Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 26 juin 2025, n°24/09396

La saisie-attribution constitue une mesure d’exécution forcée dont le régime juridique concilie les droits du créancier et la protection du débiteur. L’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence le 26 juin 2025 illustre cette recherche d’équilibre en matière de contestation d’une saisie-attribution et d’appréciation de son caractère abusif.

Un établissement de crédit avait obtenu une ordonnance d’injonction de payer le 30 janvier 2023 à l’encontre d’une personne physique, en sa qualité de caution d’un contrat de crédit-bail souscrit par une société placée en liquidation judiciaire. Cette ordonnance a été signifiée le 17 mars 2023. Sur ce fondement, le créancier a fait pratiquer une saisie-attribution le 2 juin 2023 sur les comptes bancaires du débiteur, dénoncée le 8 juin suivant. Le débiteur a formé opposition à l’injonction de payer et a contesté la saisie-attribution devant le juge de l’exécution, arguant notamment de l’irrégularité de l’acte de cautionnement ayant donné lieu au dépôt d’une plainte pour faux et usage de faux. L’ordonnance d’injonction de payer a été déclarée non avenue le 3 octobre 2023 faute pour le créancier d’avoir constitué avocat dans le délai requis. Le créancier avait néanmoins procédé à la mainlevée amiable de la saisie le 27 septembre 2023.

Par jugement du 12 mars 2024, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Draguignan a déclaré irrecevable la contestation formée par le débiteur. Ce dernier a interjeté appel, sollicitant la recevabilité de sa contestation et l’allocation de dommages et intérêts pour saisie abusive sur le fondement de l’article L. 121-2 du Code des procédures civiles d’exécution. Le créancier a conclu à la confirmation du jugement et, subsidiairement, au rejet de la demande indemnitaire.

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence devait ainsi répondre à une double interrogation. La contestation de la saisie-attribution était-elle recevable au regard des conditions de forme prescrites par l’article R. 211-1 du Code des procédures civiles d’exécution ? La saisie-attribution pratiquée présentait-elle un caractère abusif de nature à engager la responsabilité du créancier ?

La cour infirme partiellement le jugement entrepris en déclarant recevable la contestation formée par le débiteur. Elle rejette cependant la demande de dommages et intérêts en retenant que la saisie-attribution « doit être considérée comme nécessaire et utile et dépourvue de caractère abusif », le créancier ayant agi sur le fondement d’un titre exécutoire après avoir tenté un recouvrement amiable et ayant procédé à la mainlevée peu après avoir eu connaissance de la contestation portant sur l’acte de cautionnement.

L’arrêt présente un intérêt doctrinal certain en ce qu’il précise les critères d’appréciation de l’abus de saisie au regard du comportement du créancier. Il convient d’examiner successivement la recevabilité de la contestation de la saisie-attribution, condition procédurale du débat au fond (I), puis les critères d’appréciation du caractère abusif de la mesure d’exécution (II).

I. La recevabilité de la contestation de la saisie-attribution : une exigence procédurale strictement encadrée

La contestation d’une saisie-attribution obéit à un formalisme rigoureux dont le respect conditionne l’accès au débat sur le fond (A). L’infirmation du jugement de première instance témoigne de l’attention portée par la cour à la vérification des conditions légales de recevabilité (B).

A. Le cadre normatif de la contestation : l’article R. 211-1 du Code des procédures civiles d’exécution

L’article R. 211-1 du Code des procédures civiles d’exécution soumet la contestation de la saisie-attribution à des conditions de délai et de forme précises. Le débiteur saisi dispose d’un mois à compter de la dénonciation de la saisie pour la contester devant le juge de l’exécution par voie d’assignation. Cette assignation doit être dénoncée à l’huissier de justice ayant procédé à la saisie. Le non-respect de ces formalités entraîne l’irrecevabilité de la contestation, privant le débiteur de toute possibilité de faire valoir ses moyens de fond.

En l’espèce, le juge de l’exécution avait prononcé l’irrecevabilité de la contestation. La cour d’appel relève que le débiteur « justifie de l’envoi conforme de la dénonce de son assignation en contestation devant le juge de l’exécution, à l’huissier de justice poursuivant ». Cette constatation factuelle suffit à établir le respect des conditions de recevabilité prescrites par le texte. La brièveté de la motivation sur ce point traduit une appréciation objective des éléments de preuve produits.

B. L’infirmation du jugement : la sanction d’une erreur d’appréciation des pièces

La cour procède à l’infirmation partielle du jugement en déclarant la contestation recevable. Elle retient que celle-ci a été « présentée dans les formes et délais prévus par l’article R. 211-1 du Code des procédures civiles d’exécution ». L’appelant soutenait que le premier juge n’avait pas tenu compte des pièces produites en réponse aux conclusions tardives du créancier. La cour d’appel, en sa qualité de juge du fond, opère un nouvel examen des éléments versés aux débats et parvient à une conclusion différente.

Cette infirmation rappelle l’office du juge d’appel en matière de voies d’exécution. Le principe du double degré de juridiction permet une réformation des décisions du juge de l’exécution lorsque celui-ci a commis une erreur dans l’appréciation des conditions de recevabilité. La solution retenue s’inscrit dans une conception favorable à l’accès au juge, le doute devant profiter au débiteur lorsque les pièces justificatives établissent le respect des formalités légales.

II. L’appréciation du caractère abusif de la saisie-attribution : une analyse in concreto du comportement du créancier

Le régime de la saisie abusive repose sur l’articulation entre la liberté de choix du créancier et le principe de proportionnalité (A). L’application de ces principes au cas d’espèce conduit la cour à exclure tout caractère abusif (B).

A. Le cadre juridique de l’abus de saisie : liberté du créancier et exigence de proportionnalité

La cour rappelle le fondement textuel de l’appréciation de l’abus de saisie en visant les articles L. 111-7 et L. 121-2 du Code des procédures civiles d’exécution. Le premier dispose que « le créancier a le choix des mesures propres à assurer l’exécution ou la conservation de sa créance, l’exécution de ces mesures ne pouvant excéder ce qui se révèle nécessaire pour obtenir le paiement de l’obligation ». Le second confère au juge de l’exécution « le pouvoir d’ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive et de condamner le créancier à des dommages-intérêts en cas d’abus de saisie ».

La cour tire de ces dispositions une grille d’analyse comportant plusieurs critères. La mesure ne doit pas être inutile au regard de la situation du débiteur. Elle ne doit pas être disproportionnée compte tenu du montant de la créance. Elle ne doit pas revêtir un caractère vexatoire au regard de l’attitude du créancier. L’appréciation s’effectue au jour de la saisie, la cour précisant que « le juge de l’exécution doit se placer au jour de la saisie pour statuer ». La charge de la preuve incombe au débiteur qui poursuit la mainlevée, conformément aux principes généraux résultant de l’article 1315 du Code civil.

B. L’absence de caractère abusif : la prise en compte du comportement diligent du créancier

L’application de ces critères conduit la cour à rejeter la demande de dommages et intérêts pour abus de saisie. Plusieurs éléments factuels fondent cette solution. Au jour de la saisie, le créancier détenait un titre exécutoire régulièrement signifié, l’ordonnance d’injonction de payer du 30 janvier 2023. Il avait préalablement tenté un recouvrement amiable par l’intermédiaire d’un huissier de justice dès décembre 2022. La mesure était proportionnée, le montant saisi de 4 139,91 euros étant inférieur à la créance poursuivie de 7 292,20 euros.

La cour accorde une importance particulière à la réactivité du créancier après la découverte de la contestation portant sur l’acte de cautionnement. Elle relève que celui-ci « a mandaté un huissier de justice aux fins de mainlevée de cette saisie attribution peu de temps après avoir pris connaissance de la contestation par [le débiteur] de la régularité de l’acte de cautionnement fondant sa créance ». La mainlevée amiable est intervenue le 27 septembre 2023, soit moins de trois mois après la dénonciation de l’assignation en contestation. Cette diligence exclut toute intention de nuire ou comportement vexatoire.

La solution retenue témoigne d’une conception équilibrée de l’abus de saisie. Le créancier qui agit sur le fondement d’un titre exécutoire apparent, après avoir tenté un recouvrement amiable, et qui procède spontanément à la mainlevée dès qu’il prend connaissance d’une contestation sérieuse sur le fondement de sa créance, ne commet pas d’abus. L’anéantissement ultérieur du titre par la caducité de l’ordonnance d’injonction de payer demeure sans incidence sur cette appréciation qui s’effectue au jour de la mesure. Cette approche protège légitimement le créancier de bonne foi tout en préservant les droits du débiteur qui conserve la faculté de contester la créance au fond devant la juridiction compétente.

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Hassan KOHEN
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