Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 24 juin 2025, n°24/05292

Par un arrêt réputé contradictoire du 24 juin 2025, la chambre 4-8a de la cour d’appel d’Aix-en-Provence statue sur les conditions d’octroi de l’allocation aux adultes handicapés lorsque le taux d’incapacité est compris entre 50 et 79 %. La question centrale porte sur l’appréciation de la restriction substantielle et durable dans l’accès à l’emploi.

Une personne née en 1968 sollicite le 22 avril 2022 le bénéfice de l’allocation aux adultes handicapés auprès de la maison départementale des personnes handicapées. Elle souffre d’un diabète insulinodépendant et d’une rétinopathie diabétique sévère entraînant une acuité visuelle de 1,5/10 à l’œil gauche et 2/10 à l’œil droit. La commission des droits et de l’autonomie rejette la demande le 20 septembre 2022 en retenant un taux d’incapacité inférieur à 50 %. Un recours administratif préalable obligatoire est exercé le 17 novembre 2022 et rejeté le 4 avril 2023. La requérante saisit alors le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille.

Par jugement réputé contradictoire du 5 avril 2024, le tribunal judiciaire de Marseille reconnaît un taux d’incapacité compris entre 50 et 79 % mais refuse de constater l’existence d’une restriction substantielle et durable dans l’accès à l’emploi. Le tribunal se fonde sur le rapport du médecin consultant qui relève que l’intéressée n’a jamais exercé d’activité professionnelle. La demanderesse interjette appel le 23 avril 2024. Devant la cour, elle soutient que la condition médicale tenant au taux d’incapacité est satisfaite et qu’elle ne peut exercer d’activité professionnelle au regard de son handicap. Les intimés, régulièrement convoqués, ne comparaissent pas.

La cour d’appel est ainsi amenée à déterminer si l’absence d’activité professionnelle antérieure constitue un obstacle à la reconnaissance d’une restriction substantielle et durable dans l’accès à l’emploi au sens de l’article D. 821-1-2 du code de la sécurité sociale.

La cour d’appel infirme le jugement et accorde le bénéfice de l’allocation aux adultes handicapés pour une durée de cinq ans à compter du 1er mai 2022. Elle juge que « les pièces médicales de la procédure témoignent de l’existence d’une restriction substantielle et durable dans l’accès l’emploi au regard de l’importance de la perte de l’acuité visuelle et de ses conséquences ». Elle relève que la requérante « n’est pas en mesure d’accomplir les actes les plus élémentaires de la vie professionnelle et doit être assistée à cette occasion par une tierce-personne ce qui rend difficile un aménagement pérenne de poste ».

La décision mérite examen tant dans sa méthode d’appréciation de la restriction substantielle et durable (I) que dans ses implications sur l’articulation entre handicap et accès à l’emploi (II).

I. L’appréciation renouvelée de la restriction substantielle et durable dans l’accès à l’emploi

La cour procède à une analyse autonome des éléments médicaux (A) tout en écartant le critère de l’exercice antérieur d’une activité professionnelle (B).

A. Une analyse concrète des limitations fonctionnelles

La cour d’appel fonde son raisonnement sur une appréciation globale des limitations fonctionnelles résultant du handicap. Elle s’appuie sur le bilan ophtalmologique qui établit que le champ visuel binoculaire, la vision des couleurs et la sensibilité au faible contraste ne sont pas normaux. Le certificat médical joint à la demande initiale évoquait « explicitement l’existence d’une restriction substantielle et durable dans l’accès à l’emploi au regard du retentissement de la pathologie ». Cette motivation traduit une lecture fidèle de l’article D. 821-1-2 du code de la sécurité sociale qui impose de prendre en considération les déficiences à l’origine du handicap et les limitations d’activités en résultant directement.

La cour souligne que l’intéressée « a besoin de l’aide d’une tierce personne pour lire, écrire, utiliser le téléphone et les appareils de communication, réaliser les déplacements extérieurs ». Cette enumération démontre que la restriction ne se limite pas à certaines catégories d’emplois mais affecte les gestes élémentaires de toute vie professionnelle. Le médecin consultant avait lui-même reconnu que la pathologie était « sévère, irréversible » et que l’intéressée était « très handicapée par ses problèmes visuels ».

B. Le rejet du critère de l’activité professionnelle antérieure

La cour écarte expressément le raisonnement du médecin consultant et des premiers juges qui avaient fait grief à la requérante de n’avoir pas exercé d’activité professionnelle. Elle affirme que « l’état de l’intéressée doit être apprécié au 22 avril 2022, ce qui rend la motivation de leur analyse peu pertinente ». Cette position apparaît conforme à la lettre du texte réglementaire qui définit la restriction par rapport à une situation hypothétique d’accès à l’emploi.

L’article D. 821-1-2 prévoit que les difficultés importantes d’accès à l’emploi doivent être « comparées à la situation d’une personne sans handicap qui présente par ailleurs les mêmes caractéristiques en matière d’accès à l’emploi ». Il ne conditionne nullement la reconnaissance de la restriction à l’exercice préalable d’une activité. Exiger une telle condition reviendrait à pénaliser les personnes dont le handicap a précisément empêché toute insertion professionnelle. La cour fait ainsi prévaloir une interprétation téléologique du dispositif de protection sociale.

II. Les implications de la décision sur l’articulation entre handicap sévère et employabilité

L’arrêt pose la question des limites du dispositif de compensation du handicap (A) et celle de la durée d’attribution de l’allocation (B).

A. L’insuffisance des mesures de compensation face à un handicap sévère

La cour relève que la restriction « ne peut donc pas être surmontée par des capacités acquises et mobilisables ». Elle ajoute que « l’absence d’études de Madame [V] [B] et son âge à la date de la demande l’empêchent de mettre en valeur d’éventuelles potentialités d’adaptation ». L’article D. 821-1-2, 2° prévoit que la restriction est dépourvue de caractère substantiel lorsqu’elle peut être surmontée par des aménagements de poste ou des mesures de compensation sans constituer des charges disproportionnées.

En l’espèce, la cour constate que l’assistance permanente d’une tierce personne pour les gestes élémentaires « rend difficile un aménagement pérenne de poste ». Cette analyse reconnaît implicitement que certains handicaps excèdent les capacités d’adaptation du milieu ordinaire de travail. La notion d’aménagement raisonnable trouve ici ses limites lorsque les déficiences affectent les fonctions sensorielles essentielles à toute activité professionnelle.

B. La durée maximale d’attribution comme reconnaissance de l’irréversibilité

La cour accorde l’allocation pour une durée de cinq ans, soit le maximum prévu par l’article D. 821-1-2, 3°. Elle justifie cette durée par le fait que « la restriction substantielle et durable de l’accès à l’emploi de Madame [V] [B] n’étant pas susceptible d’évolution favorable au cours de la période d’attribution ». Le médecin consultant avait souligné le caractère irréversible de la pathologie et l’échec des multiples interventions chirurgicales.

Cette attribution pour la durée maximale traduit la prise en compte de la stabilisation défavorable de l’état de santé. Elle évite à l’intéressée de renouveler fréquemment ses démarches administratives alors que son handicap ne peut s’améliorer. La cour tire ainsi les conséquences logiques du pronostic médical sur la durée de la prestation accordée. Cette approche pragmatique s’inscrit dans l’objectif de simplification des droits des personnes handicapées que le législateur a poursuivi lors des réformes récentes.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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