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Par un arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, chambre 4-3, du 4 septembre 2025, la juridiction statue sur l’articulation entre l’obligation de sécurité de l’employeur et la validité d’un licenciement pour motif économique. Le litige naît d’arrêts de travail, d’un avis d’inaptitude ensuite infirmé par expertise, et d’un courrier patronal déclarant l’impossibilité d’aménager le poste, avant un licenciement motivé par des difficultés économiques. La lettre de rupture mentionnait une baisse d’activité et l’échec de reclassement, tandis que le salarié invoquait des manquements répétés aux préconisations médicales et la dissimulation d’un motif personnel. Le conseil de prud’hommes avait admis la cause réelle et sérieuse; l’appel remet en cause cette analyse.
La procédure révèle un enchaînement net. Après divers avis d’aptitude avec réserves, puis d’inaptitude, une expertise judiciaire conclut à l’aptitude avec restrictions, sans aménagement effectif subséquent. L’employeur licencie ensuite pour motif économique, le salarié adhérant au contrat de sécurisation professionnelle. Devant la cour, il s’agit de déterminer, d’une part, si l’employeur a respecté son obligation de sécurité au regard des avis médicaux successifs, d’autre part, si les difficultés économiques alléguées, au sens de l’article L. 1233-3 du code du travail, constituent une cause réelle et sérieuse lorsque ces difficultés procèdent du refus d’adapter le poste. La juridiction retient un manquement de l’employeur, indemnise le préjudice lié à la suspension imputable, et juge le licenciement économique dépourvu de cause, tout en allouant des sommes au titre du préavis et d’une indemnisation encadrée par l’article L. 1235-3.
I. L’obligation de sécurité: contenu et mise en œuvre effective
A. L’autorité des préconisations médicales et l’exigence d’action patronale
La cour rappelle l’assise textuelle et jurisprudentielle de l’obligation de sécurité, en soulignant que « l’employeur est tenu par une obligation de sécurité par laquelle il doit assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale des salariés, par des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation et la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés ». Elle précise le rôle de la médecine du travail, dont les indications et propositions doivent être prises en considération, avant comme après l’entrée en vigueur des articles L. 4624-1 et L. 4624-6 dans leurs versions applicables. Le principe directeur est net: « En matière d’obligation de sécurité, il incombe à l’employeur d’assurer la mise en ‘uvre effective des préconisations de la médecine du travail sur l’aménagement du poste de travail d’un salarié à partir des éléments de fait évoqués. »
Dans cette perspective, la circonstance que les aménagements suggérés modifient le contrat n’emporte pas, à elle seule, inaptitude. Le seul compétent pour apprécier les capacités résiduelles demeure le médecin du travail; à l’employeur d’interroger et d’agir, le cas échéant, afin d’éviter les gestes dangereux ou les postures aggravantes. L’obligation est de moyens renforcés quant au processus, et elle se mesure à l’effectivité des dispositions prises, non aux déclarations d’intention. La motivation retient ainsi un standard d’intervention proactive, ancré dans les avis répétés, qui forment un faisceau d’exigences convergentes sur le port de charges, les postures en flexion et l’usage d’outils vibrants.
B. Constat du manquement et réparation corrélative
Appliquant ces principes, la cour apprécie la cohérence des conduites patronales avec les avis médicaux. Elle relève l’absence d’aménagement significatif, malgré les restrictions constantes depuis la reprise de juin 2016 et l’expertise ayant invalidé l’inaptitude. L’analyse souligne un courrier par lequel l’employeur déclarait l’impossibilité d’adapter le poste pour des raisons humaines et financières, élément déterminant des suites médicales et organisationnelles. D’où la conclusion selon laquelle « La cour relève ainsi que l’employeur n’a pris aucune initiative pour clarifier la situation de reprise du travail aménagé », tant après la première reprise que postérieurement à l’expertise.
Ce défaut d’action caractérise le manquement: « l’employeur a commis un manquement à son obligation de sécurité ». La conséquence en est une indemnisation spécifique, proportionnée à la suspension subie du contrat imputable à ce manquement, la juridiction décidant que « Cette suspension subie du contrat de travail qui est imputable au manquement de l’employeur à une obligation de sécurité doit être indemnisée à hauteur de 3 000 euros. » La démarche offre une pédagogie claire: l’obligation de sécurité n’est pas un simple cadre déclaratif; elle appelle des mesures concrètes et vérifiables, et l’inertie engage la responsabilité.
II. Le motif économique: contrôle de causalité et conséquences indemnitaires
A. L’imputation des difficultés et l’éviction du motif économique
S’agissant de la rupture, la cour rappelle utilement la règle probatoire: « La charge de la preuve pèse sur l’employeur », qui doit établir la réalité des difficultés économiques ou la nécessité d’une réorganisation à la date du licenciement. La motivation examine la baisse d’activité alléguée à l’aune de ses causes. L’argumentaire retient que « Cette difficulté s’explique directement par l’absence de possibilité de reprise du travail du seul salarié de l’entreprise », situation elle-même résultant du refus d’aménager le poste en conformité avec les prescriptions médicales validées par expertise.
Le lien de causalité est décisif. La cour énonce que « Il en résulte que la difficulté économique découle du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité à l’égard du salarié licencié. » Partant, l’employeur ne peut se prévaloir d’un motif économique qu’il a contribué à créer par sa propre carence. La suppression d’emploi est donc disqualifiée: « la suppression de l’emploi n’est pas justifiée par les difficultés économiques et porte en réalité sur un motif personnel, à savoir les restrictions à l’aptitude au travail du salarié. » Le contrôle exercé présente une double vertu. Il prévient l’instrumentalisation du motif économique pour suppléer l’échec du processus d’adaptation. Il exige une démonstration autonome des difficultés, indépendantes des manquements patronaux.
Cette approche peut susciter discussion dans les structures de petite taille, où l’absence temporaire d’un salarié pèse mécaniquement sur l’activité. Elle est néanmoins juridiquement cohérente: l’employeur ne peut invoquer des difficultés dont la cause réside dans l’inexécution d’une obligation légale d’aménagement. La solution s’inscrit dans une conception exigeante de la causalité économique, qui oblige à isoler les facteurs externes des failles imputables à la gestion des risques professionnels.
B. Préavis, barème et portée pratique de la décision
La cour vérifie d’abord le périmètre du litige au regard de la lettre de licenciement, rappelant que « la motivation de cette lettre fixe les limites du litige. » S’agissant du préavis, elle pose de manière nette que « le salarié peut prétendre à une indemnité de préavis nonobstant son arrêt de travail pour maladie au cours de cette période », l’absence de cause réelle et sérieuse privant de fondement l’adhésion au contrat de sécurisation professionnelle. La solution assure l’effectivité des droits à rémunération conventionnelle attachés à l’inexécution imputable du préavis.
Sur l’indemnisation, la cour confirme la compatibilité du barème légal avec l’exigence d’« indemnité adéquate » au sens de la Convention n° 158 de l’OIT, relevant que « Il en résulte que les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention précitée. » L’indemnité est alors déterminée in concreto, en considération de l’ancienneté, de la taille de l’entreprise et de la reprise d’activité du salarié. La juridiction « fixe à 5 000 euros le montant de la réparation au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse », en cohérence avec les bornes applicables. Ce faisant, elle sécurise l’usage du barème tout en rappelant l’office d’individualisation.
La décision présente enfin une portée pratique importante pour les artisans et petites entreprises. Elle impose d’anticiper et documenter les aménagements, d’échanger utilement avec la médecine du travail, et de ne pas substituer une rupture économique à l’issue d’un processus d’adaptation inabouti. La reconnaissance du rappel d’indemnités de trajet s’inscrit dans la même logique de fidélité au cadre conventionnel applicable. L’ensemble dessine une jurisprudence attentive à la cohérence systémique: l’obligation de sécurité irrigue la validité du motif économique, et le régime indemnitaire, y compris le préavis, s’ajuste à la réalité de la faute et de ses effets.