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Par un arrêt du 2 juillet 2025, la Cour d’appel d’Aix‑en‑Provence règle deux questions relatives à la preuve et à la réparation en matière contractuelle. Elle intervient à la suite d’interventions d’entretien et de ramonage d’une chaudière domestique, ayant causé un dysfonctionnement accompagné d’émanations persistantes.
Une expertise a été ordonnée par référé le 24 avril 2019. Le tribunal judiciaire de Grasse, le 3 juillet 2023, a retenu une responsabilité contractuelle et alloué diverses sommes, notamment au titre des travaux de remise en état et d’un préjudice de jouissance. L’appel vise le quantum, l’assiette des chefs indemnitaires et la recevabilité, en cause d’appel, d’une nouvelle demande d’expertise.
L’appelant sollicite une réévaluation substantielle des travaux nécessaires et du trouble de jouissance, ainsi qu’une expertise complémentaire. Les intimés contestent l’utilité et la causalité de plusieurs postes, et qualifient la mesure d’instruction requise de prétention nouvelle irrecevable.
Deux questions se présentent. La mesure d’instruction sollicitée en appel est‑elle recevable au regard des articles 564 et suivants du code de procédure civile ? Quelle doit être l’assiette des dommages matériels et du préjudice de jouissance, au regard des articles 1147, 1149 et 1150 du code civil, dans leur version antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 ? La cour admet la recevabilité de la demande d’expertise, statue sans mesure nouvelle, revoit les postes indemnisables et fixe le préjudice de jouissance à douze mille euros.
I. Recevabilité de la mesure d’instruction sollicitée en appel
A. La demande d’expertise n’est pas une prétention nouvelle
« La demande ou prétention, au sens de l’article 564 du code de procédure civile, est celle qui détermine l’objet du litige. » Par cette définition, la cour dissocie l’objet du litige des modalités probatoires. Elle retient une conception stricte de la prétention et recentre le débat procédural.
« La demande afin qu’une expertise soit ordonnée avant dire droit ne constitue pas une prétention au sens de ce texte. » La mesure est ainsi replacée dans son régime propre. Elle n’affecte ni les fins, ni la cause de la demande, mais sert l’administration de la preuve utile.
« Les mesures d’instruction relèvent des règles d’administration de la preuve, de sorte qu’une partie est recevable en première instance, mais également devant la cour, à solliciter une mesure d’expertise si son adversaire soutient que les faits invoqués au soutien de sa demande sont insuffisamment étayés. » La recevabilité tient ici à l’office probatoire et à la critique adverse. La cour rattache explicitement l’expertise au droit à la preuve, sans rigidifier l’instance.
« En conséquence, la demande d’expertise, même formée pour la première fois en cause d’appel, est recevable. » La solution, classique, sécurise l’accès à la preuve, tout en réservant l’appréciation d’opportunité au juge d’appel, gardien de la pertinence de la mesure.
B. L’office du juge d’appel et l’économie de la preuve
Tout en admettant la demande, la cour s’abstient d’ordonner une nouvelle mesure. Elle estime les éléments suffisants et écarte les devis lacunaires ou redondants produits en appel, déjà couverts par l’expertise antérieure.
L’office juridictionnel est exercé avec retenue et efficacité. La juridiction de second degré privilégie la preuve disponible et proportionnée, évitant une instruction superfétatoire. Cette articulation concilie le droit à la preuve et l’économie de procédure, en dissuadant les manœuvres dilatoires et en rappelant l’exigence d’utilité et de proportion des mesures.
II. Étendue de la réparation contractuelle et préjudice de jouissance
A. Dommages matériels prévisibles et nécessaires à la remise en état
« Les contrats conclus avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance n 2016-131 du 10 février 2016, soit au 1er octobre 2016, demeurent soumis à la loi ancienne. » La cour applique ainsi l’ancien article 1147, et la grille de la prévisibilité issue des articles 1149 et 1150, malgré la réforme intervenue.
« Selon les articles 1149 et 1150 du même code, les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé, et le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n’est point par son dol que l’obligation n’est point exécutée. » Le périmètre de la réparation se borne aux pertes nécessaires et prévisibles. Sont refusés les postes sans lien causal direct ou insuffisamment démontrés.
L’expertise a attribué les désordres à l’usage d’un produit inadapté, provoquant fumées et détériorations. « Il précise que les travaux de chemisage conditionnent l’utilisation de la chaudière car celle-ci, lors de son fonctionnement, émet du monoxyde de carbone, qui est un gaz toxique potentiellement mortel, incolore et inodore. » Le chemisage, seul apte à neutraliser le risque toxique, constitue l’opération strictement nécessaire à la remise en état.
La cour admet un poste annexe indispensable, faute de chiffrage préalable par le devis principal. « S’agissant de l’échafaudage, dès lors que des travaux doivent être réalisés en toiture, notamment sur la partie extérieure de la cheminée qui s’élève au-dessus du toit, dont les tuiles doivent être déposées, la nécessité de monter un échafaudage ne peut être contestée. » Les dépenses redondantes ou étrangères au manquement sont écartées, la preuve de leur nécessité faisant défaut.
B. Préjudice de jouissance : caractérisation, prévisibilité et évaluation
La motivation distingue le besoin saisonnier de chauffage et le besoin continu d’eau chaude. « En revanche, l’absence d’eau chaude a un impact sur la qualité de vie tout au long de l’année. » Le trouble d’usage est ainsi concrètement qualifié, au‑delà des simples désagréments.
L’exposition aux polluants, objectivée par mesures, est rattachée au manquement contractuel. « Cette exposition à des polluants étant en relation avec les manquements […] fait partie du préjudice de jouissance qu’elles doivent indemniser. » Aucune preuve médicale spécifique n’est exigée, la nature autonome du préjudice de jouissance suffisant.
« Un tel préjudice doit être considéré comme prévisible au sens de l’article 1150 du code civil. » La prévisibilité découle du caractère technique de la prestation et du risque inhérent à l’usage d’un produit inadapté sur un appareil ancien, exposant l’occupant.
La méthode d’évaluation relève d’un pouvoir souverain, encadré par l’obligation de motivation. « Si le juge a l’obligation d’expliciter les différents critères auxquels il se réfère pour évaluer le préjudice, il n’est pas tenu, dans cette mesure, de rendre compte de sa méthode de calcul. » La cour retient des critères explicites — durée, intensité, anxiété, besoins élémentaires — et fixe une indemnité de douze mille euros.
Enfin, la causalité exclusive du manquement écarte toute minoration pour défaut d’entretien antérieur. « Il n’y a pas lieu, en revanche, de tenir compte de l’absence d’entretien de la chaudière pendant les deux années qui ont précédé les interventions litigieuses dès lors que les désordres ne sont pas liés à cette absence d’entretien mais uniquement à l’utilisation d’un produit inapproprié par les sociétés défenderesses. » La frontière entre vétusté, omission d’entretien et faute génératrice est clairement tracée, consolidant la cohérence du raisonnement indemnitaire.