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Par un arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 2 septembre 2025, la juridiction tranche un incident de question préjudicielle dans un litige relatif à la redevance d’enlèvement des ordures ménagères. L’enjeu réside dans l’articulation des compétences entre ordres de juridiction lorsqu’une facture est contestée au regard de la proportionnalité du tarif au service rendu.
Une société exploitant un établissement en location-gérance a demandé l’annulation d’une facture d’un montant de 5 750,80 euros émise en 2024. L’établissement public de coopération intercommunale, gestionnaire du service, a saisi le juge de la mise en état d’une demande de renvoi préjudiciel sur la légalité de la délibération tarifaire du 12 décembre 2023 et d’un sursis à statuer. Par ordonnance du 6 novembre 2024, le juge a rejeté l’incident, retenant que seule l’application des tarifs à la situation individuelle était discutée. Appel a été formé.
Devant la cour, l’appelant invoquait la nécessité d’un examen préalable de la légalité de l’acte réglementaire fixant les tarifs. L’intimée rappelait la compétence judiciaire pour les litiges de facturation liés aux services publics industriels et commerciaux, tout en s’en rapportant sur l’incident à la lumière d’une décision similaire antérieure. La question de droit portait sur l’obligation de transmettre au juge administratif l’appréciation de la légalité de la délibération tarifaire, en application de l’article 49 du code de procédure civile, afin de statuer sur la facture contestée. La cour infirme l’ordonnance, transmet la question au tribunal administratif de Marseille et précise la portée du sursis dans la suite de la procédure.
I. Le renvoi préjudiciel imposé par la nature de la contestation
A. Compétence judiciaire pour la facturation et frontière administrative
La cour rappelle d’abord le cadre légal du renvoi préjudiciel, en énonçant que «Par application de l’article 49 du code de procédure civile, toute juridiction saisie d’une demande de sa compétence connaît, même s’ils exigent l’interprétation d’un contrat, de tous les moyens de défense à l’exception de ceux qui soulèvent une question relevant de la compétence exclusive d’une autre juridiction». La compétence du juge judiciaire demeure pour le contentieux du paiement des redevances des services publics industriels et commerciaux, en cohérence avec le dualisme issu du Tribunal des conflits du 22 janvier 1921.
Cette compétence n’emporte cependant pas pouvoir d’apprécier la légalité d’un acte réglementaire fixant les tarifs du service, relevant de l’organisation du service public. Selon une ligne classique, affirmée par le Tribunal des conflits le 15 janvier 1968, un tel acte conserve sa nature administrative, y compris lorsqu’il concerne un service à caractère industriel et commercial. La proportionnalité alléguée du tarif au service rendu implique l’examen de la délibération tarifaire, qui excède un contrôle de pure conformité de la facture.
B. Conditions de la question préjudicielle et leur réunion
La cour énonce la méthode en deux temps: «Lorsque la solution d’un litige dépend d’une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction administrative, la juridiction judiciaire initialement saisie la transmet à la juridiction administrative compétente […]. Elle sursoit à statuer jusqu’à la décision sur la question préjudicielle». Elle précise l’exigence cumulative: «Le juge judiciaire ne peut accueillir une exception préjudicielle que si elle présente un caractère sérieux et porte sur une question dont la solution est nécessaire au règlement au fond du litige».
Or, l’appréciation de la proportionnalité du tarif au service effectivement rendu suppose d’examiner la régularité et le bien‑fondé de la délibération tarifaire. La cour souligne le rattachement de cette question au contentieux administratif en relevant que «le juge judiciaire est tenu de saisir la juridiction administrative dès lors qu’une clause litigieuse ou un acte litigieux présente un caractère réglementaire […], et, dès lors que cette clause ou cet acte a une incidence sur la solution du litige et pose une difficulté sérieuse en l’absence de jurisprudence établie». Les conditions de sérieux et de nécessité sont donc réunies.
II. La cohérence de la solution et ses implications
A. Une motivation fidèle à la séparation des autorités
La cour s’inscrit dans la tradition du Tribunal des conflits du 19 mars 2007, en ménageant la compétence judiciaire pour le paiement et la compétence administrative pour la légalité de l’acte tarifaire. Elle réaffirme une lecture stricte de l’article 49 du code de procédure civile, sans élargir le contrôle incident du juge civil à l’appréciation d’un acte réglementaire. Cette orthodoxie protège la séparation des autorités et la hiérarchie des normes.
La précision procédurale mérite d’être relevée. La cour rappelle que «En vertu de l’article 378 du code de procédure civile, la décision de sursis suspend le cours de l’instance pour le temps ou jusqu’à la survenance de l’événement qu’elle détermine», puis distingue son office d’appel de l’office du premier juge. Elle «Dit n’y avoir lieu, pour la cour, de surseoir à statuer», sa saisine se limitant à l’incident, et réserve l’appréciation du sursis à la juridiction de première instance, ce qui clarifie l’économie procédurale.
B. Effets pratiques pour le contentieux des redevances
La cour opère un partage net des contrôles. Le juge judiciaire vérifie la stricte conformité de la facturation à la délibération existante, tandis que le juge administratif apprécie la légalité et la proportionnalité du tarif. Cette répartition sécurise la régularité des actes tarifaires, tout en évitant au juge civil d’entrer dans un contrôle de la norme réglementaire. Elle favorise l’unité de l’ordre administratif en matière de tarification des services publics.
La portée opérationnelle est immédiate. La cour «Dit que le tribunal administratif de Marseille sera saisi directement par le présent arrêt», ce qui accélère le règlement de la question principale et évite un incident dilatoire. Le juge de la mise en état, en première instance, tirera ensuite les conséquences de la réponse administrative, y compris sur un éventuel sursis, assurant une coordination loyale entre les ordres de juridiction.
Ainsi, en rappelant que «Par application de l’article 542 du code de procédure civile, l’appel tend […] à sa réformation ou à son annulation par la cour d’appel», la juridiction d’appel resitue utilement les limites de son office. La solution concilie la compétence judiciaire sur la relation d’usager et la nécessaire appréciation administrative de la norme tarifaire, dans une approche mesurée du renvoi préjudiciel et de ses effets.