Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 29 août 2025, n°21/11028

Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 29 août 2025. Le litige porte sur la requalification de contrats d’usage en contrat à durée indéterminée et ses effets indemnitaires. Le secteur concerné est celui de l’animation commerciale, avec missions répétées sur une période significative.

Un salarié fut engagé par une succession de contrats d’intervention à durée déterminée, puis par un contrat à durée déterminée à temps complet renouvelé. Les fonctions exercées demeuraient celles d’animateur/promoteur de ventes, dans des grandes surfaces, pour un même donneur d’ordres.

Le conseil de prud’hommes d’Aix-en-Provence, le 21 juin 2021, a débouté l’ensemble des demandes. En appel, le salarié sollicite la requalification des CIDD et du CDD subséquent, puis des indemnités afférentes, notamment de requalification, de préavis et de licenciement, ainsi qu’un rappel d’indemnités kilométriques. L’employeur s’y oppose en invoquant l’usage sectoriel et l’imprévisibilité des animations.

La question de droit tient au contrôle du recours aux CDD d’usage au regard du « caractère par nature temporaire » exigé, en présence d’affectations récurrentes et homogènes pour le même client. S’y ajoutent l’exigence probatoire en matière de frais professionnels et le régime indemnitaire du licenciement d’un salarié de moins de deux ans d’ancienneté.

La cour déclare l’appel recevable, requalifie les contrats en CDI à compter du 26 août 2015, accorde l’indemnité de requalification, l’indemnité compensatrice de préavis et l’indemnité légale de licenciement, rejette la demande d’indemnités kilométriques faute de preuve, et refuse des dommages et intérêts pour absence de cause et irrégularité procédurale.

I. Le contrôle des CDD d’usage et la requalification

A. La vérification des « raisons objectives » et la permanence de l’emploi

Le régime des CDD d’usage ne dispense pas du contrôle judiciaire des motifs concrets du recours répété. Selon un attendu de principe, « impose de vérifier que le recours à l’utilisation de contrats à durée déterminée successifs est justifié par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi » (Soc., 4 déc. 2019, n° 18-11.989). La cour applique strictement cet impératif.

Elle retient que les missions furent continues et homogènes pendant plus de seize mois, au profit du même client, dans le cœur de l’activité de l’employeur. Des éléments extérieurs au litige attestent d’une relation commerciale ancienne et suivie pour des animations identiques. La poursuite d’affectations, y compris après l’échéance d’un contrat-cadre invoqué, confirme le caractère durable des besoins couverts. L’emploi pourvu s’inscrit ainsi dans l’activité normale et permanente de l’entreprise.

La qualification conventionnelle de l’animateur comme emploi « par nature temporaire » ne suffit pas, à elle seule, à établir la temporalité requise. Le juge confronte le texte de branche à la réalité des affectations, puis en déduit la requalification. Les autres moyens tirés de l’accord de 2006 deviennent sans portée utile au vu de ce constat déterminant.

B. Les effets juridiques immédiats de la requalification sur les indemnités

La requalification produit effet à la date du premier CIDD, entraînant la transformation du CDD subséquent et de ses avenants. Le droit à l’indemnité de requalification est acquis, le minimum légal étant rappelé par l’énoncé suivant : « Le montant minimum de l’indemnité de requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée est calculé selon la dernière moyenne de salaire mensuel » (Soc., 26 avr. 2017, n° 15-23.311). La cour aligne le quantum sur le dernier salaire non contesté.

Le calcul du préavis doit se faire en référence au statut de salarié permanent. La haute juridiction a jugé que, « par l’effet de la requalification en contrat à durée indéterminée, l’indemnité de préavis doit être calculée au regard des sommes que le salarié aurait perçues en application du statut de travailleur permanent » (Soc., 8 févr. 2023, n° 21-17.971). L’indemnité légale de licenciement est due au-delà d’une année d’ancienneté, la cour la limitant à la demande. L’ensemble atteste une articulation cohérente entre requalification, préavis et indemnité légale.

II. Portée et limites de la décision

A. La mise au pas des CDD d’usage dans l’animation commerciale

L’arrêt illustre la réception exigeante de l’accord-cadre européen transposé, qui fixe un garde-fou contre les abus de contrats successifs. Le contrôle des « éléments concrets » prime la qualification sectorielle, ce qui réduit la force autonome des stipulations considérant certains emplois « par nature temporaires ». Les opérateurs d’animation doivent organiser les besoins récurrents par des contrats stables lorsque les missions se répètent pour un même client sur une longue période.

La décision réactive, en creux, l’outil conventionnel du CDI intermittent prévu après un volume d’heures significatif sur douze mois. Elle n’en fait pas un préalable obligatoire, cependant elle souligne l’insuffisance des justifications générales tirées du calendrier des opérations. La portée pratique est nette : la charge probatoire pèse sur l’employeur, qui doit tracer la temporalité et l’imprévisibilité réelles des animations.

B. La rigueur probatoire des frais et l’encadrement indemnitaire lié à l’ancienneté

Le traitement du volet frais kilométriques rappelle la règle constante : « Les frais qu’un salarié justifie avoir exposés pour les besoins de son activité professionnelle et dans l’intérêt de l’employeur, doivent être remboursés » (Soc., 14 janv. 2015, n° 13-16.229). La preuve de la réalité et du quantum incombe au salarié, à défaut de quoi la demande échoue. La valeur probante d’un courriel interne, émis en cours de relation et corroborant un hébergement réduisant les distances, peut être retenue.

L’indemnisation du licenciement suit le régime des salariés de moins de deux ans d’ancienneté. La cour exclut le plancher légal de six mois et apprécie le préjudice in concreto. L’absence d’éléments établissant un dommage autonome, conjuguée à une reprise d’activité immédiate auprès d’un autre employeur, conduit au rejet. La solution sépare clairement les effets automatiques de la requalification des réparations subordonnées à la preuve d’un préjudice distinct.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture