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La Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 21 août 2025, statue sur l’indemnisation des proches d’une victime décédée à la suite d’un accident médical non fautif, après une première expertise CCI et un jugement du tribunal judiciaire de Marseille du 13 avril 2023. Les ayants droit sollicitaient l’évaluation du préjudice économique en tenant compte de l’ensemble des ressources du foyer, dont les revenus fonciers, ainsi que la baisse des revenus professionnels du conjoint survivant. L’organisme d’indemnisation contestait la méthode et le quantum, demandant l’exclusion des revenus fonciers et une scission de la capitalisation selon l’âge présumé de retraite du conjoint survivant. La question portait sur les critères de détermination du revenu de référence du foyer, la causalité des pertes professionnelles, le barème de capitalisation applicable et la part de consommation de l’enfant. La cour retient l’inclusion des revenus fonciers, caractérise le lien causal de la baisse des revenus libéraux avec le décès, refuse la scission par l’âge de retraite, applique le barème Gazette du palais 2025 en mode stationnaire, maintient la part de consommation de l’enfant à 25 %, et réforme le quantum.
I — La méthode de détermination du préjudice économique retenue par la juridiction d’appel
A — L’intégration de toutes les ressources du foyer, y compris les revenus fonciers
La cour affirme une base de calcul fidèle aux standards de la Cour de cassation. Elle rappelle que « Il résulte des calculs classiques validés par la Cour de cassation (Cass., civ., 2ème, 24 mai 2018 n° 17 19740) qu’en cas de décès de la victime directe, le préjudice patrimonial […] doit être évalué en prenant en compte comme élément de référence le revenu annuel du foyer avant le dommage […] en tenant compte de la part de consommation personnelle de celle-ci, et des revenus que continue à percevoir le conjoint ». Cette référence méthodologique commande la prise en compte de toutes les ressources antérieures du foyer, à la condition qu’elles soient patrimoniales et non indemnitaires.
La juridiction confirme ce point en indiquant, dans des termes généraux, que « Il est classiquement admis que toutes les ressources du défunt sont prises en compte dans le revenu de celui-ci ». Elle articule ensuite ce principe avec l’apport de Cass., civ. 2e, 24 octobre 2019, n° 18-14.211, en retenant que « les ressources à prendre en compte […] doivent présenter non un caractère indemnitaire, mais un caractère patrimonial ». L’argumentation se prolonge par une causalité propre aux revenus fonciers: la baisse, consécutive à la dévolution successorale, est rattachée au décès, dès lors que la transmission a mécaniquement réduit l’assiette locative du foyer survivant. La solution s’inscrit dans une logique de réparation intégrale, sans perte ni profit, en fixant un revenu antérieur à 71 028 euros et une perte annuelle nette de 8 826,6 euros après déduction de l’autoconsommation et des revenus actuels du survivant.
Cette première étape clarifie la cohérence interne du calcul, qui relie la nature des ressources, la preuve de l’imputation au décès, et le périmètre exact de la perte. Elle rejette, ce faisant, une approche restrictive qui aurait neutralisé la réalité patrimoniale des revenus fonciers, pourtant indifférente au titre de la créance lorsqu’elle est solidement reliée au dommage.
B — La capitalisation au jour où le juge statue et l’unicité de période
La cour retient « la méthode de calcul classique », et précise l’actualisation temporelle de l’évaluation en énonçant que « le préjudice s’évalue au jour où le juge statue ». Elle opte, en conséquence, pour le barème de la Gazette du palais 2025, tableau stationnaire, qui repose sur des données récentes et objectivées d’espérance de vie, d’inflation et de rendement. Elle fixe la valeur de l’euro de rente viagère à 14,220 pour un âge au décès de 70 ans, ce qui aboutit à un préjudice économique global de 125 514,25 euros avant imputation du préjudice temporaire de l’enfant.
La juridiction refuse la scission par l’âge de retraite allégué du conjoint survivant. Elle énonce, avec sobriété, qu’« une telle distinction ne peut pas être faite, faute de connaître l’âge de prise de la retraite ». Cette solution protège la cohérence du modèle retenu, évite une projection hypothétique non démontrée, et s’accorde avec la spécificité d’une activité libérale dont la cessation n’obéit pas à un âge légal prédéterminé. La part de consommation de l’enfant est maintenue à 25 %, la cour justifiant le refus d’un taux de 30 % par l’absence d’éléments concrets sur des charges exceptionnelles, relevant que le passage à 30 % « [serait une] somme particulièrement importante et qui n’est pas justifiée en l’état du dossier ». Le préjudice temporaire de l’enfant est alors capitalisé avec l’euro de rente temporaire 10,668, puis déduit du quantum viager pour aboutir au montant dû au conjoint survivant.
Cette seconde étape verrouille l’outil de capitalisation, refuse les scissions conjecturales et rationalise la consommation de l’enfant en l’adossant à des référentiels non obligatoires mais pertinents. Elle livre ainsi une méthode complète et cohérente, du revenu de référence jusqu’à la répartition finale.
II — Portée normative et appréciation critique de la solution rendue
A — Conformité aux principes et clarification des charges de preuve
La décision s’aligne sur la ligne directrice de la Cour de cassation. Elle reprend la matrice de 2018 pour la définition du revenu de référence et s’adosse à 2019 pour la nature patrimoniale des ressources. Cette combinaison autorise l’intégration des revenus fonciers, dès lors que l’imputation au décès est démontrée par la dévolution. La cour rappelle, sans emphase, que la réparation intégrale « repose sur le principe […] de la réparation sans perte ni profit ». Cette fidélité à la norme garantit une indemnisation exacte, ni expansive ni lacunaire.
L’acceptation du lien causal entre le décès et la baisse des bénéfices non commerciaux du survivant mérite approbation. La juridiction retient l’effet concret de la charge familiale reportée sur un parent unique, et considère comme « nécessairement » impactée l’activité libérale, eu égard à l’âge de l’enfant et aux contraintes professionnelles. Ce raisonnement valorise la preuve contextuelle, sensible aux réalités de travail autonome, et protège l’équilibre de la réparation en reconnaissant une perte professionnelle spécifique, distincte du seul effet mécanique des pensions.
B — Conséquences pratiques et zones de vigilance méthodologique
L’option pour le barème 2025, tableau stationnaire, renforce l’actualité des évaluations et la sécurité des montants, en évitant des paramètres prospectifs discutables. Elle offre une guidance précieuse aux acteurs, en privilégiant un outil récent et objectivé. Le refus de scinder par un âge de retraite supposé incite les défendeurs à documenter précisément les trajectoires professionnelles, à défaut de quoi une période unique s’impose. La motivation, en rappelant que « le préjudice s’évalue au jour où le juge statue », clarifie aussi le cadre temporel du barème applicable.
La fixation de la part de consommation de l’enfant à 25 % repose sur des référentiels usuels et sur l’absence de données probantes justifiant une majoration. Cette prudence est cohérente, bien qu’une ouverture explicite à un taux supérieur aurait pu être formulée, sous réserve de justificatifs précis sur des frais spécifiques. La référence à une « somme particulièrement importante » rationalise le refus, tout en invitant les demandeurs à densifier la preuve économique des besoins.
Au total, la solution articule rigueur normative et pragmatisme probatoire. Elle conforte l’inclusion des revenus fonciers lorsque la succession en altère l’assiette, retient une causalité professionnelle réaliste, et installe le barème 2025 comme référence. Elle rappelle, sans détour, la logique de la réparation intégrale et la discipline de la preuve. La méthode est stable, reproductible, et lisible pour les praticiens, ce qui favorise une indemnisation prévisible et équitable dans des dossiers analogues.