Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 3 juillet 2025, n°21/02442

La cour d’appel d’Aix-en-Provence, par un arrêt du 3 juillet 2025, apporte des précisions utiles sur la démission équivoque et les conditions de sa requalification en prise d’acte, tout en rappelant les exigences liées à l’obligation de sécurité de l’employeur dans le contexte d’un accident du travail.

Une salariée avait été engagée en qualité d’auxiliaire de vie par une association, d’abord par contrats à durée déterminée en 2002, puis en contrat à durée indéterminée. Victime d’un accident du travail en février 2016, elle avait fait l’objet de plusieurs avis du médecin du travail comportant une contre-indication au travail de nuit. Elle avait présenté sa démission le 23 août 2017. Elle avait ensuite saisi la juridiction prud’homale afin de faire requalifier cette démission en prise d’acte et d’obtenir diverses indemnités.

Le conseil de prud’hommes d’Aix-en-Provence, par jugement du 25 janvier 2021, avait déclaré la requête irrecevable pour non-respect des dispositions relatives à la conciliation préalable et débouté la salariée de ses demandes. Celle-ci avait interjeté appel.

La question principale posée à la cour était de déterminer si la démission de la salariée devait être requalifiée en prise d’acte en raison de circonstances équivoques, et dans l’affirmative, si les manquements de l’employeur étaient suffisamment graves pour que cette prise d’acte produise les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La cour d’appel infirme le jugement sur l’irrecevabilité de la requête, requalifie la démission en prise d’acte, mais juge que le seul manquement établi, ancien et non persistant, ne justifie pas que la rupture produise les effets d’un licenciement. Elle condamne néanmoins l’employeur à verser 2 000 euros pour manquement à l’obligation de sécurité.

L’arrêt présente un intérêt doctrinal à deux égards. Il convient d’examiner la caractérisation de la démission équivoque permettant sa requalification en prise d’acte (I), avant d’analyser l’appréciation du manquement à l’obligation de sécurité et ses conséquences sur la rupture (II).

I. La requalification de la démission en prise d’acte : l’exigence d’un différend antérieur ou contemporain

La cour rappelle le principe selon lequel « lorsque le salarié remet en cause [sa démission] en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s’il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu’à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l’analyser en une prise d’acte ». Cette formulation reprend la jurisprudence constante de la Cour de cassation (A). L’application de ce principe au cas d’espèce révèle l’importance des éléments de preuve attestant d’un désaccord entre les parties (B).

A. Le rappel du principe : l’équivocité comme critère de requalification

La démission constitue un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste sa volonté de rompre le contrat. La cour énonce que « la seule condition pour que la démission soit analysée en prise d’acte est le caractère équivoque de la volonté de démissionner résultant de l’existence d’un différend entre les parties antérieur ou contemporain de la démission ». Cette exigence protège le salarié qui, confronté à des manquements de son employeur, se trouve contraint de quitter son emploi sans pouvoir attendre un licenciement.

La jurisprudence sociale a progressivement construit ce mécanisme pour éviter que l’employeur ne tire bénéfice de sa propre turpitude en se prévalant d’une démission formellement régulière. Le caractère équivoque ne tient pas à la rédaction de la lettre de démission elle-même, mais aux circonstances objectives entourant cette décision. La cour ne recherche pas si la lettre contenait des réserves ou des griefs, mais si un différend existait effectivement à cette date.

B. L’appréciation concrète du différend : le rôle déterminant des attestations

En l’espèce, la lettre de démission ne comportait aucune critique envers l’employeur. L’association intimée soutenait n’avoir été informée des reproches qu’à la réception des conclusions, soit plus de sept mois après la rupture. La cour écarte cet argument en relevant que « les attestations produites par la salariée et le compte-rendu du médecin du travail tendent à démontrer que des discussions étaient en cours entre [la salariée] et l’employeur, sur les plannings et le respect des préconisations du médecin du travail ».

Le compte-rendu de visite du 1er juin 2017 mentionnait expressément un « entretien avec l’employeur ce jour pour préciser la contre indication au travail de nuit ». Les témoignages de collègues attestaient du refus de la direction de modifier le planning et de l’état de détresse de la salariée. Ces éléments établissaient que l’employeur « ne pouvait ignorer » le différend existant. La cour privilégie ainsi une approche objective du litige, fondée sur les faits plutôt que sur les déclarations formelles des parties.

La démission ayant été requalifiée en prise d’acte, il convenait de déterminer si les manquements invoqués justifiaient que cette rupture produise les effets d’un licenciement. L’examen du respect de l’obligation de sécurité conduit à une solution nuancée.

II. L’obligation de sécurité de l’employeur : un manquement insuffisant pour justifier la rupture aux torts exclusifs

La cour caractérise un manquement à l’obligation de sécurité résultant du non-respect des préconisations médicales au mois d’avril 2016 (A). Elle refuse cependant de faire produire à la prise d’acte les effets d’un licenciement, considérant que ce manquement ancien n’empêchait pas la poursuite du contrat au moment de la rupture (B).

A. La caractérisation du manquement : l’affectation à des astreintes de nuit malgré les restrictions médicales

L’article L. 4121-1 du code du travail impose à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs. L’avis médical de reprise du 14 avril 2016 prescrivait de « prévoir de l’assistance possible nocturne si besoin, car travaille seule la nuit ». Or, le planning du 18 avril 2016 et le bulletin de salaire de ce mois établissaient que la salariée avait effectué des astreintes de nuit. La cour relève que « l’employeur ne justifie pas qu’une assistance lui ait alors été proposée ».

S’agissant du protocole invoqué par l’association pour le soulèvement des personnes, la cour note qu’« aucune trace écrite de telles consignes n’est produite ». L’absence de formalisation des instructions de sécurité constitue un indice supplémentaire du manquement. La cour indemnise ce préjudice à hauteur de 2 000 euros, en tenant compte de « l’effet sur l’aggravation de son état de santé physique ».

B. L’insuffisante gravité du manquement pour justifier la rupture aux torts de l’employeur

La prise d’acte ne produit les effets d’un licenciement que si « les manquements de l’employeur sont d’une telle gravité qu’ils empêchent la poursuite du contrat de travail ». La cour précise que le manquement retenu remontait à avril 2016, soit plus d’un an avant la démission d’août 2017. Elle constate qu’« aucune astreinte de nuit n'[a] ensuite été effectuée par la salariée » et que les plannings des mois de juillet et août 2017 ne révélaient pas d’affectation nocturne effective.

La cour en conclut que « ce manquement ancien, qui n’a pas perduré par la suite, ne peut être considéré comme empêchant la poursuite du contrat de travail au mois d’août 2017 ». Cette appréciation temporelle du manquement s’inscrit dans une jurisprudence exigeant que les faits reprochés soient suffisamment actuels au moment de la rupture. Un manquement passé et corrigé ne justifie pas que le salarié rompe tardivement le contrat en imputant cette rupture à l’employeur. La prise d’acte produit donc les effets d’une démission, privant la salariée des indemnités de rupture.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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