Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 3 juillet 2025, n°24/11356

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 3 juillet 2025, statue en référé sur les suites d’une vente et d’une installation de cuisine. L’acheteur a émis deux chèques au livreur, puis a formé opposition pour perte du chéquier. Le tribunal judiciaire de Digne-les-Bains avait ordonné la mainlevée de l’opposition, alloué deux provisions croisées, et prononcé une astreinte pour finaliser la pose. L’acheteur a interjeté appel en contestant la mainlevée, la recevabilité d’une demande provisionnelle inférieure à 5 000 euros, et en sollicitant une indemnisation plus élevée et une astreinte accrue. L’intimée a demandé l’infirmation, une provision sur le solde du prix, une provision pour résistance abusive, et la compensation des créances.

Le litige concentre deux séries de questions. D’abord, la validité de l’opposition au paiement au regard de l’article L. 131-35 du code monétaire et financier, et l’intérêt à agir en mainlevée lorsque les formules ont disparu chez le bénéficiaire. Ensuite, les conditions d’octroi d’une provision et d’une exécution sous astreinte selon l’article 835 du code de procédure civile, la recevabilité au regard de l’article 750-1 du même code, et la compensation. La cour juge l’opposition infondée en droit mais dénuée d’objet utile en référé, faute d’intérêt à agir au profit du bénéficiaire. Elle confirme l’astreinte de finalisation, rejette l’irrecevabilité tirée de l’article 750-1, accorde une provision de 3 902 euros au vendeur au titre du solde et confirme 500 euros pour résistance abusive, tout en maintenant 250 euros pour le préjudice de l’acheteur, avec compensation.

I. L’opposition au chèque et la mainlevée en référé

A. La stricte limitation des causes d’opposition et son contrôle effectif

Le cadre légal confirmé par la cour retient l’interprétation stricte de l’article L. 131-35 du code monétaire et financier. Elle cite que « Il n’est admis d’opposition au paiement par chèque qu’en cas de perte, de vol ou d’utilisation frauduleuse du chèque ». L’acheteur, ayant remis les chèques au livreur trois jours avant, ne pouvait utilement se prévaloir d’une perte affectant ces chèques précis. La cour rappelle un indice concordant, tiré d’un courriel du jour de l’opposition, par lequel l’émetteur demandait de ne pas déposer les chèques « dans l’attente d’une issue […] positive », sans mentionner la perte. Elle en déduit que l’opposition est infondée. Le syllogisme est classique et prudent, la preuve de la cause légale d’opposition étant exigée avec rigueur.

La motivation s’inscrit dans une ligne constante de protection de la lettre de change et des effets de paiement. Elle cite encore que, malgré l’opposition dévoyée, « le juge des référés […] doit, sur la demande du porteur, ordonner la mainlevée de l’opposition ». La cour vérifie toutefois, postérieurement, la finalité procédurale de cette demande. La logique évite toute instrumentalisation de l’opposition pour différer un paiement dû, sans ignorer les considérations sur l’intérêt utile des mesures sollicitées dans l’instance de référé.

B. L’exigence d’un intérêt à agir actuel et utile en cas de disparition des formules

La cour relève la disparition des formules chez le bénéficiaire après un cambriolage. Elle énonce que « cette dernière ne dispose d’aucun intérêt légitime à voir lever l’opposition litigieuse ». Cette appréciation, immédiatement articulée à la finalité concrète du référé, conduit à juger qu’« il sera ainsi dit n’y avoir lieu à référé sur la mainlevée de l’opposition ». La solution distingue avec clarté deux plans juridiques. L’opposition demeure infondée en droit, mais la mainlevée n’a plus d’utilité immédiate si le bénéficiaire ne détient plus le titre.

Cette position est cohérente avec l’office du juge des référés, limité à l’évidence et à l’efficacité d’une mesure utile. Elle ménage la protection du porteur en orientant l’action vers la créance de prix, exigible en présence d’une livraison substantielllement réalisée. La voie provisionnelle apparaît ainsi plus adéquate que la levée d’une opposition devenue abstraite. La portée pratique est nette. La sanction du détournement de l’opposition se déplace vers l’allocation d’une provision certaine, plutôt que vers une mesure inefficiente faute de titre.

II. Les mesures provisionnelles et l’exécution sous astreinte

A. Recevabilité et cadre procédural des demandes de provision en deçà de 5 000 euros

La cour examine l’article 750-1 du code de procédure civile, dans sa version issue du décret du 11 mai 2023, et son champ temporel. Elle précise que ce texte est applicable aux instances introduites à compter du 1er octobre 2023. L’assignation étant antérieure, la fin de non-recevoir échoue pour ce motif. Surtout, elle rappelle que « une procédure de référé n’est pas, en soi, automatiquement dispensée de la tentative de résolution amiable du litige », mais que les circonstances peuvent la rendre impossible.

La cour ajoute, au soutien, que l’opposition présentait « un caractère abusif, rendant impossible […] toute tentative préalable de résolution amiable ». Elle conclut en ces termes: « l’exception d’irrecevabilité soulevée par l’appelant sera rejetée ». La leçon de procédure est double. Le contrôle de recevabilité se fait à droit transitoire constant, et l’exigence amiable demeure flexible en référé. Un motif légitime tiré du comportement procesuel de la partie adverse suffit à lever l’irrecevabilité, ce qui préserve l’accès au juge pour les créances évidentes.

B. Bien-fondé des provisions, exécution de l’obligation de faire et compensation

La cour applique l’article 835 du code de procédure civile et rappelle que « dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, […] peuvent accorder une provision ». Elle mobilise aussi l’article 1103 du code civil, selon lequel « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ». Les stipulations de commande imposaient la remise du solde au livreur. La livraison ayant été opérée, l’« obligation de paiement du solde du prix n’est donc pas sérieusement contestable ». La provision est fixée à 3 902 euros, conforme aux montants des chèques.

Sur l’obligation de faire, la cour vise la clause contractuelle qui étend la prestation à la « pose complète des éléments mobiliers et accessoires ». La pose n’étant pas achevée, l’astreinte de 50 euros par jour est confirmée, avec un délai d’un mois. L’équilibre contractuel est restauré par une double contrainte. Le paiement partiel est sécurisé, et la conformité de la prestation est obtenue sous pression temporelle modérée. Sur le préjudice du vendeur, l’article 1240 du code civil est rappelé, « tout fait quelconque de l’homme […] oblige […] à le réparer ». La résistance abusive justifie une provision de 500 euros, tempérées par l’inachèvement persistant de la pose.

La cour confirme enfin une provision de 250 euros au profit de l’acheteur pour le retard d’installation, écartant les chefs non prévus par le contrat, tels que le débarrassage des anciens meubles, et la revendication pour nuisances subies par des tiers. La compensation est ordonnée sur le fondement de l’article 1347, « la compensation est l’extinction simultanée d’obligations réciproques ». Le dispositif, sobre et opératoire, tarifie l’évidence, neutralise les prétentions accessoires, et assure une exécution contrainte proportionnée des obligations réciproques.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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