Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 29 août 2025, n°21/14535

Par un arrêt rendu le 29 août 2025, la cour d’appel d’Aix-en-Provence, chambre 4-2, statue sur un litige opposant un conducteur d’engins à son ancien employeur, une société de travaux publics, à la suite d’un licenciement pour faute grave.

Un salarié a été engagé le 15 janvier 2018 en qualité de conducteur d’engins, niveau 4 coefficient 180 de la convention collective nationale des ouvriers de travaux publics. Par lettre du 1er décembre 2018, l’employeur lui a notifié son licenciement pour faute grave, fondé sur un manquement à la sécurité survenu le 3 octobre 2018 sur un chantier de démolition d’un collège, ainsi que sur un ratio d’activité insuffisant. Il lui était reproché d’avoir laissé en porte-à-faux un local technique sur la toiture d’un bâtiment, créant un risque d’effondrement pour les travailleurs et les riverains, et d’avoir travaillé avec un temps effectif très inférieur au temps de fonctionnement de sa machine.

Le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Martigues, lequel a requalifié le licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse par jugement du 16 septembre 2021, tout en faisant droit partiellement à ses demandes au titre des heures supplémentaires. L’employeur a interjeté appel, sollicitant la reconnaissance de la faute grave. Le salarié a formé appel incident, demandant notamment le déplafonnement du barème d’indemnisation et diverses indemnités complémentaires.

La question posée à la cour était de déterminer si les manquements reprochés au salarié, tenant à la fois à une mise en danger sur un chantier de démolition et à un faible temps de travail effectif, constituaient une faute grave justifiant un licenciement sans préavis ni indemnité.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence infirme le jugement sur la qualification du licenciement. Elle retient que le grief de manquement à la sécurité est établi et imputable au salarié, dont la qualification lui conférait « la responsabilité du bon déroulement du mode opératoire des travaux qu’il réalisait avec une autonomie et une initiative très larges ». Elle juge que « la gravité du grief de manquement à la sécurité, exposant les travailleurs et des tiers à un risque de chute d’une structure laissée en porte-à-faux dans le vide, par un salarié qualifié ayant une ancienneté dans la société de 8 mois, rendait impossible son maintien dans l’entreprise et justifiait à lui seul un licenciement pour faute grave ».

L’arrêt commenté présente un double intérêt. Il illustre d’abord l’appréciation judiciaire de la faute grave d’un salarié qualifié en matière de sécurité sur un chantier de démolition (I). Il permet ensuite d’examiner le traitement contentieux des heures supplémentaires au regard des éléments de preuve produits par le salarié (II).

I. La caractérisation de la faute grave du conducteur d’engins

La cour procède à une analyse rigoureuse des manquements reprochés au salarié (A), avant d’en tirer les conséquences quant à l’impossibilité de maintenir ce dernier dans l’entreprise (B).

A. L’imputation des manquements à un salarié qualifié et autonome

La cour rappelle que « la faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise ». La charge de la preuve incombe à l’employeur.

En l’espèce, la matérialité du grief de sécurité n’était pas contestée par le salarié. Un courriel de l’architecte du 3 octobre 2018 attestait que le salarié avait « laissé en porte-à-faux un local CTA sur la toiture du bâtiment en cours de démolition, laissant craindre un risque de déversement incontrôlé de la partie haute du bâtiment, ce qui constituerait un danger immédiat pour les conducteurs d’engins et en second lieu pour le bâtiment de logement (occupé) jouxtant le chantier ».

Le salarié tentait de s’exonérer en invoquant l’insuffisance du bras de la machine, des restes d’amiante et l’absence d’encadrement. La cour écarte successivement ces arguments. L’employeur justifiait que la pelle était « équipée d’une flèche capable de travailler à 28 mètres alors que le bâtiment mesurait 23m45 ». Le désamiantage avait été contrôlé et réceptionné. Quant à l’encadrement, la cour relève que « la qualification et la classification de Monsieur [V] [G] lui attribuaient, selon la convention collective applicable, la responsabilité du bon déroulement du mode opératoire des travaux qu’il réalisait avec une autonomie et une initiative très larges, et la réalisation des travaux les plus délicats et de haute technicité ».

Cette analyse conduit la cour à imputer le manquement au salarié. La solution est conforme à une jurisprudence constante qui apprécie la faute au regard des fonctions et de la qualification du salarié. Un conducteur d’engins de niveau 4, chargé de travaux de haute technicité, ne saurait se retrancher derrière l’absence ponctuelle d’un conducteur de travaux pour justifier une mise en danger manifeste.

B. Le caractère privatif de toute indemnité du manquement à la sécurité

La cour juge que le manquement à la sécurité « rendait impossible son maintien dans l’entreprise et justifiait à lui seul un licenciement pour faute grave ». Elle relève que ce grief est aggravé par « un faible ratio d’activité à tout le moins sur le chantier du collège Vallon de [Localité 4] ».

Sur ce second grief, le salarié ne contestait pas les données extraites du rapport de la machine, révélant un écart considérable entre le temps de fonctionnement et le temps de travail effectif. La cour écarte ses explications tenant à la réception et au montage de la machine, ces opérations étant nécessairement antérieures aux journées litigieuses.

La décision s’inscrit dans une conception stricte de la faute grave en matière de sécurité sur les chantiers. La jurisprudence admet de longue date que le manquement aux règles de sécurité, lorsqu’il émane d’un salarié qualifié ayant une parfaite connaissance des risques, peut caractériser une faute grave même en l’absence d’accident effectif. La cour d’appel d’Aix-en-Provence applique cette solution avec rigueur, en soulignant que le risque d’effondrement menaçait non seulement les travailleurs mais également les occupants d’un immeuble voisin.

La brièveté de l’ancienneté du salarié, de huit mois seulement, est également mentionnée par la cour. Ce critère, s’il n’est pas déterminant, participe de l’appréciation globale. Un salarié récemment embauché qui commet un manquement grave à la sécurité ne peut invoquer une longue collaboration sans incident pour atténuer sa responsabilité.

II. Le contentieux des heures supplémentaires et ses limites

La cour procède à un examen minutieux des éléments de preuve relatifs aux heures supplémentaires (A), tout en rejetant les demandes connexes du salarié (B).

A. L’appréciation souveraine des éléments produits par le salarié

La cour rappelle les règles probatoires issues de l’article L. 3171-4 du code du travail. Il appartient au salarié « de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments ».

Le salarié produisait des bons de commande sur lesquels il avait « manuscritement récapitulé son temps de travail, soit en indiquant un chiffre horaire quotidien, soit en précisant ses heures de début et de fin de travail ». L’employeur contestait la lisibilité et la valeur probante de ces documents. La cour retient que « si la lecture de ces bons de commande est effectivement difficile, et que certaines mentions en sont illisibles, les horaires y figurant parviennent à être déchiffrés ». Elle considère en conséquence « que le salarié produit des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre ».

La cour observe que l’employeur ne produit pas de bons de commande contradictoires et n’invoque pas avoir réclamé ces documents en vain. Elle procède ensuite à une analyse détaillée des semaines litigieuses, écartant les heures de route qui avaient donné lieu à indemnisation, ainsi que les demandes ne correspondant pas aux mentions figurant sur les bons de commande.

Cette méthode illustre le pouvoir souverain des juges du fond en matière d’évaluation des heures supplémentaires. Après avoir admis que le salarié avait satisfait à son obligation de présenter des éléments suffisamment précis, la cour n’était pas tenue de suivre ses demandes dans leur intégralité. Elle a écarté les incohérences et retenu uniquement les heures dont la réalité était établie par les pièces produites.

B. Le rejet des demandes au titre du travail dissimulé et de l’obligation de sécurité

La cour confirme le rejet de la demande au titre du travail dissimulé. Elle rappelle que « la dissimulation d’emploi salarié n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle » et que « le caractère intentionnel ne peut se déduire du seul accomplissement d’heures supplémentaires non rémunérées ». En l’absence de preuve de l’intentionnalité, la demande est rejetée.

S’agissant de l’obligation de sécurité relative à l’amiante, la cour constate que l’employeur justifie qu’un désamiantage par une entreprise spécialisée a été réalisé et que le salarié ne précise pas quel autre chantier serait concerné. La demande est donc également rejetée.

Ces solutions sont conformes à une jurisprudence établie. Le travail dissimulé suppose une intention frauduleuse qui ne se présume pas. Quant à l’obligation de sécurité, l’employeur qui démontre avoir pris les mesures préventives nécessaires satisfait à son obligation. La cour opère ainsi une distinction nette entre les reproches fondés adressés au salarié en matière de sécurité et les griefs non établis que ce dernier dirigeait contre son employeur.

La cour rejette enfin la demande d’indemnité pour irrégularité de procédure. Si l’employeur ne contestait pas avoir méconnu le délai de cinq jours ouvrables entre la convocation et l’entretien préalable, le salarié ne justifiait d’aucun préjudice. Il n’établissait pas avoir tenté en vain d’obtenir l’assistance d’un conseiller du salarié. Cette solution rappelle que l’irrégularité de procédure, lorsque le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, n’ouvre droit à indemnisation qu’en cas de préjudice démontré.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture