Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 29 août 2025, n°21/11536

La Cour d’appel de Aix-en-Provence, 29 août 2025, statue sur l’appel d’un salarié employé comme conducteur en période scolaire dans le transport spécialisé. Le contrat, conclu à temps partiel intermittent, a donné lieu à divers rappels de salaire, à une demande de requalification à temps plein, et à une prétention d’indemnité pour travail dissimulé, dans le contexte d’une procédure collective.

Les faits utiles tiennent à l’engagement du salarié le 3 janvier 2018, à l’absence d’annexe fixant les périodes travaillées sur le premier segment de la relation, à l’application d’une retenue quotidienne de trente minutes au titre du statut de conducteur accompagnateur, et à l’accomplissement d’heures complémentaires non majorées. Le contrat a été transféré conventionnellement en 2020 à un repreneur, l’intéressé ayant signé un avenant de reprise.

Par jugement du 8 juillet 2021, le conseil de prud’hommes d’Aix-en-Provence a ordonné divers rappels de salaires, mais a refusé la requalification. L’appel du salarié porte principalement sur l’intermittence, la majoration des heures complémentaires et le travail dissimulé. L’organisme de garantie a discuté la prescription, la recevabilité et la portée de sa garantie. En cause d’appel, les décisions communiquées après clôture ont été écartées comme irrecevables.

La cour confirme l’illicéité de la retenue de trente minutes et la majoration due sur les heures complémentaires, requalifie le contrat en temps plein à compter du 3 janvier 2018, refuse des dommages-intérêts pour exécution fautive et perte de chance, et alloue l’indemnité forfaitaire de six mois pour travail dissimulé. L’analyse portera d’abord sur les exigences formelles de l’intermittence et leurs effets, puis sur la sanction des pratiques de retenue et d’occultation des heures.

I. Les exigences formelles de l’intermittence et leurs effets

A. L’absence d’annexe initiale et la requalification à temps plein
Le cadre légal et conventionnel impose un écrit déterminant les périodes travaillées et non travaillées, ou une annexe mise à jour chaque rentrée. La cour rappelle avec netteté que « Il importe de rappeler que l’absence de définition des périodes travaillées et non travaillées dans le contrat de travail intermittent doit entraîner la requalification du contrat de travail en contrat à durée indéterminée de droit commun à temps plein ». Or, aucune annexe n’était produite pour la période du 3 janvier au 31 août 2018, alors que l’activité avait commencé dès janvier.

Partant, la motivation énonce que « Ainsi, la cour en déduit que le contrat de travail ne détermine pas les périodes travaillées et non travaillées en méconnaissance des exigences légales, de sorte qu’il y a lieu de requalifier en contrat à durée indéterminée de droit commun à temps plein la relation de travail et ce, à compter du 3 janvier 2018 ». La solution est classique et ferme. Elle s’inscrit dans une logique de sécurité juridique, évitant l’« annualisation de fait » sous couvert d’intermittence, et protège le salarié contre une disponibilité permanente implicite.

B. Les effets pécuniaires et l’autonomie des autres rappels
La cour fixe les rappels au titre de la requalification sur la base non contestée du salaire de référence. Elle précise que « la demande de fixation du salaire de base ne constitue pas une prétention mais un moyen », ce qui ordonne correctement le raisonnement, en isolant l’assiette des créances. Elle refuse l’incidence congés payés sur la prime de treizième mois, rappelant son caractère acquis mois par mois.

Surtout, l’arrêt dissocie les effets de la requalification de ceux liés au temps de travail effectif. Il souligne que « Le salarié est donc en droit, nonobstant la requalification du contrat de travail en temps complet, qui est sans lien avec la détermination du temps de travail effectif, […] de voir fixer […] les créances » tirées des retenues illicites et des majorations non versées. Cette autonomie des chefs de demande évite les imputations croisées et préserve la cohérence des décomptes, ce qui est opportun dans un contexte de procédure collective.

II. La sanction des retenues et occultations d’heures

A. Le statut de conducteur accompagnateur et la preuve des heures complémentaires
La retenue de trente minutes par jour supposait le respect des conditions conventionnelles du statut de conducteur accompagnateur, notamment la mise à disposition d’un moyen de communication rapide. La cour constate la défaillance sur ce point, et tranche sans détour que « Faute de respect d’une des conditions posées à l’article 2A précité, l’appelant ne pouvait se voir qualifier de conducteur accompagnateur et l’employeur n’était pas fondé à lui appliquer la retenue de trente minutes litigieuse ». La solution conforte une lecture stricte d’un régime dérogatoire, et réaffirme l’exigence probatoire pesant sur l’employeur.

S’agissant des heures complémentaires, la juridiction rappelle le système probatoire partagé de l’article L. 3171-4 du code du travail: « il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur […] d’y répondre ». L’employeur n’ayant pas produit de décompte, les éléments du salarié suffisent, et la majoration due au-delà du seuil est accordée. La portée pratique est claire: l’intermittence n’autorise aucune annualisation occulte ni neutralisation des majorations conventionnelles.

B. L’intention dissimulatrice et l’indemnité forfaitaire après transfert
La cour articule ensuite le transfert conventionnel et l’indemnité pour travail dissimulé. Sur la rupture, elle reprend un principe général, dépourvu d’ambiguïté: « Il résulte de la combinaison des articles L. 8223-1 du code du travail et 3.1.1 de l’avenant du 28 janvier 2011 […] que si un avenant au contrat de travail conclu avec le nouvel employeur reprend l’ensemble des clauses contractuelles du contrat de travail du salarié, la relation de travail avec l’ancien employeur est rompue ». Le salarié, ayant signé un avenant de reprise, était donc recevable à solliciter l’indemnité contre l’ancien employeur.

Quant à l’élément intentionnel, la motivation s’appuie sur la persistance d’omissions de paiement malgré des alertes, pour conclure que « Ces éléments établissent que l’employeur a entendu se soustraire intentionnellement à ses obligations déclaratives ». L’indemnité forfaitaire de six mois s’impose ainsi, montrant la fonction dissuasive du texte. Par cohérence, la cour refuse des dommages-intérêts autonomes pour exécution fautive, faute de préjudice distinct, et écarte l’allégation de perte de chance par une formule nette: « Le manquement […] ne saurait donner lieu à l’indemnisation d’une perte de chance, dans la mesure où le préjudice financier en résultant, dont la réparation a déjà été ordonnée, est certain et direct ». L’ensemble stabilise le régime des chefs indemnitaires et évite le double compte.

L’arrêt opère enfin les rappels utiles sur l’arrêt des intérêts en procédure collective et les limites de la garantie de l’organisme de garantie des salaires, ce qui encadre efficacement l’exécution. L’équilibre atteint protège la hiérarchie des normes, responsabilise l’employeur sur la forme contractuelle, et sécurise les droits salariaux sans excès.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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