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La création d’entreprise par un salarié en cours de contrat soulève des difficultés lorsqu’elle interfère avec l’activité de l’employeur. L’articulation entre le droit à l’entrepreneuriat et l’obligation de loyauté constitue une source récurrente de contentieux.
La cour d’appel d’Aix-en-Provence, par un arrêt du 5 septembre 2025, a eu à connaître d’un litige opposant un salarié à son employeur, société spécialisée dans le domaine naval de défense. Un ingénieur, responsable des systèmes énergie, propulsion et servitudes, avait été embauché le 1er mars 2004. Le 18 mai 2017, il immatriculait avec un collègue une société ayant pour objet le conseil et l’expertise de moteurs thermiques terrestres et navals ainsi que des lignes propulsives navales. Le 11 juillet 2017, il sollicitait un congé pour création d’entreprise en indiquant que l’activité porterait sur « le conseil et l’expertise des moteurs thermiques », sans mentionner le secteur naval de défense. L’employeur acceptait cette demande par lettre du 7 août 2017. En mars 2018, l’employeur découvrait que l’objet social de la société créée incluait les moteurs navals et les lignes propulsives navales, et que les associés avaient prospecté la société STX, concurrente directe.
Le salarié était licencié pour faute grave le 5 juillet 2018. Il contestait son licenciement devant le conseil de prud’hommes de Toulon qui, par jugement du 27 mai 2021, jugeait le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamnait l’employeur au paiement de diverses indemnités. Le salarié interjetait appel pour obtenir des dommages et intérêts plus élevés. L’employeur formait appel incident pour voir reconnaître le bien-fondé du licenciement pour faute grave.
Le salarié soutenait avoir informé l’employeur de son projet complet, n’avoir réalisé aucune mission pour le concurrent au vu du refus de l’employeur, et n’avoir ainsi commis aucune faute. L’employeur faisait valoir que son consentement avait été surpris par une rétention d’information sur l’objet réel de la société créée et sur son immatriculation antérieure à la demande de congé.
La question posée à la cour était de savoir si un salarié qui sollicite un congé pour création d’entreprise en dissimulant partiellement l’objet de son activité future, notamment son caractère concurrent, commet une faute grave justifiant son licenciement.
La cour d’appel d’Aix-en-Provence infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions. Elle retient que « le salarié a manqué à ses obligations contractuelles en immatriculant une société devant débuter son activité au 1er juin 2017 sans autorisation préalable et écrite de son employeur, qu’il a manqué à son devoir de loyauté en ne précisant pas à ce dernier qu’il prospecterait dans le domaine de la défense navale et enfin qu’il a exercé un acte de concurrence déloyale en offrant ses services » à un concurrent direct. Elle juge que « compte tenu des fonctions d’expertise exercées par le salarié, la gravité de sa faute rendait impossible son maintien dans l’entreprise ».
Cet arrêt illustre la rigueur avec laquelle les juridictions apprécient le manquement à l’obligation de loyauté dans le cadre d’un congé pour création d’entreprise (I), tout en révélant l’importance de la transparence du salarié quant à l’objet de son projet entrepreneurial (II).
I. La caractérisation d’une faute grave fondée sur le manquement à l’obligation de loyauté
La cour retient une triple violation des obligations contractuelles (A) avant d’en déduire l’impossibilité de maintenir le salarié dans l’entreprise (B).
A. Une triple violation des obligations contractuelles
La cour identifie trois manquements distincts imputables au salarié. Elle relève d’abord qu’il a « immatriculé une société devant débuter son activité au 1er juin 2017 sans autorisation préalable et écrite de son employeur ». Cette constatation est significative car le contrat de travail stipulait que « l’exercice de toute autre activité professionnelle, soit pour son compte, soit pour le compte d’un tiers, est subordonnée à une autorisation préalable et écrite ». Le salarié avait donc créé sa société avant même de solliciter le congé pour création d’entreprise, en violation de cette clause.
La cour retient ensuite que le salarié « a manqué à son devoir de loyauté en ne précisant pas à ce dernier qu’il prospecterait dans le domaine de la défense navale ». Cette dissimulation est d’autant plus caractérisée que les témoignages produits établissent que le salarié avait été expressément alerté sur l’impossibilité d’exercer une activité concurrente dans le naval de défense. Une salariée attestait ainsi « les avoir alertés sur le fait qu’ils ne pouvaient pas envisager d’avoir une activité concurrente à celle de leur employeur ».
Enfin, la cour constate que le salarié « a exercé un acte de concurrence déloyale en offrant ses services » à un concurrent direct. Cette qualification découle de la prospection effectuée auprès de la société STX, dont le caractère problématique était reconnu par le salarié lui-même lors de l’entretien préalable puisqu’il admettait que « STX c’est pas légal ».
B. L’impossibilité du maintien dans l’entreprise
La qualification de faute grave suppose que les manquements retenus rendent impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. La cour y procède en relevant que « compte tenu des fonctions d’expertise exercées par le salarié, la gravité de sa faute rendait impossible son maintien dans l’entreprise ».
Cette appréciation tient compte de la nature des fonctions exercées. Le salarié occupait un poste de responsable des systèmes énergie, propulsion et servitudes sur les programmes de bâtiments de surface de la marine nationale. Son expertise technique dans un domaine stratégique rendait particulièrement grave le fait de créer une société susceptible d’intervenir pour des concurrents directs.
La cour nuance toutefois son appréciation en relevant que « l’employeur n’a pas subi de préjudice de concurrence déloyale dès lors que le salarié a respecté son refus concernant toute collaboration » avec le concurrent. Cette observation démontre que la faute grave ne repose pas sur un préjudice effectif mais sur la rupture de la confiance indispensable à la poursuite de la relation de travail.
L’exigence de transparence dans la demande de congé pour création d’entreprise apparaît ainsi comme un élément déterminant de la validité du consentement de l’employeur.
II. L’exigence de transparence conditionnant la validité du congé pour création d’entreprise
Le vice du consentement de l’employeur justifie le licenciement (A), tandis que le rejet de la demande reconventionnelle confirme la licéité du comportement patronal (B).
A. Le vice du consentement de l’employeur
La cour retient que « le consentement à un congé partiel pour création d’entreprise a été effectivement surpris par la rétention d’information démontrée par l’employeur ». Cette formulation emprunte à la théorie des vices du consentement en droit des contrats.
Le salarié avait présenté son projet comme portant sur « le conseil et l’expertise des moteurs thermiques » alors que l’objet social de sa société mentionnait « le conseil et expertises de moteurs thermiques, terrestres et navals, ainsi que des lignes propulsives navales ». Cette omission n’était pas anodine puisqu’elle masquait précisément le caractère concurrent de l’activité envisagée.
La cour souligne l’importance de cette dissimulation en relevant que le courrier de l’associé à l’employeur indiquait souhaiter « m’assurer avant même de contractualiser quoique ce soit […] que vous n’y voyez pas d’objections particulières sans quoi la viabilité de ma société risque d’être compromise ». Cette formulation démontrait que l’activité dans le naval de défense n’était pas périphérique mais constituait un élément essentiel du projet entrepreneurial.
L’employeur avait accordé le congé « sans lever d’extrait Kbis, pensant que la société n’était pas encore créée ». Cette confiance a été trompée par le salarié qui avait immatriculé sa société deux mois avant de solliciter le congé. La cour sanctionne ainsi le comportement déloyal consistant à présenter une demande comme prospective alors que le projet était déjà réalisé.
B. Le rejet de la demande reconventionnelle pour exécution déloyale
Le salarié reprochait à l’employeur de l’avoir « autorisé à exercer au sein de son entreprise sans aucune réserve pour le licencier pour faute grave quelques mois plus tard ». Cette argumentation est écartée par la cour.
Elle relève que « l’employeur n’a pas donné d’accord inconditionnel mais uniquement concernant le conseil et l’expertise en moteur thermique ». L’autorisation était donc limitée à l’objet déclaré par le salarié dans sa demande. Ce dernier ne pouvait se prévaloir d’un accord couvrant une activité qu’il avait dissimulée.
La cour ajoute que le salarié « avait précisé dans sa demande qu’il s’engageait conformément aux clauses de son contrat à respecter ses obligations de loyauté ». Cet engagement n’a pas été tenu dès lors que le salarié a prospecté dans un secteur concurrent. L’employeur était donc fondé à se prévaloir de la violation de cet engagement.
En conséquence, « l’employeur n’a pas exécuté de manière déloyale le contrat de travail en accordant un congé partiel pour création d’entreprise à compter du 1er janvier 2018 puis en licenciant pour faute grave le salarié le 5 juillet 2018 ». La chronologie des événements ne traduit pas une déloyauté patronale mais la découverte progressive d’une dissimulation imputable au seul salarié.
Cet arrêt rappelle que le congé pour création d’entreprise, s’il constitue un droit pour le salarié, n’exonère pas ce dernier de ses obligations de loyauté et de transparence envers son employeur.