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La procédure d’appel en matière prud’homale obéit à un formalisme rigoureux dont le non-respect peut conduire à des sanctions radicales. L’arrêt rendu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 27 juin 2025 illustre cette rigueur en confirmant la caducité d’une déclaration d’appel pour défaut de demande expresse d’infirmation du jugement.
Une salariée avait saisi le conseil de prud’hommes de Martigues de demandes relatives à des heures supplémentaires et à la résiliation judiciaire de son contrat de travail. Par jugement du 9 septembre 2020, cette juridiction l’a déboutée de l’ensemble de ses prétentions. La salariée a interjeté appel le 8 octobre 2020. Dans ses conclusions d’appelante notifiées le 29 décembre 2020, elle demandait à la cour de « la dire bien fondée en son appel » et reprenait ses demandes de première instance sans solliciter expressément l’infirmation ou l’annulation du jugement. Ce n’est que le 3 juin 2021 qu’elle a déposé de nouvelles conclusions comportant une demande tendant à « réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ». La société intimée a soulevé un incident de caducité. Par ordonnance du 10 janvier 2025, le conseiller de la mise en état a prononcé la caducité de la déclaration d’appel. La salariée a déféré cette ordonnance à la cour.
Devant la cour, l’appelante soutenait que ses conclusions du 29 décembre 2020 avaient « expressément conclu à l’infirmation du jugement déféré en demandant à la cour de la déclarer bien fondée en son appel ». Elle invoquait également l’absence de grief au sens de l’article 114 du code de procédure civile et la violation de son droit à un procès équitable garanti par l’article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’homme.
La question posée à la cour était de savoir si la formule « la dire bien fondée en son appel » satisfait à l’exigence de demander expressément l’infirmation ou l’annulation du jugement dans le dispositif des conclusions d’appelant.
La cour d’appel d’Aix-en-Provence confirme l’ordonnance déférée. Elle juge que l’appelante « n’est pas fondée à soutenir que la demande suivante : la dire bien fondée en son appel serait équivalente à une demande d’infirmation du jugement ». Elle retient que « cette exigence procédurale et la sanction en découlant étaient bien prévisibles et sont respectueuses de l’article 6 paragraphe 1 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme » et que « l’exigence d’un grief causé par un vice de forme imposée par l’article 114 du code de procédure est limitée aux demandes de nullité d’actes et ne s’applique pas en matière de caducité ».
Cette décision confirme l’interprétation stricte de l’obligation de conclure à l’infirmation du jugement (I) tout en révélant les limites des moyens de défense opposables à la caducité (II).
I. L’interprétation stricte de l’obligation de conclure à l’infirmation
La cour d’appel d’Aix-en-Provence applique avec rigueur le formalisme imposé par la Cour de cassation (A), refusant toute équivalence entre des formules jugées insuffisantes et la demande expresse d’infirmation (B).
A. L’application rigoureuse du formalisme de l’appel
La cour rappelle le cadre normatif applicable en visant les articles 542, 901, 908, 910-1 et 954 du code de procédure civile. Elle mentionne l’arrêt de la deuxième chambre civile du 17 septembre 2020 qui a « précisé que les dispositions précitées imposaient à l’appelant de solliciter expressément l’infirmation ou l’annulation du jugement dans le dispositif de ses conclusions ». Cette jurisprudence a instauré une exigence nouvelle dont l’application temporelle a été différée aux appels formés postérieurement à cette date.
L’appel ayant été interjeté le 8 octobre 2020, la cour relève qu’il « entre bien dans le champ d’application de cette jurisprudence ». La prévisibilité de la règle est ainsi assurée par ce mécanisme de modulation dans le temps. L’appelante ne pouvait ignorer cette exigence lorsqu’elle a rédigé ses conclusions notifiées le 29 décembre 2020, soit plus de trois mois après la publication de l’arrêt du 17 septembre 2020.
Cette rigueur procédurale s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel visant à « assurer la célérité et l’efficacité de la procédure d’appel ». La cour reprend cette justification énoncée par la Cour de cassation pour écarter le caractère disproportionné de la sanction. Le formalisme n’est pas une fin en soi mais un instrument au service de la bonne administration de la justice.
B. Le refus de toute équivalence formelle
La cour rejette l’argument selon lequel demander à être déclarée « bien fondée en son appel » équivaudrait à solliciter l’infirmation du jugement. Cette formule, fréquemment employée en pratique, ne satisfait pas à l’exigence de précision posée par la jurisprudence. L’appelante doit indiquer clairement ce qu’elle attend de la cour concernant la décision attaquée.
La distinction opérée par la cour repose sur la fonction du dispositif des conclusions. Celui-ci détermine « l’objet du litige porté devant la cour d’appel » selon l’article 910-1 du code de procédure civile. Dire qu’un appel est bien fondé ne précise pas quelle conséquence doit en être tirée sur le jugement. La réformation et l’annulation constituent des demandes distinctes qui doivent être expressément formulées.
Cette exigence peut paraître excessive lorsque l’appelante reprend dans ses conclusions l’intégralité de ses demandes de première instance. L’intention de voir infirmer le jugement semble alors évidente. Toutefois, la cour refuse d’interpréter les conclusions au-delà de leur lettre. Le formalisme procédural commande une lecture stricte du dispositif, sans déduction ni suppléance du juge.
II. Les limites des moyens de défense opposables à la caducité
L’appelante a tenté d’échapper à la caducité en invoquant successivement l’absence de grief (A) et la violation du droit à un procès équitable (B), arguments tous deux écartés par la cour.
A. L’inapplicabilité du régime des nullités de forme
L’appelante soutenait que l’intimée ne justifiait « d’aucun grief au sens de l’article 114 du code de procédure civile ». Cet article subordonne le prononcé de la nullité d’un acte de procédure pour vice de forme à la démonstration d’un grief causé à celui qui l’invoque. L’argument visait à transposer ce régime protecteur à la sanction de caducité.
La cour écarte cette argumentation de manière catégorique. Elle juge que « l’exigence d’un grief causé par un vice de forme imposée par l’article 114 du code de procédure est limitée aux demandes de nullité d’actes et ne s’applique pas en matière de caducité d’une déclaration d’appel ». La distinction entre nullité et caducité repose sur leur nature juridique différente. La nullité sanctionne un acte irrégulier tandis que la caducité constate la perte d’effet d’un acte initialement valable.
Cette solution prive l’appelant de tout moyen de défense fondé sur l’absence de préjudice causé à l’adversaire. L’intimée n’a pas à démontrer qu’elle a été mise dans l’impossibilité de se défendre ou qu’elle a subi une quelconque atteinte à ses droits. La caducité opère de plein droit dès lors que les conditions en sont réunies, indépendamment de ses conséquences concrètes.
B. La conformité de la sanction au droit à un procès équitable
L’appelante invoquait enfin la violation de son droit à un procès équitable garanti par l’article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’homme. La caducité la privait de tout examen au fond de ses prétentions et constituait selon elle une atteinte disproportionnée à son droit d’accès au juge.
La cour rejette ce moyen en retenant que « cette exigence procédurale et la sanction en découlant étaient bien prévisibles ». L’appel a été formé le 8 octobre 2020 et les conclusions notifiées le 29 décembre 2020, soit postérieurement à l’arrêt du 17 septembre 2020 qui avait « rappelé cette exigence ». L’appelante disposait ainsi d’une information suffisante sur les règles applicables.
La cour ajoute que « la sanction de caducité n’est pas disproportionnée au but poursuivi d’assurer la célérité et l’efficacité de la procédure d’appel ». Ce contrôle de proportionnalité, imposé par la jurisprudence européenne, conduit à mettre en balance le droit d’accès au juge et les impératifs de bonne administration de la justice. En l’espèce, la rigueur procédurale l’emporte. L’appelante avait les moyens de respecter le formalisme exigé et ne peut imputer qu’à elle-même les conséquences de sa négligence.