- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 4 septembre 2025, n° 21/00426 (Ch. 4-3). Un salarié, agent d’entretien en EHPAD, engagé en 2012, a connu une longue succession d’arrêts de travail, d’abord d’origine professionnelle jusqu’en juin 2016, puis pour maladie non professionnelle. L’employeur l’a licencié en décembre 2017 pour désorganisation de l’établissement et nécessité de remplacement définitif. Le conseil de prud’hommes l’a débouté de l’ensemble de ses demandes. En appel, il sollicite la nullité, à tout le moins l’absence de cause réelle et sérieuse, ainsi que des rappels de primes, une indemnité de préavis doublée au titre du handicap, une indemnité compensatrice de congés payés et des dommages et intérêts. L’arrêt confirme le rejet des demandes relatives aux primes, valide la procédure, retient l’absence de cause réelle et sérieuse faute de motivation au niveau de l’entreprise, refuse la nullité, puis accorde un préavis doublé, une indemnité de congés payés fondée sur la réforme de 2024, et une indemnisation plafonnée par l’article L. 1235-3.
I. Le contrôle de la cause réelle et sérieuse en cas d’absence prolongée
A. Le périmètre de la désorganisation exigée
La juridiction d’appel rappelle l’exigence d’une perturbation caractérisée affectant l’entreprise, et non le seul établissement. Elle explicite les critères d’appréciation en ces termes: “Pour apprécier les perturbations alléguées , le juge tient compte notamment du nombre et de la durée des absences, de la taille de l’entreprise, de la nature des fonctions exercées par le salarié et de la spécificité du poste de travail.” La lettre de licenciement ne visait que la désorganisation de l’EHPAD. L’arrêt relève que la motivation n’était pas placée au niveau pertinent, l’employeur exploitant plusieurs établissements. La solution rejoint la jurisprudence exigeant une perturbation au niveau de l’entreprise lorsque le motif est l’absence prolongée rendant nécessaire un remplacement définitif (v. Soc., 6 juill. 2022, n° 21-10.261). L’affirmation décisive résume l’issue: “De ce seul fait le licenciement est alors dépourvu de cause réelle et sérieuse.”
Cette position conforte la fonction normative de la lettre de licenciement. L’article L. 1232-6, rappelé par la cour, fige le périmètre du litige; un motif cantonné à l’établissement ne saurait valoir pour démontrer une véritable désorganisation de l’entreprise. La solution est exigeante mais cohérente avec la logique de spécialité du motif économique de remplacement définitif lié à l’absence. Elle incite à une rédaction précise, articulant faits, périmètre et nécessité.
B. La nécessité du remplacement définitif et la preuve des perturbations
Le dossier attestait de nombreux remplacements à durée déterminée, mais leur succession ne suffisait pas à caractériser des difficultés structurelles insurmontables. L’arrêt souligne que l’emploi n’était pas qualifié, que les remplaçants ont assuré la continuité, et qu’ainsi la preuve d’une désorganisation significative, à l’échelle pertinente, faisait défaut. La cour ne se limite pas à un contrôle de pure légalité formelle. Elle exerce un contrôle de proportion sur la réalité des troubles allégués au regard des facteurs dégagés.
La clarification apportée sur la nullité mérite attention. L’arrêt énonce: “Le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse sans être pour autant nul puisque la lettre de licenciement ne vise pas l’état de santé du salarié mais uniquement la désorganisation de l’établissement qui résulte de son absence de longue durée et donc d’un critère non discriminatoire.” La distinction est nette entre cause et nullité. Elle contribue à l’intelligibilité du régime des ruptures consécutives à l’absence prolongée, où seule la référence discriminatoire emporterait nullité.
II. Les conséquences indemnitaires de l’absence de cause réelle et sérieuse
A. Préavis, ancienneté de référence et barème d’indemnisation
La cour adopte une lecture ferme du droit au préavis malgré l’arrêt pour maladie. Elle pose, par un attendu de principe, que: “Il résulte de l’article L. 1234-5 du code du travail que lorsque le licenciement, prononcé pour absence prolongée désorganisant l’entreprise et rendant nécessaire le remplacement définitif de l’intéressé, est dépourvu de cause réelle et sérieuse, le salarié peut prétendre à une indemnité de préavis nonobstant son arrêt de travail pour maladie au cours de cette période.” Le doublement du préavis est accordé au titre de l’article L. 5213-9, dans la limite de trois mois, en considération de la reconnaissance administrative du handicap. La solution, cohérente avec la jurisprudence relative aux travailleurs handicapés, renforce l’effectivité du statut protecteur.
S’agissant de l’indemnité pour licenciement injustifié, l’arrêt retient que “Les périodes de suspension du contrat de travail ne sont pas exclues pour déterminer l’ancienneté à prendre en compte pour le calcul de l’indemnité prévue à l’article L.1235-3,” puis fixe l’indemnité à 10 000 euros, dans la fourchette légale, au vu de l’âge, de l’ancienneté et de la situation d’invalidité. L’application mesurée du barème illustre un contrôle concret et motivé, conforme à la logique de “réparation appropriée” de l’article 10 de la Convention OIT n° 158. Le remboursement de deux mois d’allocations chômage est ordonné en application de l’article L. 1235-4, sans qu’il soit besoin d’insister.
B. Congés payés en maladie, primes et obligations accessoires
La cour applique la réforme issue de la loi n° 2024-364, consacrant l’acquisition de congés pendant la maladie non professionnelle. Elle décide, en reprenant le texte applicable et sa portée temporelle: “En application des dispositions de l’article L.3141-5 du code du travail issu de la loi n°2024-364 du 22 avril 2024, rétroagissant à la présente situation, le salarié peut prétendre à l’acquisition de deux jours de congés payés par mois dans la limite de 24 jours par an durant un arrêt maladie lié à un accident ou une maladie n’ayant pas un caractère professionnel.” L’indemnité compensatrice est ainsi allouée pour les droits acquis non soldés. Cette mise en conformité marque une inflexion importante du droit interne et éclaire la pratique des soldes de tout compte en contexte d’arrêts prolongés.
Le rejet des demandes relatives aux primes, en particulier l’ancienneté et la prime décentralisée, s’explique sans excès de formalisme. D’une part, l’ancienneté était intégrée dans l’assiette des indemnités journalières, excluant tout rappel autonome pendant la suspension. D’autre part, la prime décentralisée a été régularisée pour les périodes d’origine professionnelle, mais demeure abattue en cas d’absence non professionnelle, conformément au protocole social. Les obligations accessoires de remise des documents rectifiés sont ordonnées, sans astreinte, dans une logique de sécurisation des droits postérieurs à la rupture.
En définitive, l’arrêt articule rigoureusement le contrôle du motif d’absence prolongée autour du périmètre de l’entreprise et de la preuve des perturbations, puis déploie des conséquences indemnitaires précises, intégrant le double préavis et la réforme des congés payés, dans le respect du barème d’indemnisation.