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La Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 4 septembre 2025, statue sur un licenciement pour inaptitude consécutif à des restrictions médicales anciennes et répétées. L’arrêt confronte l’obligation de sécurité, la prescription, l’allégation de discrimination et l’étendue du reclassement, puis arrête les conséquences indemnitaires.
Une technicienne, embauchée en 1977, souffre d’une pathologie de la main droite. À compter de 2011, le médecin du travail prescrit l’évitement du pipetage répété puis, plus largement, des mouvements pathogènes du membre supérieur droit. Après un arrêt en 2015, l’inaptitude est prononcée en 2017 et le licenciement intervient pour impossibilité de reclassement.
Le Conseil de prud’hommes de Marseille, 17 décembre 2020, déclare le licenciement sans cause réelle et sérieuse, rejette la nullité pour discrimination et statue sur les indemnités. En appel, l’employeur invoque la prescription et son respect des prescriptions médicales, tandis que la salariée demande la nullité, des dommages complémentaires et la majoration du préavis. La cour confirme l’absence de cause réelle et sérieuse, écarte la discrimination, retient un manquement à l’obligation de sécurité et majore le préavis au titre du handicap.
La question porte d’abord sur le point de départ de la prescription des manquements de sécurité, puis sur la preuve d’aménagements effectifs au regard des préconisations médicales. Elle s’étend ensuite à la causalité de l’inaptitude, au contenu de l’obligation de reclassement, et aux effets indemnitaires, notamment le doublement du préavis.
I. Le manquement à l’obligation de sécurité et sa recevabilité
A. Prescription de l’action et qualification des faits générateurs
La cour rappelle avec netteté le régime applicable. Elle énonce que « Toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit. » S’agissant de l’obligation de sécurité, elle précise que « le délai de prescription ne peut commencer à courir que du jour où les faits générateurs du préjudice dont il est demandé réparation ont entièrement cessé. » La détermination du fait générateur est décisive, la cour ajoutant que « Ces faits générateurs ne sont pas les préconisations du médecin du travail mais l’absence des mesures correctives ou préventives prises par l’employeur jusqu’à la fin de la relation contractuelle. »
Cette construction écarte utilement une confusion fréquente entre l’avis médical et l’exécution patronale qui s’ensuit. Elle protège la justiciabilité des atteintes persistantes à la santé au travail, lorsque l’employeur maintient des conditions contraires aux avis médicaux. Elle garantit, en outre, une lecture cohérente de la prescription biennale avec la nature continue du manquement de sécurité.
B. Preuve du manquement et portée des préconisations du médecin du travail
La cour définit ensuite le standard probatoire. Elle rappelle que l’employeur est débiteur d’un devoir de prévention et d’adaptation: « Par application des articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail, la jurisprudence considère que l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité par laquelle il doit assurer la sécurité et protéger la santé physique et moral des salariés, par des actions de prévention des risques professionnels, des actions d’information et de formation et la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. » Elle souligne le rôle pivot de la médecine du travail: « Seul le médecin du travail est habilité à statuer sur les capacités résiduelles d’un salarié, en cas de besoin il appartient à l’employeur d’interroger le médecin du travail pour mettre en place l’aménagement requis. »
En conséquence, la charge incombe à l’employeur de démontrer les mesures mises en œuvre. La cour le dit expressément: « En matière d’obligation de sécurité , il incombe à l’employeur d’assurer la mise en œuvre effective des préconisations de la médecine du travail sur l’aménagement du poste de travail d’un salarié… » et « Il appartient ainsi à l’employeur de démontrer les actions réellement entreprises pour se conformer aux préconisations… » Constatant l’absence d’aménagements effectifs malgré des avis répétés, la cour caractérise un manquement de sécurité et en fixe l’indemnisation en précisant la nature autonome du préjudice: « Le préjudice découlant de ce manquement ne se confond pas avec les conséquences dommageables de cette pathologie évoluant pour son propre compte. » Cette distinction circonscrit le dommage à la perte de chance de ralentir l’évolution morbide par des mesures adaptées.
II. Les effets sur la rupture et sur les obligations de reclassement
A. Causalité de l’inaptitude, nullité écartée et absence de cause réelle et sérieuse
La cour relie le manquement à la rupture. Elle constate que l’employeur ne renverse pas la causalité et tranche que « l’employeur ne justifie pas que l’inaptitude de la salariée est étrangère au manquement qui lui est reproché et le licenciement est considéré sans cause réelle et sérieuse au titre de ce moyen. » Le terrain de la nullité est, cependant, fermé. La cour l’énonce explicitement: « Le non-respect par l’employeur de son obligation de sécurité n’est pas une cause de nullité de la rupture du contrat de travail… » Cette solution distingue utilement l’illégitimité de la cause de rupture et les hypothèses d’atteinte à une liberté fondamentale.
Sur l’allégation de discrimination liée à une proposition de rupture conventionnelle, l’arrêt retient une appréciation pragmatique. Il précise que « ce seul fait établi dans sa matérialité n’est pas en lui-même constitutif d’une discrimination […] dès lors que le consentement est libre et éclairé. » Faute d’éléments concordants, la discrimination est écartée, ce qui recentre le débat sur la défaillance préventive et ses suites.
B. Étendue du reclassement et conséquences indemnitaires, dont le préavis doublé
L’obligation de reclassement est rappelée dans ses termes et dans sa logique d’adaptation: « L’emploi proposé est aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail. » La cour constate une démarche insuffisante, relevant que l’employeur « ne justifie d’aucune recherche sérieuse de reclassement […] » et qu’il « s’est abstenu de tout échange constructif avec le médecin du travail. » Le licenciement, déjà privé de cause par l’origine fautive de l’inaptitude, se trouve également entaché par une recherche lacunaire.
Les effets indemnitaires sont ordonnés avec cohérence. Sur le préavis, l’arrêt retient l’articulation entre le contentieux de l’inaptitude et le statut de travailleur handicapé: « La jurisprudence considère qu’en cas de manquement de l’employeur à son obligation de reclassement, le licenciement pour inaptitude étant devenu sans cause réelle et sérieuse, le salarié reconnu travailleur handicapé, a droit, dans la limite de trois mois, au bénéfice du doublement de la durée de préavis prévue par l’article L. 5213-9 du code du travail. » Le quantum des dommages pour licenciement injustifié est confirmé au regard de l’ancienneté, de l’âge et des perspectives de retour à l’emploi. La cour valide que « Il y a lieu de confirmer l’indemnisation de la salariée fixée par le conseil de prud’hommes à 100.000 euros. » Enfin, le régime des intérêts est rappelé avec précision, la cour indiquant que « les intérêts au taux légal courent sur les créances salariales […] et sur les créances indemnitaires […] à compter du jugement et du présent arrêt pour le surplus. » Cette cohérence d’ensemble renforce la portée pédagogique de l’arrêt, qui clarifie la chaîne normative allant de la prévention jusqu’aux effets financiers de la rupture.