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Rendue par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence le 5 septembre 2025, la décision tranche l’appel du jugement du Conseil de prud’hommes de Fréjus du 8 juin 2021. La salariée, comptable depuis 2008, se plaignait d’une dégradation des conditions de travail, signalée à la médecine du travail, précédant une inaptitude puis un licenciement. L’employeur contestait toute faute et soutenait un désengagement professionnel, tandis que la salariée invoquait harcèlement moral et manquement à l’obligation de sécurité. La cour devait dire si des agissements répétés caractérisaient un harcèlement, si l’obligation de sécurité avait été violée, et si l’inaptitude commandait la nullité de la rupture. Elle reconnaît le harcèlement moral, constate un manquement de sécurité, déclare la rupture nulle et fixe des réparations tout en écartant plusieurs demandes accessoires.
I. La qualification de harcèlement et la prévention défaillante
A. Le régime probatoire et sa mise en œuvre
Le cadre légal est rappelé avec précision. La cour cite l’article L.1154-1 et retient que « il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail ». La méthode est ensuite complétée par l’étape de réfutation: « Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ».
Appliquant ce schéma, la juridiction retient que la salariée rapporte des éléments circonstanciés, corroborés par des attestations et des données médicales. Elle affirme que « la salariée présente ainsi des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral ». L’employeur n’apporte pas la preuve d’une généralisation des pratiques de pilotage par notes écrites, ni celle d’un changement d’investissement justifiant un contrôle renforcé. L’isolement rapporté n’est pas contredit, malgré l’alerte du service de santé au travail, ce qui éclaire l’analyse d’ensemble.
B. Les agissements retenus et la carence de l’employeur
La cour qualifie les faits en des termes dépourvus d’ambiguïté: « Ainsi, il apparaît qu’il s’est rendu coupable d’agissements répétés de harcèlement qui ont pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible d’altérer la santé mentale de la salariée et de compromettre son avenir professionnel ». Le faisceau inclut une communication dépersonnalisée et un reporting intrusif, des modifications d’organisation non justifiées, un isolement persistant, et l’inaction malgré les alertes sur les risques psychosociaux.
Le constat s’articule avec l’obligation de sécurité. La cour relève que « l’employeur, qui n’a pas pris en compte les demandes précises de la médecine du travail […] n’a pas respecté son obligation de santé et de sécurité au travail ». L’absence de document unique d’évaluation des risques et l’inopportune sollicitation de données médicales auprès des soignants aggravent l’appréciation. L’allocation de 5 000 euros pour harcèlement et manquement préventif répond à la durée, à la nature des atteintes et au retentissement constaté.
II. Les effets de la nullité et le régime des réparations
A. Le lien causal entre harcèlement et inaptitude
La cour situe clairement le périmètre de la nullité. Elle rappelle que « le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité […] n’est pas de nature à justifier la nullité du licenciement (Soc. 14 février 2024, n°22-21.464) ». Elle souligne, en sens inverse, que « par contre, le licenciement pour inaptitude est nul dès lors qu’il est la conséquence d’agissements de harcèlement moral (Soc. 1er février 2023, n° 21-24.652) ».
Les éléments médicaux et l’avis d’inaptitude avec dispense de reclassement établissent la causalité. La juridiction retient que l’inaptitude découle des agissements de harcèlement, ce qui emporte la sanction la plus forte. Elle énonce sans détour: « En conséquence, son licenciement est nul ». L’alignement sur la jurisprudence de la chambre sociale confirme la cohérence du raisonnement, qui distingue nettement prévention insuffisante et inaptitude causée par le harcèlement.
B. L’étendue de la réparation et les demandes accessoires
La cour accorde dix mois de salaire brut pour la nullité, appréciés au regard de l’âge, de l’ancienneté et de la période de chômage justifiée. Elle ajoute le complément d’indemnité de licenciement sollicité. Elle alloue l’indemnité compensatrice de préavis de trois mois et les congés payés afférents, la nullité redonnant sa place à cette créance salariale. Les frais irrépétibles sont accordés, les dépens mis à la charge de l’employeur, et la délivrance d’une attestation rectifiée est ordonnée sans astreinte.
À l’inverse, les demandes relatives à l’attestation destinée à l’assurance chômage et à la portabilité de la prévoyance sont rejetées faute de preuve d’un dommage. La motivation est nette: « Mais la salariée ne justifie pas avoir subi un préjudice en relation avec ces faits ». Elle est réitérée pour la prévoyance: « La cour retient que la salariée ne justifie pas du préjudice ». La solution rappelle l’exigence constante d’un préjudice certain et démontré pour ouvrir droit à réparation, même en présence d’une irrégularité alléguée.
En définitive, la décision articule de manière convaincante le régime probatoire du harcèlement, la portée de l’obligation de sécurité et la sanction de la nullité lorsque l’inaptitude en procède directement. L’économie des réparations confirme une approche proportionnée, ferme sur la causalité et rigoureuse sur la preuve du préjudice.