Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 3 juillet 2025, n°24/11301

Le recouvrement forcé des créances des collectivités territoriales fait l’objet d’un encadrement procédural rigoureux, dont le respect conditionne la validité des mesures d’exécution. L’arrêt rendu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 3 juillet 2025 en offre une illustration significative, à l’occasion d’un litige opposant un syndicat des copropriétaires à une métropole au sujet de factures d’eau contestées.

Un syndicat des copropriétaires d’une résidence comptant cent soixante-neuf lots s’est vu notifier deux saisies administratives à tiers détenteur par le comptable public. La première, en date du 17 novembre 2020, portait sur une facture de consommation d’eau du premier semestre 2019 d’un montant de 34 228,65 euros. La seconde, du 2 décembre 2020, concernait une facture du second semestre 2014 pour 31 622,07 euros. Le syndicat avait préalablement obtenu du tribunal administratif de Marseille, par ordonnance de référé du 21 janvier 2020, la désignation d’un expert chargé d’identifier l’origine d’une fuite entraînant une surconsommation d’eau. Deux recours administratifs préalables furent exercés par le syndicat, lesquels donnèrent lieu à des décisions implicites de rejet. Par jugement du 29 août 2024, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence déclara irrecevable l’action relative à la saisie du 17 novembre 2020 et débouta le syndicat de ses demandes de mainlevée. Le syndicat interjeta appel.

Devant la cour, le syndicat des copropriétaires sollicitait l’infirmation du jugement, la mainlevée des deux saisies et des dommages et intérêts. La métropole concluait à la confirmation du jugement et à l’irrecevabilité des contestations pour tardiveté.

La question posée à la cour était double : d’une part, les contestations formées par le syndicat étaient-elles recevables malgré l’absence de mentions réglementaires dans l’accusé de réception du recours administratif ? D’autre part, les saisies administratives à tiers détenteur pouvaient-elles être maintenues en l’absence de justification d’actes interruptifs de prescription ou de notification régulière du titre exécutoire ?

La cour d’appel d’Aix-en-Provence infirme le jugement entrepris. Elle déclare recevable l’action en contestation de la saisie du 17 novembre 2020, retenant que l’administration n’avait pas transmis un accusé de réception comportant les mentions prescrites par l’article R.112-25 du code des relations entre le public et l’administration. Elle ordonne la mainlevée des deux saisies : pour celle du 2 décembre 2020, faute d’acte interruptif de la prescription quadriennale ; pour celle du 17 novembre 2020, faute de notification du titre exécutoire au débiteur.

Cette décision mérite attention en ce qu’elle rappelle l’importance du formalisme procédural dans le recouvrement des créances publiques (I) et illustre les conditions de fond auxquelles est subordonnée l’efficacité d’une saisie administrative à tiers détenteur (II).

I. L’exigence d’un formalisme procédural protecteur du débiteur

La cour rappelle avec fermeté les obligations pesant sur l’administration lors du traitement des recours gracieux (A), avant d’en tirer les conséquences sur la recevabilité des contestations judiciaires (B).

A. L’obligation d’information incombant à l’administration

La cour fonde son raisonnement sur les articles L.110-1 et L.112-3 du code des relations entre le public et l’administration, qui imposent à l’administration d’accuser réception des demandes qui lui sont adressées. L’article R.112-25 du même code précise le contenu obligatoire de cet accusé de réception, lequel doit mentionner notamment « la date de réception de la demande et la date à laquelle, à défaut d’une décision expresse, celle-ci sera réputée acceptée ou rejetée » ainsi que « les délais et les voies de recours à l’encontre de la décision ».

En l’espèce, l’administration s’était contentée d’apposer une simple signature sur l’avis de réception du recours gracieux, « sans mention des indications prescrites par l’article R.112-25 ». Cette carence revêt une importance particulière dans le contentieux du recouvrement forcé, où les délais de recours sont brefs et stricts. L’article R*281-4 du livre des procédures fiscales impartit en effet au redevable un délai de deux mois pour saisir le juge compétent, à compter de la notification de la décision ou de l’expiration du délai accordé à l’administration pour statuer.

Le formalisme imposé par le code des relations entre le public et l’administration n’est pas une simple formalité administrative. Il constitue une garantie fondamentale pour le justiciable, qui doit être mis en mesure de connaître avec précision les voies et délais de recours qui lui sont ouverts. La cour fait ainsi application de l’article L.112-6 du même code, selon lequel « les délais de recours ne sont pas opposables à l’auteur d’une demande lorsque l’accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la réglementation ».

B. L’inopposabilité des délais de recours en l’absence de mentions réglementaires

La conséquence de cette carence est sans appel : la forclusion ne peut être opposée au syndicat des copropriétaires. La cour déclare recevable la contestation formée par assignation du 25 mai 2021, alors même que le recours gracieux avait été reçu par l’administration le 25 janvier 2021. En appliquant les règles ordinaires, la décision implicite de rejet serait intervenue le 25 mars 2021, et le délai de deux mois pour saisir le juge aurait expiré le 25 mai 2021. Le syndicat avait donc saisi le juge le dernier jour du délai théorique.

La cour ne se livre pas à ce calcul. Elle considère que l’absence des mentions prescrites rend le délai de recours purement inopposable, sans qu’il soit nécessaire de vérifier si le recours a été exercé dans le délai théorique. Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence protectrice des administrés, qui refuse de faire supporter au justiciable les conséquences d’un défaut d’information imputable à l’administration.

Cette position trouve un fondement constitutionnel dans le droit au recours effectif. Le Conseil constitutionnel a jugé à plusieurs reprises que le législateur ne saurait porter d’atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction. L’exigence d’information sur les voies et délais de recours participe directement de cette garantie.

La métropole avait tenté de justifier l’absence d’indication sur la juridiction compétente par « la diversité des types de litige et donc de compétence entre juge administratif et juge judiciaire ». La cour écarte implicitement cet argument, qui ne saurait dispenser l’administration de son obligation d’information. La complexité du droit ne peut servir de prétexte à l’opacité procédurale.

Cette solution protectrice du débiteur trouve son prolongement dans l’examen des conditions de fond des saisies litigieuses.

II. Les conditions de validité de la saisie administrative à tiers détenteur

La cour examine successivement les deux saisies litigieuses et prononce leur mainlevée pour des motifs distincts, tenant à la prescription de l’action en recouvrement (A) et à l’absence de notification du titre exécutoire (B).

A. La prescription de l’action en recouvrement des créances publiques

S’agissant de la saisie du 2 décembre 2020 portant sur la facturation de 2014, le syndicat des copropriétaires invoquait la prescription biennale de l’article L.218-2 du code de la consommation. La cour écarte ce moyen en rappelant que « seules sont applicables aux impayés de factures d’eau distribuée par une collectivité territoriale en régie, la prescription quadriennale édictée par l’article L.1617-5, 3° du code général des collectivités territoriales ».

Cette solution mérite approbation. La prescription biennale du code de la consommation suppose l’existence d’un contrat entre un professionnel et un consommateur. Or le syndicat des copropriétaires, personne morale gérant un patrimoine immobilier collectif, ne saurait être assimilé à un consommateur au sens de ce code. La relation entre une collectivité territoriale exploitant un service public d’eau en régie et ses usagers relève d’un régime spécifique, déterminé par le code général des collectivités territoriales.

La cour applique donc la prescription quadriennale, qui court à compter de la prise en charge du titre de recette. Elle relève qu’« il n’est pas justifié d’un acte interruptif de prescription entre l’établissement du titre de recette, à savoir la facture établie le 31 décembre 2014 par l’ordonnateur et la saisie administrative à tiers détenteur pratiquée le 2 décembre 2020 ». La métropole invoquait un titre de perception du 28 janvier 2019, mais la cour constate qu’elle ne le communique pas aux débats et ne justifie pas de sa notification.

Cette exigence de preuve s’impose à la collectivité créancière. L’interruption de la prescription ne se présume pas et doit être établie par celui qui l’invoque. L’article L.1617-5, 3° du code général des collectivités territoriales prévoit que le délai est interrompu « par tous actes comportant reconnaissance de la part des débiteurs et par tous actes interruptifs de la prescription ». En l’absence de justification de tels actes, la prescription est acquise et la mainlevée de la saisie s’impose.

B. L’exigence de notification préalable du titre exécutoire

S’agissant de la saisie du 17 novembre 2020 portant sur la facturation de 2019, la cour retient un autre motif de mainlevée : l’absence de notification du titre exécutoire au débiteur.

La cour rappelle le principe selon lequel « tout titre exécutoire émis par une personne morale de droit public ne peut donner lieu à mesure d’exécution forcée s’il n’a été notifié au débiteur », en visant un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 18 mars 2003. Elle souligne que l’article L.1617-5, 4° du code général des collectivités territoriales prévoit que le titre est envoyé au redevable par pli simple, accompagné d’une lettre l’invitant à se libérer de sa dette dans le délai d’un mois.

En l’espèce, « il n’est pas justifié de la notification du titre de recette au syndicat des copropriétaires ». La métropole se bornait à reprendre les conclusions déposées par le comptable public dans une instance antérieure, « sans toutefois les communiquer et alors que le redevable indique ne pas en avoir été destinataire ».

Cette exigence de notification répond à un double objectif. Elle permet d’abord au débiteur de prendre connaissance de la créance qui lui est réclamée et de vérifier son bien-fondé. Elle lui permet ensuite d’exercer les voies de recours dans les délais impartis. Une mesure d’exécution forcée pratiquée sans notification préalable du titre exécutoire prive le débiteur de ces garanties et doit être annulée.

La cour confirme en revanche le rejet de la demande de dommages et intérêts formée par le syndicat. Elle rappelle que cette demande, fondée sur les préjudices résultant de la surconsommation d’eau et du coût des recherches de fuite, « excède les pouvoirs du juge de l’exécution ». Celui-ci ne peut connaître, en vertu de l’article L.213-6 du code de l’organisation judiciaire, que « des demandes en réparation fondées sur l’exécution ou l’inexécution dommageable des mesures d’exécution forcée ou des mesures conservatoires ». Le syndicat devra porter cette demande devant le juge compétent pour statuer sur le fond du litige relatif à la fourniture d’eau.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture