Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 5 septembre 2025, n°21/09472

Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 5 septembre 2025: un salarié, embauché en 1991 et devenu responsable d’un centre de formation, est licencié pour faute grave en 2019. L’employeur lui reproche d’avoir ordonné l’usage d’un équipement non conforme malgré une interdiction, puis d’avoir nié cette consigne devant la direction. Par jugement du 11 juin 2021, le conseil de prud’hommes avait écarté la faute grave et retenu l’absence de cause réelle et sérieuse, allouant plusieurs indemnités. En appel, l’employeur sollicite l’infirmation et la reconnaissance de la faute grave; le salarié demande la confirmation du jugement et la fixation de sommes plus élevées, incluant une prime 2019. La juridiction d’appel tranche deux points: l’acquisition d’une prime annuelle d’objectifs en cas de départ en cours d’année, et la caractérisation d’une faute grave en matière de sécurité, au regard des exigences probatoires et du délai restreint.

I. Le sens de la décision

A. La prime d’objectifs et l’exigence d’achèvement annuel
La décision retient une lecture stricte de la clause d’acquisition de la prime variable. Elle relève que « la cour retient que le contrat de travail subordonnait le versement de la prime en cause à la condition qu’au terme de l’année civile le salarié ait atteint les objectifs fixés, et que le droit à perception de la prime n’était définitivement acquis qu’à la fin de l’année ». Le départ en octobre fait obstacle à toute créance, même partielle, en l’absence d’usage ou de stipulation contraire. La juridiction en déduit que « le salarié […] ne peut […] prétendre à un versement ni total ni prorata temporis de la prime en cause ». La solution s’enracine dans la nature annuelle du critère d’atteinte et dans la date d’exigibilité contractuelle, sans condition de présence distincte, mais avec un fait générateur fixé au 31 décembre.

Ce faisant, la cour privilégie la cohérence du cycle de performance et la lisibilité du régime d’acquisition. Elle ferme corrélativement la voie du prorata, faute de base textuelle ou d’usage, et déboute le salarié « de ce chef de demande ». La règle d’espèce procède d’une stricte corrélation entre période de référence, évaluation des objectifs et exigibilité, conçues comme un tout indivisible.

B. La faute grave, entre sécurité et délai restreint
La cour rappelle les standards probatoires et temporels applicables. Elle énonce: « Il appartient à l’employeur qui a entendu fonder une mesure de licenciement sur une faute grave de rapporter la preuve des faits énoncés à la lettre de licenciement ». Elle précise encore: « La faute grave étant celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, la mise en œuvre de la procédure […] doit intervenir dans un délai restreint […] dès lors qu’aucune vérification n’est nécessaire ». Ayant constaté des dénégations, la juridiction admet la nécessité d’investigations et considère la convocation comme intervenue « dans le délai restreint exigé en cas d’invocation d’une faute grave ».

Sur le fond, l’arrêt retient la preuve d’une injonction écrite d’utiliser l’équipement immobilisé. Il énonce que « l’employeur établit suffisamment que le salarié a bien donné instruction écrite d’utiliser le chariot qu’il savait immobilisé pour des raisons de sécurité ». Le manquement présente une gravité maximale au regard de la prévention des risques. La juridiction souligne: « En agissant ainsi, le salarié a mis en danger ses collaborateurs et ainsi la gravité de sa faute s’opposait à son maintien dans l’entreprise, même durant le délai de préavis ». Enfin, le caractère mensonger des dénégations aggrave la rupture de confiance; d’où la conclusion: « En conséquence, le licenciement apparaît bien fondé sur une faute grave ».

II. La valeur et la portée

A. Une gestion exigeante des primes variables
La solution affirme une conception exigeante de la condition d’acquisition annuelle. Elle conforte les clauses qui rattachent le droit à rémunération variable à une date d’évaluation unique, au terme du cycle de performance. L’approche favorise la prévisibilité contractuelle, dès lors que l’élément variable est indexé sur des objectifs appréciés globalement à l’issue de l’exercice. Elle marginalise le prorata en l’absence d’usage établi ou de stipulation expresse, et conforte l’idée d’un fait générateur unique, distinct de la seule présence.

Ce choix n’est pas exempt de débats. Lorsqu’une part variable rémunère un travail effectivement accompli, une fractionnement temporel peut sembler équitable. Toutefois, l’arrêt souligne la centralité du mécanisme d’atteinte annuelle, indissociable de l’exigibilité. La portée pratique est claire: la rédaction des clauses d’objectifs doit préciser le fait générateur, l’échéance et l’absence de proratisation, afin d’éviter toute ambiguïté lors d’un départ en cours d’année.

B. Sécurité au travail et loyauté managériale renforcées
L’arrêt confère une place déterminante à la sécurité et à la loyauté managériale. L’injonction de recourir à un matériel déclaré non conforme caractérise un risque immédiat pour les personnes. La cour insiste sur l’impossibilité de maintenir le salarié, et retient que « la gravité de sa faute s’opposait à son maintien dans l’entreprise, même durant le délai de préavis ». Elle relève encore que la faute « touch[ait] à la sécurité des personnes » et tenait « au caractère mensonger de ses dénégations », ce qui parachève la rupture du lien de confiance.

La portée normative est nette. La responsabilité d’encadrement emporte une vigilance accrue en matière de consignes de sécurité et de traçabilité des instructions. Le contrôle du délai restreint demeure pragmatique: la vérification consécutive à des dénégations est admise, pourvu que la réaction intervienne sans inertie fautive. La combinaison du risque humain et du défaut de loyauté justifie la faute grave, malgré une forte ancienneté et un passé disciplinaire vierge, signalant une ligne jurisprudentielle ferme en matière de prévention.

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Hassan KOHEN
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