- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
L’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence le 4 juillet 2025 porte sur la question de la rupture de la période d’essai et de son éventuel caractère abusif. Cette décision s’inscrit dans le contentieux récurrent relatif aux limites du pouvoir discrétionnaire de l’employeur durant cette phase initiale de la relation de travail.
Un salarié a été embauché le 18 octobre 2018 en qualité de jointeur par une société de travaux de maçonnerie. Le contrat prévoyait une période d’essai de deux mois non renouvelable. Par courrier du 30 novembre 2018, l’employeur a notifié sa décision de mettre fin à cette période au 17 décembre 2018. Dès le lendemain, le salarié a signé un nouveau contrat avec une autre société, intervenant dans les travaux de finitions, pour occuper les mêmes fonctions de jointeur. Ces deux sociétés avaient le même gérant. Une rupture conventionnelle a ensuite été homologuée entre le salarié et cette seconde société.
Le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Toulon le 6 décembre 2019 pour contester la rupture de la période d’essai par la première société et solliciter une indemnisation. Par jugement du 23 avril 2021, la juridiction prud’homale a considéré la rupture abusive et condamné l’employeur au paiement de dommages et intérêts ainsi qu’au titre des frais irrépétibles. La société a interjeté appel de cette décision.
Devant la cour, le salarié soutenait que l’employeur avait détourné la finalité de la période d’essai, son intention étant dès l’origine de limiter l’emploi à cette durée pour éluder les règles du licenciement. Il invoquait l’interdiction de cumuler les périodes d’essai pour un même poste avec un même employeur. La société répliquait que le salarié ne rapportait pas la preuve d’un détournement et que les premiers juges avaient confondu deux sociétés distinctes.
La question posée à la cour était de déterminer si la rupture de la période d’essai notifiée par l’employeur présentait un caractère abusif en raison d’un détournement de sa finalité.
La cour infirme le jugement entrepris. Elle déboute le salarié de l’ensemble de ses demandes, considérant qu’il ne rapporte pas la preuve du caractère abusif de la rupture. Le seul élément d’un délai de prévenance conséquent est jugé insuffisant à établir un détournement de la période d’essai.
Il convient d’examiner le rappel du régime de la rupture de la période d’essai (I) avant d’analyser l’application de la charge de la preuve au cas d’espèce (II).
I. Le rappel du régime de la rupture de la période d’essai
La cour procède à un exposé méthodique du cadre juridique applicable (A) avant de préciser les hypothèses caractérisant l’abus dans la rupture (B).
A. La liberté de rupture encadrée par la finalité de l’essai
La cour rappelle les dispositions de l’article L. 1221-20 du code du travail selon lesquelles la période d’essai « permet à l’employeur d’évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience, et au salarié d’apprécier si les fonctions occupées lui conviennent ». Cette définition légale circonscrit l’objet même de l’essai à une évaluation réciproque des aptitudes et de l’adéquation au poste.
La juridiction d’appel se réfère ensuite à l’article L. 1231-1 du code du travail pour souligner que les dispositions régissant la rupture du contrat de travail ne sont pas applicables durant cette phase. Elle en déduit que l’employeur comme le salarié disposent d’un « droit de résiliation unilatérale » qu’ils peuvent « mettre en œuvre librement ». Cette affirmation s’appuie sur une jurisprudence constante de la Cour de cassation.
Ce principe de liberté trouve sa justification dans la nature même de l’essai. Les parties n’étant pas encore définitivement engagées, elles doivent pouvoir se désengager sans être tenues aux formalités et conditions du licenciement ou de la démission. L’absence de motivation obligatoire participe de cette souplesse voulue par le législateur.
La cour s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle solidement établie. Elle cite notamment un arrêt de la chambre sociale du 2 juin 1981 consacrant cette faculté de résiliation unilatérale. Cette référence ancienne témoigne de la stabilité des solutions en la matière depuis plusieurs décennies.
B. Les limites tenant à l’interdiction de l’abus
La liberté de rupture n’est toutefois pas absolue. La cour précise que l’employeur ne peut mettre fin aux relations contractuelles « que sous réserve de ne pas faire dégénérer ce droit en abus ». Elle s’appuie sur un arrêt du 6 décembre 1995 pour asseoir cette limite.
La décision énumère ensuite les cas dans lesquels la responsabilité de l’employeur peut être engagée. Elle vise le « détournement de la finalité » de la période d’essai, « l’intention de nuire » ou la « légèreté blâmable ». Elle mentionne également les motifs « sans rapport avec la finalité de la période d’essai », notamment ceux « non inhérent à la personne du salarié ».
Sur ce dernier point, la cour cite un arrêt du 5 octobre 1993 selon lequel « l’intention de l’employeur, dès l’embauche, de limiter l’emploi du salarié à la durée de l’essai, constitue un détournement de la période d’essai ». Cette hypothèse correspond précisément à celle invoquée par le salarié en l’espèce. L’utilisation de l’essai comme un contrat à durée déterminée déguisé prive le salarié des garanties légales et constitue une fraude aux dispositions impératives du code du travail.
La théorie de l’abus de droit trouve ici une application classique. Le droit de rompre l’essai, bien que discrétionnaire, ne peut être exercé dans un but étranger à sa finalité. La jurisprudence a progressivement construit un corpus de situations caractérisant cet abus, sans pour autant remettre en cause le principe même de la liberté de rupture.
II. L’application rigoureuse de la charge de la preuve
La cour rappelle le principe selon lequel la preuve de l’abus incombe au salarié (A) avant de constater l’insuffisance des éléments produits en l’espèce (B).
A. Le principe de la charge de la preuve pesant sur le salarié
La cour énonce qu’« il appartient au salarié qui conteste la rupture de démontrer que celle-ci présente un caractère abusif ». Elle cite deux arrêts de la Cour de cassation du 23 mars 2011 et du 2 décembre 2015 au soutien de cette règle probatoire.
Cette répartition de la charge de la preuve constitue une différence majeure avec le contentieux du licenciement. En matière de rupture de la période d’essai, le salarié supporte seul le fardeau probatoire. L’employeur n’a pas à justifier sa décision ni à établir que la rupture procède d’une évaluation négative des compétences.
Ce régime probatoire s’explique par la nature même de la période d’essai. Puisque l’employeur n’est pas tenu de motiver sa décision, il serait contradictoire de lui imposer de prouver le bien-fondé de celle-ci. Le salarié qui entend renverser la présomption de régularité attachée à la rupture doit établir positivement l’existence d’un abus.
La rigueur de cette règle peut sembler défavorable au salarié. Celui-ci dispose rarement d’éléments lui permettant de démontrer les intentions réelles de l’employeur. Les preuves d’un détournement sont par nature difficiles à réunir. La jurisprudence maintient néanmoins cette exigence avec constance.
B. L’insuffisance des éléments caractérisant le détournement allégué
En l’espèce, la cour relève plusieurs éléments factuels. Le salarié a travaillé pour une première société du 18 octobre au 17 décembre 2018. La rupture lui a été notifiée le 30 novembre 2018. Dès le 18 décembre 2018, il a été embauché par une seconde société ayant le même gérant pour exercer les mêmes fonctions.
La juridiction constate l’existence d’un « délai de prévenance conséquent de près de trois semaines pour un salarié ayant une durée de présence dans l’entreprise de 12 jours ». Ce délai excède largement les obligations légales. Le salarié a ainsi continué de travailler du 30 novembre au 17 décembre.
La cour juge néanmoins ce seul élément « insuffisant à établir le détournement de la période d’essai ». Elle en déduit que la rupture ne peut être qualifiée d’abusive. Le salarié est débouté de sa demande de dommages et intérêts.
Cette appréciation peut surprendre. L’enchaînement chronologique des faits suggérait une organisation préméditée. L’embauche immédiate par une société ayant le même dirigeant pour le même poste constituait un indice troublant. La cour refuse toutefois de retenir une présomption de fraude fondée sur ces circonstances.
La juridiction d’appel se montre exigeante quant au niveau de preuve attendu. Elle ne se satisfait pas d’un faisceau d’indices concordants. Cette position renforce la sécurité juridique de l’employeur qui rompt une période d’essai. Elle rend corrélativement plus difficile pour le salarié la démonstration d’un détournement de la finalité de l’essai. L’arrêt s’inscrit dans une conception restrictive de l’abus qui privilégie la liberté contractuelle durant cette phase probatoire de la relation de travail.