Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 29 août 2025, n°21/11597

Rendue par la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 29 août 2025, la décision tranche un contentieux prud’homal opposant une salariée cadre d’un office notarial à son employeur. L’intéressée, recrutée en 2003, revendiquait une reclassification au niveau C3, à tout le moins C2, de la convention collective du notariat, divers rappels de salaires et accessoires, une indemnité de licenciement complémentaire, ainsi qu’une indemnité compensatrice de congés payés à la suite d’arrêts maladie. Le conseil de prud’hommes d’Aix-en-Provence avait très partiellement fait droit aux demandes en 2021. L’appel soulevait plusieurs questions, notamment la preuve des critères conventionnels de classification, les modalités de calcul d’un treizième mois, la régularisation des points de formation, le salaire dû après inaptitude en application de l’article L. 1226-4, l’acquisition de congés payés durant la maladie au regard de la loi du 22 avril 2024 et de la jurisprudence de 2023, enfin les paramètres de calcul de l’indemnité légale de licenciement. La cour confirme le rejet de la reclassification et des dommages-intérêts, ajuste marginalement le treizième mois et le rappel lié à l’article L. 1226-4, refuse toute créance au titre des points de formation, accorde l’indemnité compensatrice de congés payés pour la période 2016-2018, et alloue un reliquat d’indemnité légale de licenciement.

I. Le sens de la décision: classification et créances salariales connexes

A. Le rejet de la reclassification au regard des critères cumulatifs

La cour rappelle le principe probatoire classique: « Il appartient au salarié qui se prévaut d’une classification conventionnelle différente de celle dont il bénéficie au titre de son contrat de travail, de démontrer qu’il assure effectivement de façon habituelle, dans le cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de la classification qu’il revendique. » Elle précise encore: « Les fonctions réellement exercées, qui sont prises en compte pour déterminer la qualification d’un salarié, sont celles qui correspondent à son activité principale, et non celles qui sont exercées à titre accessoire ou occasionnel. » Cette grille de lecture commande une appréciation concrète de l’activité dominante, soumise à la réunion cumulative de critères tenant au contenu, à l’autonomie, aux pouvoirs, à la formation et à l’expérience.

Appliquant ces principes, la cour écarte le niveau C3 faute d’éléments attestant la « conduite de l’office » ou d’une partie importante de celui-ci, malgré la responsabilité d’un service immobilier et des remplacements ponctuels aux actes. La motivation, sobre et décisive, retient que « les critères de classification étant cumulatifs, le seul défaut de caractérisation de celui tiré du contenu de l’activité empêche [la salariée] de bénéficier de la classification C3 ». Le niveau C2 est également refusé, la preuve de dossiers « complexes ou de conception difficile » faisant défaut, les opérations relatées demeurant usuelles au regard de la pratique notariale. La solution, fidèle aux textes conventionnels, préserve la stabilité des seuils de qualification par une exigence probatoire élevée et cohérente.

B. L’ajustement du treizième mois, des points de formation et du salaire post-inaptitude

S’agissant du treizième mois, la cour retient l’acquisition proratisée sur la période de maintien de salaire au sens de la convention et de son interprétation paritaire, avec un reliquat minime. Cette approche valorise la nature salariale de la gratification en l’indexant sur la période effectivement rémunérée. Elle confirme par ailleurs l’absence de créance complémentaire au titre des points de formation, dès lors que l’employeur a déjà intégré quinze points sur la période utile, au-delà même de ce qu’aurait exigé le plafond quadriennal, ce qui neutralise la demande indemnitaire.

Enfin, la rémunération due après inaptitude est ajustée sur le fondement de l’article L. 1226-4. La cour énonce utilement: « Si le versement du salaire cesse dès la notification du licenciement, qui marque la décision de rupture de l’employeur », encore faut-il justifier la date d’envoi, ce que l’employeur n’établissait pas. La solution illustre une application stricte du texte et des exigences probatoires, conduisant à un rappel limité mais certain pour la période postérieure au délai d’un mois.

II. Valeur et portée: congés payés en maladie et incidences normatives

A. La prescription et la preuve à l’aune des arrêts de 2023

La cour articule le point de départ de la prescription de l’indemnité compensatrice avec la jurisprudence récente, dont la formule est reprise: « Le point de départ du délai de prescription de l’indemnité de congés payés doit être fixé à l’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris dès lors que l’employeur justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d’assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé (Soc., 13 septembre 2023, pourvois n° 22-11.106 et n° 22-10.529, FP, B). » Faute de diligences démontrées, et compte tenu d’une requête introductive interrubant la prescription, la demande échappe au grief de tardiveté.

Le régime de la charge de la preuve est également rappelé dans des termes constants: « Il appartient à l’employeur, débiteur de l’obligation de paiement de l’intégralité de l’indemnité due au titre des jours de congés payés, d’établir qu’il a exécuté son obligation. (Soc., 1 mars 2023, pourvoi n° 21-19.497). » L’employeur n’ayant pas justifié le paiement de l’indemnité pour la période antérieure et durant la suspension, l’indemnité compensatrice est intégralement accordée. La décision illustre une convergence entre les exigences probatoires et la protection du droit au congé, sans élargissement excessif du périmètre indemnisable.

B. Les effets de la réforme de 2024 et l’articulation avec l’indemnité de licenciement

La cour applique le nouveau cadre légal, qui assimile à du travail effectif les périodes de maladie non professionnelle, dans la limite de deux jours ouvrables par mois et vingt-quatre jours par an. Elle calcule 27,9 jours acquis sur la période 2016-2018, dans le respect des bornes légales, et en déduit une indemnité compensatrice significative. La solution confirme l’applicabilité rétroactive posée par la loi du 22 avril 2024, sous réserve des décisions irrévocables et des stipulations plus favorables, et éclaire la méthode de décompte en présence de périodes chevauchant plusieurs cycles de référence.

Quant à l’indemnité légale de licenciement, la cour rappelle l’économie des articles L. 1234-11, L. 1234-9 et R. 1234-2, en déduisant les périodes de suspension pour fixer l’ancienneté utile, tout en préservant la continuité de l’ancienneté acquise. Le salaire de référence retenu, incluant au prorata le treizième mois selon la formule la plus avantageuse, conduit à un reliquat précis. La combinaison méthodique des paramètres confirme une ligne claire: prise en compte rigoureuse des suspensions dans le quantum, sans rupture de l’ancienneté, et intégration prudente des éléments variables.

Cette décision présente une portée pratique immédiate pour les études et offices, tant sur la sécurisation des classifications que sur la gestion des droits à congé en cas de maladie. Elle rappelle que l’office doit documenter les propositions de formation, la notification effective des ruptures et la traçabilité des paiements d’accessoires salariaux, faute de quoi le contentieux se résout au détriment du débiteur, selon des standards probatoires désormais bien fixés.

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Hassan KOHEN
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