée et condamna la requérante aux dépens. Celle-ci interjeta appel par courrier expédié le 28 novembre 2023.

Devant la cour, l’appelante fut régulièrement convoquée pour l’audience du 15 mai 2025 par courrier recommandé international retourné signé le 19 août 2024 par le procureur de la République près le tribunal de Constantine en Algérie. Par courriel du 12 mai 2025, elle indiqua avoir eu connaissance de la date d’audience par la réception des conclusions adverses du 29 avril 2025. Elle ne comparut cependant pas à l’audience et ne sollicita aucune dispense de comparution. La caisse demanda la confirmation du jugement et la condamnation de l’appelante à lui verser la somme de 500 euros au titre des frais irrépétibles.

La question posée à la cour était celle de savoir si, en l’absence de comparution de l’appelante dans le cadre d’une procédure orale, le recours devait être rejeté faute de moyens d’appel dont la juridiction serait saisie.

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence confirma le jugement de première instance en toutes ses dispositions. Elle releva que « l’appelante ne comparaissant pas et la procédure étant orale, la cour n’est en conséquence saisie d’aucun moyen d’appel » et en conclut qu’il convenait « de rejeter le recours et de confirmer le jugement déféré ». Elle condamna l’appelante aux dépens d’appel mais rejeta la demande de frais irrépétibles formée par la caisse.

Cet arrêt met en lumière les conséquences de la défaillance de l’appelant dans une procédure orale (I) et illustre le sort réservé aux demandes accessoires en pareille hypothèse (II).

I. Les conséquences de la défaillance de l’appelant en procédure orale

La solution retenue par la cour s’appuie sur la spécificité de la procédure orale (A) et aboutit à la confirmation mécanique du jugement déféré (B).

A. L’application stricte du principe de l’oralité des débats

En matière de sécurité sociale, la procédure devant le pôle social du tribunal judiciaire et devant la cour d’appel demeure soumise au principe de l’oralité. Les conclusions écrites ne saisissent pas la juridiction des prétentions et moyens qu’elles contiennent, sauf si la partie les réitère oralement à l’audience ou obtient une dispense de comparution.

La cour relève que l’appelante, « bien qu’elle ait été avisée de la date d’audience, ne comparaît pas, ni ne demande une dispense de comparaître ». Cette constatation revêt une importance déterminante. La convocation avait été régulièrement effectuée selon les formes prescrites pour les actes destinés à l’étranger, le courrier recommandé international ayant été retourné signé par l’autorité compétente algérienne. L’appelante ne pouvait donc se prévaloir d’une quelconque irrégularité de la procédure de convocation.

Le courriel adressé par l’appelante le 12 mai 2025 témoigne de ce qu’elle avait connaissance de l’audience prochaine. Elle s’enquérait des démarches à accomplir pour solliciter un éventuel report mais ne donna aucune suite à cette interrogation. La cour était donc fondée à constater son absence non justifiée.

B. L’absence de saisine de la cour et le rejet du recours

De l’application combinée du principe de l’oralité et du défaut de comparution découle une conséquence radicale. La cour énonce qu’elle « n’est en conséquence saisie d’aucun moyen d’appel ». Cette formulation traduit fidèlement la règle selon laquelle, en procédure orale, la juridiction ne peut examiner que les moyens effectivement présentés devant elle.

La solution conduit nécessairement au rejet du recours et à la confirmation du jugement attaqué. La cour ne procède à aucun examen au fond de la question de l’autorité de la chose jugée retenue par les premiers juges. Elle se borne à tirer les conséquences procédurales de l’absence de l’appelante.

Cette rigueur peut paraître sévère à l’égard d’un justiciable étranger confronté aux difficultés matérielles de la distance. La cour n’y fait cependant pas obstacle, et l’on peut y voir l’expression d’un principe d’égalité procédurale. L’appelante disposait de la possibilité de solliciter une dispense de comparution ou de mandater un représentant. Elle n’accomplit aucune de ces démarches.

II. Le traitement des demandes accessoires à l’issue de l’instance

L’arrêt illustre également la répartition des dépens en cas de succombance (A) et l’exercice du pouvoir modérateur du juge concernant les frais irrépétibles (B).

A. La condamnation aux dépens de l’appelante qui succombe

La cour condamne l’appelante aux dépens d’appel « en vertu des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile ». Cette solution constitue l’application mécanique du principe selon lequel la partie perdante supporte les frais de l’instance.

L’appelante qui n’a pas comparu et dont le recours est rejeté succombe au sens de ce texte. La cour ne dispose d’aucune marge d’appréciation sur ce point. La condamnation aux dépens sanctionne l’échec du recours indépendamment des circonstances ayant conduit à cet échec.

Il convient de relever que la condamnation aux dépens d’appel s’ajoute à celle prononcée en première instance, de sorte que l’appelante supporte l’ensemble des frais engendrés par les deux instances. L’exercice d’une voie de recours vouée à l’échec se révèle ainsi pécuniairement préjudiciable.

B. Le rejet de la demande de frais irrépétibles

La caisse sollicitait la condamnation de l’appelante au paiement de la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. La cour rejette cette demande en considérant que « l’équité commande de rejeter la demande en frais irrépétibles présentée par la [caisse] ».

Cette motivation, bien que laconique, témoigne de l’exercice du pouvoir souverain d’appréciation reconnu au juge en cette matière. L’article 700 du code de procédure civile laisse à la juridiction le soin d’apprécier s’il serait ou non inéquitable de faire supporter à l’une des parties les frais exposés par l’autre et non compris dans les dépens.

La cour prend vraisemblablement en considération la situation de l’appelante, personne physique résidant à l’étranger, confrontée à une caisse de sécurité sociale. L’écart des situations respectives des parties peut justifier que l’organisme social conserve la charge de ses frais de défense. Cette décision tempère la rigueur de la solution retenue sur le fond du recours et révèle une attention à l’équilibre des intérêts en présence.

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Hassan KOHEN
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