Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 24 juin 2025, n°23/03002

La caducité constitue une sanction procédurale redoutable, susceptible de priver définitivement le justiciable de son droit d’accès au juge d’appel. L’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence le 24 juin 2025 illustre avec rigueur le mécanisme de cette sanction lorsque l’appelant fait défaut à l’audience sans motif légitime.

En l’espèce, un assuré social s’était vu notifier par une caisse primaire d’assurance maladie, le 17 juin 2021, un taux d’incapacité permanente partielle de 2 % consécutif à une fracture de l’humérus gauche, ouvrant droit à une indemnité forfaitaire de 681,64 euros. Contestant ce taux, l’intéressé avait saisi la commission médicale de recours amiable puis le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille. Un jugement du 28 octobre 2022 lui avait donné partiellement satisfaction en portant le taux à 8 %, ce qui avait conduit la caisse à lui attribuer une indemnité majorée de 3.563,92 euros. L’assuré avait alors contesté ce nouveau montant devant le pôle social, mais sa requête avait été déclarée irrecevable par ordonnance du 17 janvier 2023, faute de preuve d’une saisine préalable de la commission de recours amiable.

L’assuré avait interjeté appel de cette ordonnance le 20 février 2023, dans des conditions de forme et de délai non contestées. Toutefois, régulièrement convoqué à l’audience du 6 mai 2025 par lettre simple, il n’avait pas comparu et n’avait pas sollicité de dispense de comparution. La caisse, partie intimée, avait alors demandé que l’appel soit déclaré non soutenu.

La question posée à la cour était celle de savoir si l’absence de l’appelant à l’audience, sans motif légitime invoqué, justifiait la caducité de son appel.

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence, par arrêt réputé contradictoire, a constaté que l’appel n’était pas soutenu, déclaré n’être saisie d’aucun moyen, prononcé la caducité de l’appel, constaté son dessaisissement et condamné l’appelant aux dépens.

Cette décision mérite examen tant au regard des conditions d’application de la caducité pour défaut de comparution (I) que des conséquences procédurales attachées à cette sanction (II).

I. Les conditions d’application de la caducité pour défaut de comparution

La caducité de l’appel suppose la réunion de conditions strictes tenant à la régularité de la convocation (A) et à l’absence de motif légitime justifiant le défaut de l’appelant (B).

A. L’exigence d’une convocation régulière

La cour fonde expressément sa décision sur l’article 468 du code de procédure civile, lequel dispose que « si, sans motif légitime, le demandeur ne comparaît pas, le défendeur peut requérir un jugement sur le fond qui sera contradictoire, sauf la faculté du juge de renvoyer l’affaire à une audience ultérieure ». Le texte ajoute que « le juge peut aussi, même d’office, déclarer la citation caduque ».

L’arrêt relève que l’appelant avait été « régulièrement convoqué à l’audience du 6 mai 2025 par lettre simple ». Cette mention revêt une importance capitale. La régularité de la convocation constitue en effet un préalable indispensable au prononcé de toute sanction procédurale fondée sur le défaut de comparution. En matière de procédure orale devant les juridictions sociales, la convocation par lettre simple est admise conformément aux dispositions applicables.

La cour prend soin de constater cette régularité avant de tirer les conséquences de l’absence de l’appelant. Cette vérification préalable garantit le respect du principe du contradictoire et du droit d’accès au juge. Une convocation irrégulière aurait fait obstacle au prononcé de la caducité et aurait imposé un renvoi de l’affaire.

L’examen de la régularité formelle ne suffit cependant pas. Encore faut-il que l’appelant n’ait pas fait valoir de motif légitime justifiant son absence.

B. L’absence de motif légitime justifiant le défaut

L’article 468 du code de procédure civile subordonne la caducité à l’absence de motif légitime du demandeur défaillant. La notion de motif légitime n’est pas définie par le texte. Elle relève de l’appréciation souveraine des juges du fond et recouvre traditionnellement les circonstances indépendantes de la volonté de la partie, telles que la maladie grave, l’hospitalisation ou l’empêchement majeur.

En l’espèce, la cour constate laconiquement que l’appelant « n’a pas comparu et n’a pas sollicité de dispense de comparution ». Cette double constatation est déterminante. L’appelant n’a ni justifié son absence ni même tenté d’obtenir une dispense qui lui aurait permis de faire valoir ses moyens par écrit ou par l’intermédiaire d’un représentant.

Le silence de l’appelant place la cour dans l’impossibilité d’apprécier l’existence d’un quelconque motif légitime. La jurisprudence est constante pour considérer que la charge de la preuve du motif légitime incombe à la partie défaillante. En l’absence de toute justification, la cour ne peut que constater la réunion des conditions de la caducité.

Le mécanisme de relevé de caducité prévu par l’article 468, alinéa 2, du code de procédure civile offre toutefois une garantie supplémentaire. L’appelant dispose d’un délai de quinze jours pour faire connaître au greffe le motif légitime qu’il n’aurait pas été en mesure d’invoquer en temps utile. Cette faculté tempère la rigueur de la sanction et préserve les droits du justiciable de bonne foi.

II. Les conséquences procédurales de la caducité de l’appel

Le prononcé de la caducité emporte des effets radicaux tant sur la saisine de la juridiction d’appel (A) que sur le sort de la décision de première instance et les frais de procédure (B).

A. Le dessaisissement de la cour et l’extinction de l’instance d’appel

La cour déclare « n’être saisie d’aucun moyen » et prononce la caducité de l’appel. Elle constate ensuite expressément son « dessaisissement ». Cette formulation traduit l’effet extinctif de la caducité sur l’instance d’appel.

La caducité se distingue de l’irrecevabilité et du désistement. Elle n’implique aucune appréciation sur le bien-fondé des prétentions ni même sur la recevabilité de l’appel. Elle sanctionne uniquement l’inertie procédurale de l’appelant qui, par son défaut de comparution injustifié, prive la cour de tout moyen à examiner.

L’arrêt souligne que « la cour n’est saisie d’aucun moyen d’appel » en raison de l’absence de l’appelant. Cette formulation mérite attention. En procédure orale, les moyens sont présentés verbalement à l’audience. L’absence de l’appelant prive donc la cour de toute matière à juger, ce qui justifie le prononcé de la caducité plutôt qu’un débouté au fond.

Le dessaisissement de la cour met fin à l’instance d’appel. L’affaire ne pourra être réexaminée que si l’appelant obtient le relevé de caducité dans le délai de quinze jours ou s’il forme un nouvel appel, sous réserve que les délais ne soient pas expirés. En l’espèce, l’appel ayant été formé le 20 février 2023, un nouvel appel apparaît impossible, les délais étant largement dépassés.

B. Le maintien de la décision de première instance et la charge des dépens

La caducité de l’appel a pour effet de conférer force de chose jugée à la décision de première instance. L’ordonnance du 17 janvier 2023, qui avait déclaré irrecevable la requête de l’assuré faute de preuve de saisine préalable de la commission de recours amiable, devient donc définitive.

Cette conséquence est particulièrement sévère pour l’appelant. L’irrecevabilité prononcée en première instance le prive de tout examen au fond de sa contestation du montant de l’indemnité forfaitaire. La caducité de l’appel verrouille définitivement cette situation procédurale défavorable.

La cour condamne en outre l’appelant aux dépens. Cette condamnation est conforme au principe selon lequel la partie qui succombe supporte les frais de l’instance. L’appelant défaillant est assimilé à une partie perdante dès lors que son appel est déclaré caduc.

L’arrêt ne statue pas sur l’article 700 du code de procédure civile, la caisse n’ayant apparemment pas formé de demande à ce titre. Cette absence de condamnation accessoire atténue légèrement les conséquences financières pour l’appelant défaillant.

La présente décision rappelle avec fermeté que le droit d’appel s’accompagne d’obligations procédurales dont le non-respect expose le justiciable à des sanctions radicales. La comparution à l’audience ou, à défaut, la sollicitation d’une dispense constituent des diligences minimales que tout appelant doit accomplir pour préserver son recours.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture