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La qualité de la relation de travail dépend souvent d’éléments de rémunération accessoires dont le régime juridique demeure incertain. La distinction entre gratification bénévole, prime contractuelle et usage d’entreprise détermine les droits du salarié face aux modifications décidées par l’employeur. Cette problématique se pose avec une acuité particulière lorsque la cessation d’activité de l’employeur s’accompagne d’allégations de transfert d’entreprise.
Une salariée a été engagée le 21 novembre 1988 en qualité de secrétaire médicale par une société civile de moyens créée par des médecins radiologues pour exploiter un scanographe mis à disposition par une autre société. Cette salariée percevait mensuellement, outre son salaire fixe, une prime de rendement dont le montant variait. Par note du 25 mars 2011, l’employeur a modifié les modalités de calcul de cette prime en fonction du nombre de patients reçus et non plus du nombre d’examens réalisés. La résiliation du contrat de mise à disposition du scanographe a conduit l’employeur à cesser son activité le 19 août 2013. La salariée a été licenciée pour motif économique le 25 juin 2013 après acceptation d’un contrat de sécurisation professionnelle.
La salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Marseille le 21 mars 2014 aux fins d’obtenir l’annulation de son licenciement et diverses condamnations. Elle soutenait que son employeur avait transféré son activité à une fondation hospitalière exploitant un établissement privé dans lequel le scanographe avait été déplacé. Par jugement du 17 janvier 2022, le conseil de prud’hommes a partiellement fait droit aux demandes de la salariée en lui accordant un rappel de prime de rendement mais l’a déboutée de ses autres prétentions. La salariée a interjeté appel de cette décision.
Devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, la salariée soutenait que la prime de rendement constituait un élément contractuel ou à défaut un usage d’entreprise que l’employeur ne pouvait modifier unilatéralement. Elle prétendait également que l’activité de son ancien employeur avait été transférée à la fondation hospitalière concomitamment à son licenciement, ce qui aurait dû entraîner l’application de l’article L. 1224-1 du code du travail et le transfert de son contrat de travail.
La cour d’appel d’Aix-en-Provence devait déterminer si une prime de rendement dont le mode de calcul n’avait jamais été communiqué aux salariés pouvait constituer un usage d’entreprise. Elle devait également apprécier si le déplacement d’un équipement médical vers les locaux d’un établissement hospitalier caractérisait le transfert d’une entité économique autonome au sens de l’article L. 1224-1 du code du travail.
Par arrêt du 27 juin 2025, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a infirmé le jugement en ce qu’il avait accordé un rappel de prime de rendement à la salariée et a confirmé le rejet de toutes ses autres demandes. La cour a jugé que « le critère de fixité de la prime de rendement litigieuse n’étant pas respecté dans ses modalités en vigueur avant le 25 mars 2011, cette prime ne constituait pas une prime d’usage instituée au sein de l’entreprise ». Elle a également retenu que la salariée « n’apporte aucun élément démontrant que ce transfert matériel du scanographe se serait accompagné d’un transfert à la fondation Ambroise Paré des autres éléments constituant l’entité économique autonome ».
Cette décision invite à examiner les conditions de qualification d’un usage d’entreprise en matière de rémunération variable (I), avant d’analyser les critères du transfert d’entité économique autonome (II).
I. L’exigence de fixité comme obstacle à la qualification d’usage d’entreprise
La cour d’appel rappelle les conditions cumulatives de l’usage d’entreprise (A) pour mieux souligner l’absence de fixité d’une prime dont le mode de calcul demeurait inconnu des salariés (B).
A. Le rappel des conditions cumulatives de l’usage d’entreprise
La cour énonce que « la constance, la généralité et la fixité de la pratique doivent permettre d’établir la volonté non équivoque de l’employeur de s’engager envers ses salariés ». Elle rappelle ainsi les trois critères traditionnellement exigés par la jurisprudence pour caractériser un usage d’entreprise. Ces conditions sont cumulatives et « si l’une d’entre elles fait défaut, il ne sera pas possible de présumer que l’employeur a souhaité accorder, en pleine connaissance de cause, un droit supplémentaire aux salariés ».
Cette exigence de démonstration positive incombe au salarié qui invoque l’usage. La cour cite expressément la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle « c’est au salarié qui invoque un usage d’apporter par tous moyens la preuve tant de son existence que de son étendue ». En l’espèce, la salariée ne versait aux débats aucun contrat de travail ni avenant stipulant le versement d’une prime de rendement. Les seuls bulletins de salaire ne suffisaient pas à démontrer l’existence d’un engagement contractuel de l’employeur.
La reconnaissance des critères de généralité et de constance ne posait pas difficulté. La cour observe que « la prime litigieuse était versée chaque mois à toutes les secrétaires médicales ». Le versement régulier à l’ensemble des salariés concernés satisfaisait donc aux deux premières conditions de l’usage.
B. L’absence de fixité d’une prime au mode de calcul non diffusé
Le critère de fixité suppose que l’avantage soit déterminé selon des règles objectives et connues. La cour relève qu’« aucun élément versé au dossier ne précise quelles étaient les modalités de fixation ni le mode de calcul de cette prime de rendement jusqu’au 25 mars 2011 ». Les modalités de fixation de cette prime par l’employeur n’avaient jamais été communiquées aux salariées concernées.
La variation importante des montants versés confirmait cette absence de fixité. Durant la période d’avril 2010 à mars 2011, « le montant de cette prime mensuelle versé à Mme [Z] a varié entre 125 euros et 1 650 euros ». Une telle amplitude excluait tout caractère prévisible de la rémunération variable.
La cour en déduit que « le fait que l’employeur ait pu tenir compte du nombre d’examens réalisés par le cabinet pour fixer cette prime ne lui ôte pas son caractère purement discrétionnaire dès lors que son mode de calcul n’était pas diffusé au sein de l’entreprise ». L’existence d’un critère objectif interne à l’employeur ne suffit pas à caractériser la fixité si ce critère demeure inconnu des bénéficiaires. La prime n’a acquis « son caractère de fixité qu’à compter de la date de diffusion » de la note du 25 mars 2011 communiquant pour la première fois un barème précis.
Cette analyse conduit à distinguer la gratification bénévole de l’usage d’entreprise. La première relève du pouvoir discrétionnaire de l’employeur et peut être modifiée ou supprimée librement. Le second crée un droit au profit des salariés qui ne peut être dénoncé que selon une procédure spécifique. En l’espèce, la prime litigieuse relevait de la première catégorie.
II. L’insuffisance du déplacement matériel pour caractériser un transfert d’entité économique
La cour rappelle les éléments constitutifs de l’entité économique autonome (A) et constate l’absence de transfert des moyens significatifs nécessaires à l’exploitation (B).
A. Les éléments constitutifs de l’entité économique autonome
La cour définit l’entité économique autonome comme « un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre ». Cette définition reprend la jurisprudence constante de la Cour de cassation interprétée à la lumière de la directive européenne du 12 mars 2001.
Le transfert d’une telle entité ne s’opère que « si des moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à son exploitation sont repris, directement ou indirectement, par un autre exploitant ». La seule reprise partielle de certains éléments ne suffit pas à caractériser le transfert. L’identité de l’entité doit être conservée après le transfert.
La charge de la preuve incombe au salarié qui invoque l’application de l’article L. 1224-1 du code du travail. Il lui appartient de démontrer « qu’une entité économique autonome a été transférée par la société Scanner [T] [D] à la fondation Ambroise Paré, entraînant le transfert de son contrat de travail ». Cette exigence probatoire s’avère particulièrement rigoureuse en l’espèce.
B. L’absence de transfert des moyens significatifs d’exploitation
La cour admet que « le scanographe utilisé par l’employeur jusqu’au 19 août 2013 a été matériellement déplacé et installé dans les locaux de l’Hôpital Européen ». Ce déplacement géographique de l’équipement principal ne suffit toutefois pas à caractériser un transfert d’entité économique. La fondation hospitalière n’exploitait pas elle-même le scanographe mais mettait simplement ses locaux à disposition de professionnels libéraux.
La salariée « n’apporte aucun élément démontrant que ce transfert matériel du scanographe se serait accompagné d’un transfert à la fondation Ambroise Paré des autres éléments constituant l’entité économique autonome tels que les fichiers de patientèle, les meubles et autres biens corporels ». Les éléments incorporels essentiels à l’activité n’avaient pas été repris par le prétendu cessionnaire.
L’identité de l’entité n’avait pas davantage été maintenue. Les radiologues exploitant désormais le scanographe n’avaient « aucun lien démontré avec la société Scanner [T] [D] ». L’appareil était « mutualisé et utilisé par diverses sociétés et médecins libéraux exerçant leur activité en totale autonomie au sein de la clinique ». Cette nouvelle organisation excluait toute continuité avec l’ancienne structure.
Les éléments invoqués par la salariée demeuraient insuffisants. Le panneau d’affichage et le message téléphonique orientant les patients vers l’hôpital « ne suffisent pas pour démontrer le transfert d’une unité économique autonome ». La cour souligne que « la déontologie médicale impose à tout professionnel de santé interrompant son activité d’orienter ses patients vers une structure susceptible de les prendre en charge ». Cette obligation déontologique ne pouvait être assimilée à un transfert de clientèle.