Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 29 août 2025, n°21/11537

Rendue par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 29 août 2025, la décision oppose une salariée à son ancien employeur du secteur du transport adapté, dans le contexte d’une procédure collective. Le litige porte sur la requalification d’un contrat à durée déterminée, la validité d’un contrat intermittent en l’absence d’annexes signées, la légitimité d’une retenue quotidienne de trente minutes et la majoration des heures complémentaires, ainsi que sur l’existence d’un travail dissimulé.

Les faits tiennent à une embauche d’abord en contrat à durée déterminée à temps partiel, puis à une poursuite en contrat à durée indéterminée sur un rythme dit intermittent, lié aux périodes scolaires. Après l’ouverture de procédures de sauvegarde, de redressement puis de liquidation, la salariée saisit la juridiction prud’homale pour obtenir plusieurs requalifications et rappels salariaux. Le conseil de prud’hommes d’Aix-en-Provence, 8 juillet 2021, accueille partiellement ses demandes, notamment sur la retenue de trente minutes. L’appel est interjeté par la salariée, tandis que les organes de la procédure contestent l’essentiel.

La question de droit s’articule autour de trois axes. D’une part, la preuve du motif réel justifiant le recours au contrat à durée déterminée et les exigences d’un contrat intermittent quant à la définition écrite des périodes travaillées. D’autre part, le régime du temps de travail, incluant la licéité d’une retenue pour trajets et la majoration des heures complémentaires dans un système probatoire partagé. Enfin, la caractérisation d’un travail dissimulé en présence d’omissions déclaratives répétées et l’incidence d’un transfert conventionnel du contrat.

La cour prononce la requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, puis celle du temps partiel intermittent en temps plein, faute d’annexes contradictoires et actualisées. Elle confirme le rappel lié à la retenue de trente minutes, accorde la majoration des heures complémentaires, refuse des dommages-intérêts distincts pour exécution fautive faute de préjudice autonome, fixe l’indemnité de requalification et reconnaît un travail dissimulé ouvrant droit à six mois de salaire, le tout au passif de la procédure collective, sous les plafonds de garantie applicables.

I. Les requalifications retenues et leurs fondements

A. Le CDD requalifié faute de motif prouvé

La cour rappelle, au visa de l’article L.1242-12 du code du travail, que le contrat à durée déterminée doit préciser son motif et que la charge de la preuve pèse sur l’employeur en cas de contestation. Elle énonce ainsi: « En cas de litige sur le motif du recours ou sur la persistance du motif du recours, il incombe à l’employeur de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat à durée déterminée ou son avenant. A défaut, le contrat doit être requalifié en contrat à durée indéterminée, si le salarié le demande. » La motivation se centre sur l’insuffisance des éléments probants fournis, l’employeur restant silencieux sur la réalité de l’accroissement d’activité allégué.

La prescription est appréciée distinctement selon le siège de la demande. La juridiction précise l’application du délai biennal pour l’exécution du contrat, en retenant la computation à partir du terme du dernier contrat en cas de fondement tiré du motif. La saisine ayant été opérée dans les temps, la demande est recevable. La solution se veut classique et ferme le débat probatoire au détriment du titulaire de la charge, en tenant compte de la finalité protectrice du formalisme du contrat à durée déterminée.

Au regard des faits retenus, la requalification opère à compter de l’embauche initiale, ce qui ancre la relation dans le droit commun et emporte des effets salariaux corrélatifs. La cour s’en tient à une lecture stricte de l’exigence de justification et des conséquences corrélatives, sans opportunité d’une régularisation postérieure. La cohérence interne est assurée par une articulation nette entre le terrain de la preuve et celui de la sanction.

B. L’intermittence imparfaite requalifiée en temps plein

Sur le contrat intermittent, l’arrêt souligne les exigences légales et conventionnelles de définition écrite des périodes travaillées et non travaillées, avec annexes mises à jour et, surtout, opposables. La juridiction rappelle de manière pédagogique que « Il importe de rappeler que l’absence de définition des périodes travaillées et non travaillées dans le contrat de travail intermittent doit entraîner la requalification du contrat de travail en contrat à durée indéterminée de droit commun à temps plein. » La carence documentaire est double: absence de signature par la salariée et absence de pièces pour une large partie de la période concernée.

La conclusion est nette et assumée: « Ainsi, la cour en déduit que le contrat de travail ne détermine pas les périodes travaillées et non travaillées en méconnaissance des exigences légales, de sorte qu’il y a lieu de requalifier en contrat à durée indéterminée de droit commun à temps plein la relation de travail […]. » La cour tire toutes les conséquences salariales, notamment en fixant les rappels de salaires et l’incidence sur la prime de treizième mois, tout en excluant l’incidence congés payés sur ladite prime acquise mensuellement.

La question de la prescription reçoit un traitement distinct, propre au salaire. L’arrêt précise que « L’action en requalification d’un contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet est une action en paiement du salaire et se prescrit donc par trois ans. » Le raisonnement contrôle la temporalité des prétentions et consolide l’économie d’ensemble de la solution.

II. Le temps de travail contrôlé et ses suites

A. Retenue de trajet et statut de conducteur accompagnateur

La retenue forfaitaire de trente minutes par jour repose sur un accord sectoriel subordonnant sa mise en œuvre à un statut précis et à des conditions strictes de formation et d’équipement. La cour recadre l’analyse en relevant l’absence de formation spécifique dans un délai cohérent et l’absence de preuve d’un moyen de communication mis à disposition par l’employeur. Elle tranche alors sans ambiguïté: « Faute de respect des conditions posées aux articles 2A et 2B précités, l’appelante ne pouvait se voir qualifier de conducteur accompagnateur et l’employeur n’était pas fondé à lui appliquer la retenue de trente minutes litigieuse. »

La solution s’inscrit dans la logique de protection du temps de travail effectif et du rejet des abattements non justifiés. Elle met également en évidence la portée concrète des stipulations conventionnelles, qui exigent du professionnel la mise en conformité des moyens et des compétences, sous peine de défaillance probatoire. Cette grille de lecture conforte la décision prud’homale confirmée sur ce point et rappelle que l’intitulé contractuel ne supplée pas au respect des conditions substantielles.

La juridiction écarte enfin tout préjudice distinct de la perte financière déjà réparée par les rappels, en droite ligne d’une jurisprudence constante imposant la preuve d’un dommage autonome. Le refus de dommages-intérêts pour exécution fautive préserve la cohérence du principe de réparation intégrale.

B. Heures complémentaires, preuve partagée et travail dissimulé

Sur les heures complémentaires, l’arrêt rappelle le régime probatoire de l’article L.3171-4 du code du travail. Il cite: « Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis […] afin de permettre à l’employeur […] d’y répondre utilement. » Après examen des pièces contradictoires, la cour retient l’accomplissement d’heures complémentaires non majorées et opère une fixation souveraine du rappel dû, en application des accords de branche sur la majoration au-delà du seuil de 10 %.

La décision franchit ensuite le cap probatoire de l’intention en matière de travail dissimulé. Elle retient que des omissions répétées, malgré des alertes émanant des institutions représentatives et du contrôle de l’inspection, caractérisent l’intention de se soustraire aux obligations déclaratives. L’incidence du transfert conventionnel fait l’objet d’une précision notable. L’arrêt reproduit la solution de principe: « Il résulte de la combinaison des articles L. 8223-1 du code du travail […] que si un avenant au contrat de travail conclu avec le nouvel employeur reprend l’ensemble des clauses contractuelles du contrat de travail du salarié, la relation de travail avec l’ancien employeur est rompue de sorte que ce dernier […] est redevable de l’indemnité pour travail dissimulé. » La recevabilité de la demande est ainsi admise, malgré la poursuite de l’emploi chez l’attributaire du marché.

La sanction est logiquement proportionnée à la gravité retenue. La cour fixe « une créance de 9 125,68 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé, correspondant à six mois de salaire. » Enfin, l’arrêt rappelle les limites d’ordre public économique: « Il sera rappelé que le jugement d’ouverture de la procédure collective a entraîné l’arrêt des intérêts légaux et conventionnels […] en application de l’article L.622-28 du code de commerce. » Les garanties du régime de paiement des créances salariales sont, pour leur part, cantonnées aux plafonds et conditions légales.

I. Les requalifications retenues et leurs fondements

A. Le CDD requalifié faute de motif prouvé

B. L’intermittence imparfaite requalifiée en temps plein

II. Le temps de travail contrôlé et ses suites

A. Retenue de trajet et statut de conducteur accompagnateur

B. Heures complémentaires, preuve partagée et travail dissimulé

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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