Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 20 juin 2025, n°21/08301

Par un arrêt du 20 juin 2025, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence statue sur un contentieux disciplinaire, horaire et indemnitaire consécutif à un licenciement. Le litige oppose un salarié boulanger et son employeur à la suite d’un avertissement, puis d’une rupture pour faute grave intervenue en décembre 2019. L’affaire a connu un premier rejet intégral devant le conseil de prud’hommes de Toulon, par jugement du 29 avril 2021, en l’absence de comparution de l’employeur. L’appelant sollicite l’annulation de la sanction, un rappel d’heures supplémentaires, des dommages-intérêts pour travail dissimulé et la nullité du licenciement en raison de la protection attachée à l’accident du travail. La décision retient l’annulation de l’avertissement, un rappel partiel d’heures, le rejet du travail dissimulé, la nullité de la rupture et l’allocation des indemnités correspondantes. L’analyse du raisonnement probatoire précède l’examen de la nullité et de ses effets.

I. Le raisonnement probatoire et l’économie des chefs de demande

A. L’annulation de l’avertissement pour défaut d’éléments produits par l’employeur

La cour rappelle le régime des articles L.1333-1 et L.1333-2 du code du travail, qui impose à l’employeur de fournir les éléments justifiant la sanction. Elle souligne l’absence de comparution et l’inanité des justifications, en retenant un attendu décisif. « La cour ne peut que constater que comme en première instance, l’employeur n’est pas comparant ; qu’il ne fournit aucun des éléments retenus pour prononcer la sanction contestée ; qu’en conséquence, les griefs reprochés au salarié ne sont pas suffisamment établis et l’avertissement doit être annulé. » La formulation s’inscrit dans la logique du doute profitant au salarié, lorsque l’autorité disciplinaire n’étaye pas ses reproches.

L’annulation ne se borne pas à une censure formelle. Elle répare le préjudice né d’un antécédent disciplinaire injustifié, retenu comme facteur aggravant dans la séquence ayant précédé la rupture. L’octroi d’une indemnité modeste, mais ciblée, illustre le lien causal entre la sanction annulée et la dégradation du contexte contractuel.

B. La preuve des heures supplémentaires et la quantification souveraine du rappel

En matière d’heures supplémentaires, la cour articule les exigences légales et européennes. Elle insiste sur la charge d’allégation du salarié et la charge de réponse de l’employeur, qui doit produire ses propres éléments. « La cour observe au contraire que les éléments présentés par le salarié, bien que comportant parfois des incohérences, sont suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. » Cette appréciation déclenche le contrôle judiciaire, malgré des incohérences relevées, en l’absence de tout système interne de mesure opposable.

La décision réitère l’obligation issue du droit de l’Union en matière de suivi du temps. Elle rappelle que « il incombe à l’employeur, l’obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur. » La carence structurelle fragilise la position défenderesse et autorise une reconstitution judiciaire prudente des horaires. La cour use ensuite de son pouvoir souverain de quantification. « Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant (Soc., 18 mars 2020, n° 18-10.919). » L’allocation partielle retient l’existence d’un dépassement significatif, sans suivre l’intégralité du décompte allégué, afin de concilier vraisemblance et sécurité juridique.

Cette première partie clôt le cadre probatoire applicable aux griefs et aux temps de travail, qui conditionne la suite du raisonnement sur la rupture.

II. La nullité du licenciement et ses effets, portée et limites

A. L’articulation de la faute grave et de la protection en cas d’accident du travail

La cour rappelle la définition de la faute grave, puis constate la défaillance probatoire de l’employeur. « La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise (Soc. 26 février 1991, Bull. 1991, V, n° 97 ; Soc. 27 septembre 2007, n° 06-43.867). Il incombe à l’employeur d’en rapporter la preuve. » En l’espèce, aucun élément probant n’est versé, ni sur les manquements allégués, ni sur l’impossibilité de maintien, ce qui exclut la faute grave.

La protection issue des articles L.1226-9 et L.1226-13 est ensuite mobilisée. La cour relève que l’employeur connaissait la volonté de reconnaissance d’un accident du travail, telle que mentionnée dans la lettre de licenciement. Faute de faute grave, la sanction applicable est la nullité. La solution est exprimée sans détour: « Il y a donc lieu de dire qu’en l’absence de faute grave, le licenciement est nul. » Cette motivation s’accorde avec la finalité protectrice du régime d’inaptitude temporaire liée à un accident, en sanctionnant la rupture intervenue en période de suspension.

Les conséquences indemnitaires s’ensuivent mécaniquement. L’indemnité pour licenciement nul est fixée en référence aux salaires antérieurs à l’arrêt, tout comme l’indemnité de licenciement et le préavis, avec congés payés afférents. L’irrégularité procédurale, invoquée au titre du délai de cinq jours, n’appelle pas d’indemnité autonome lorsque la rupture est déjà dépourvue de cause réelle et sérieuse, la nullité absorbant l’irrégularité.

B. Portée indemnitaire et frontières de l’intentionnalité en matière de travail dissimulé

La demande subsidiaire d’indemnité pour travail dissimulé appelle un rappel ferme du critère intentionnel. La cour distingue le manquement au contrôle des horaires et la volonté de dissimulation. « Le caractère intentionnel de la dissimulation d’emploi ne peut se déduire du seul accomplissement d’heures supplémentaires non rémunérées. » Cette position, parfaitement classique, évite de transformer tout contentieux d’heures supplémentaires en faute qualifiée, réservée aux comportements frauduleux avérés.

La portée de l’arrêt se mesure alors sur deux axes. D’abord, le renforcement de l’exigence d’un système fiable de mesure des temps, en cohérence avec les sources européennes, conforte la méthode probatoire française, sans déplacer la charge légale. Ensuite, la nullité prononcée illustre une vigilance particulière lorsque l’employeur connaît la démarche de reconnaissance d’un accident du travail, la lettre de rupture devenant un révélateur décisif. L’équilibre opéré entre rappel d’heures et refus de l’indemnité pour dissimulation préserve la gradation des fautes de l’employeur, tout en compensant effectivement le travail accompli.

Enfin, l’indemnisation retenue manifeste une approche pragmatique des conséquences de la rupture. La cour fixe les montants en tenant compte de l’ancienneté, de l’âge, des circonstances de la rupture et des éléments salariaux vérifiés. L’économie générale de la décision allie fermeté sur la preuve et mesure dans la réparation, ce qui garantit une portée utile pour les contentieux analogues.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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