Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 20 juin 2025, n°22/01909

Par un arrêt du 20 juin 2025, la cour d’appel d’Aix-en-Provence s’est prononcée sur la distinction entre le harcèlement moral et le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité ainsi que sur les garanties conventionnelles de fond en matière disciplinaire.

Une salariée avait été engagée le 7 février 2018 en qualité de cheffe de projet immobilier par une association oeuvrant dans le secteur de l’hébergement social. Elle a été licenciée le 17 octobre 2019 pour cause réelle et sérieuse, l’employeur lui reprochant des propos outrageants envers la gouvernance, un comportement ayant mis en difficulté ses collègues et une attitude inappropriée à l’égard du public. La salariée soutenait avoir été victime de violences verbales de la part d’un collègue à plusieurs reprises entre juillet 2018 et juillet 2019, et avoir alerté sa direction sur des conditions de travail dégradées sans obtenir de réponse adaptée.

La salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Marseille qui, par jugement de départage du 13 janvier 2022, a rejeté le harcèlement moral mais retenu un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et requalifié le licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse pour non-respect d’une garantie conventionnelle imposant deux sanctions préalables. L’association a interjeté appel.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence devait répondre à deux questions. D’une part, les faits invoqués par la salariée permettaient-ils de présumer l’existence d’un harcèlement moral ou caractérisaient-ils seulement un manquement à l’obligation de sécurité. D’autre part, le licenciement prononcé sans respect de la garantie conventionnelle exigeant deux sanctions préalables devait-il être déclaré sans cause réelle et sérieuse.

La cour confirme le jugement en ses dispositions essentielles. Elle rejette la qualification de harcèlement moral au motif qu’un seul fait de violence verbale est matériellement établi et que l’employeur a réagi immédiatement en affectant le salarié agresseur dans un autre service. Elle retient cependant le manquement à l’obligation de sécurité faute de mesures ultérieures d’évaluation et de suivi. Elle confirme enfin l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement pour violation de la garantie de fond prévue par le règlement intérieur.

Les deux apports essentiels de cette décision méritent un examen approfondi. La cour opère une distinction rigoureuse entre harcèlement moral et obligation de sécurité lorsque l’employeur réagit partiellement aux alertes du salarié (I). Elle réaffirme par ailleurs le caractère substantiel des garanties conventionnelles préalables au licenciement (II).

I. La distinction entre harcèlement moral et manquement à l’obligation de sécurité

La cour procède à une analyse méthodique des faits allégués pour écarter le harcèlement moral (A) tout en retenant un manquement distinct à l’obligation de sécurité (B).

A. Le rejet du harcèlement moral fondé sur l’absence de répétition et la réaction partielle de l’employeur

La cour rappelle le mécanisme probatoire issu des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail. Le salarié doit présenter des éléments laissant présumer l’existence d’un harcèlement moral avant que l’employeur ne démontre que les agissements sont justifiés par des éléments objectifs.

La salariée invoquait trois séries de faits. L’altercation de juillet 2018 ne résultait que de ses déclarations devant l’infirmier de la médecine du travail. Le conflit du 3 juillet 2019 n’était corroboré par aucun élément extérieur. Seules les menaces verbales du 5 juillet 2019 en présence du président de l’association étaient matériellement établies.

La cour retient qu’en présence d’un seul fait de violence verbale établi et d’une réaction immédiate de l’employeur ayant affecté l’auteur dans un autre service, le harcèlement moral n’est pas caractérisé. Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante exigeant la répétition des agissements pour caractériser le harcèlement.

La salariée invoquait également un harcèlement moral institutionnel. La cour rejette expressément cette qualification en relevant que les faits établis ne caractérisent pas « une politique d’entreprise ayant pour objet ou pour effet de dégrader les conditions de travail de tout ou partie des salariés ». Cette motivation éclaire les contours du harcèlement institutionnel dont la reconnaissance demeure exceptionnelle en jurisprudence.

B. La caractérisation autonome du manquement à l’obligation de sécurité

Si le harcèlement moral est écarté, la cour retient néanmoins un manquement à l’obligation de sécurité sur le fondement des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail. Elle rappelle que l’employeur doit « prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ».

La cour relève plusieurs carences. L’employeur n’a pas informé la salariée de la mise à l’écart de son collègue agresseur. Il n’a pris « aucune mesure ultérieure d’investigations et d’évaluations régulières du fonctionnement de ce service pourtant évoquées dans le compte-rendu de la réunion extraordinaire du CHSCT ».

La solution retenue illustre le caractère autonome de l’obligation de sécurité par rapport au harcèlement moral. L’employeur peut réagir à un incident ponctuel sans pour autant satisfaire à l’ensemble de ses obligations préventives. La cour sanctionne ici le défaut de suivi plus que l’absence de réaction initiale.

Cette distinction entre réaction ponctuelle et prévention globale structure désormais l’appréciation juridictionnelle. Elle impose aux employeurs une vigilance continue au-delà de la simple gestion de crise.

II. La sanction du non-respect des garanties conventionnelles de fond

La cour confirme la requalification du licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison du non-respect d’une garantie de fond (A), ce qui entraîne des conséquences indemnitaires significatives (B).

A. La qualification de garantie de fond de l’exigence de sanctions préalables

Le règlement intérieur de l’association stipulait en son article 14-3 que « sauf en cas de faute grave, il ne peut y avoir de licenciement à l’égard d’un salarié si ce dernier n’a pas fait l’objet précédemment d’au moins deux sanctions ». La salariée n’avait jamais fait l’objet d’une sanction disciplinaire avant son licenciement prononcé pour cause réelle et sérieuse.

L’employeur soutenait que depuis l’ordonnance du 22 septembre 2017, la consultation préalable d’un organe disciplinaire ne constitue plus qu’une irrégularité de forme. La cour rejette cette argumentation en distinguant la consultation d’un organe de l’exigence de sanctions préalables.

Elle qualifie cette stipulation de « garantie de fond dont le non-respect a un impact sur les droits de la défense ». Cette qualification emporte des conséquences majeures puisque la méconnaissance d’une garantie de fond prive le licenciement de cause réelle et sérieuse, tandis qu’une simple irrégularité de forme n’ouvre droit qu’à une indemnité limitée à un mois de salaire.

La portée de cette décision est considérable pour les employeurs soumis à des règlements intérieurs ou conventions collectives prévoyant des procédures disciplinaires graduées. Elle impose une lecture attentive des textes applicables avant tout licenciement non fondé sur une faute grave.

B. Les conséquences indemnitaires dans le contexte de la procédure collective

La cour fixe les créances de la salariée au passif de la procédure de sauvegarde judiciaire ouverte à l’égard de l’association. Elle alloue 5.000 euros pour le manquement à l’obligation de sécurité et 4.891,68 euros pour le licenciement sans cause réelle et sérieuse, soit deux mois de salaire.

L’indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est déterminée par application du barème de l’article L. 1235-3 du code du travail. La cour prend en compte une ancienneté d’une année révolue, un salaire de référence de 2.445,84 euros, l’âge de la salariée et sa situation postérieure au licenciement marquée par une période de chômage puis le bénéfice du RSA.

La décision déclare l’arrêt opposable à l’Unedic AGS CGEA, garantissant ainsi le paiement effectif des créances dans les limites légales. Elle rappelle par ailleurs que les intérêts ont cessé de courir à compter de l’ouverture de la procédure collective conformément à l’article L. 622-28 du code de commerce.

Cette articulation entre droit du travail et droit des procédures collectives illustre les difficultés pratiques rencontrées par les salariés lorsque leur employeur fait l’objet d’une mesure de traitement des difficultés. La garantie de l’AGS constitue alors un filet de sécurité indispensable pour assurer l’effectivité des condamnations prud’homales.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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