- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
Par un arrêt au fond du 5 septembre 2025, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a infirmé une décision prud’homale relative à la qualité de salarié d’un collaborateur d’une entreprise familiale placée en liquidation. La question soumise tenait à la preuve du lien de subordination en présence d’un contrat apparent, sur fond de liens familiaux, de participation minoritaire au capital et d’indices de direction de fait allégués. La société avait connu un redressement judiciaire en 2014, un plan de continuation en 2015, puis une conversion en liquidation le 7 octobre 2019, suivie d’un licenciement économique notifié le 21 octobre 2019. L’intéressé produisait un contrat écrit conclu en 2002, un avenant en 2006 lui conférant le statut cadre, des bulletins d’octobre 2018 à août 2019 pour un emploi de directeur, et plusieurs attestations concordantes sur ses fonctions opérationnelles. Saisi le 9 septembre 2020, le Conseil de prud’hommes de Fréjus, le 11 juin 2021, avait retenu une direction de fait et exclu tout lien de subordination, rejetant l’ensemble des demandes indemnitaires ainsi que la garantie de l’organisme de protection dans les limites légales. L’appel a été relevé le 7 juillet 2021. La cour d’appel reconnaît finalement la qualité de salarié, fixe des rappels de salaire, une indemnité de préavis et une indemnité de licenciement, ordonne la remise des documents de fin de contrat et écarte les dommages et intérêts pour résistance abusive.
La difficulté juridique se concentrait sur l’articulation entre l’apparence d’un contrat de travail et la charge de la preuve de sa fictivité, spécialement lorsque des indices de direction de fait sont invoqués contre un collaborateur apparent issu de la famille du dirigeant. La juridiction d’appel tranche en rappelant la présomption qui découle du contrat apparent et des bulletins, et en appréciant strictement les éléments avancés pour neutraliser le lien de subordination. Elle statue ensuite sur les conséquences indemnitaires en procédure collective et les limites de la garantie légale.
I. La reconnaissance du contrat apparent et la charge de la preuve
A. L’apparence contractuelle et la présomption de salariat
La cour rappelle d’abord la règle probatoire applicable au contrat apparent. Elle énonce que « l’apparence d’un contrat de travail se déduit d’un examen de fait. Elle peut découler d’un élément déterminant ou d’un faisceau d’indices. En cas de contrat de travail apparent, il appartient à celui qui invoque son caractère fictif d’en apporter la preuve. En l’absence d’écrit ou d’apparence de contrat, il appartient à celui qui invoque un contrat de travail d’en rapporter la preuve ». La formulation consacre une présomption factuelle robuste en présence d’écrits significatifs et de bulletins, sans exclure l’appréciation globale des indices.
En l’espèce, l’intéressé versait un contrat initial, un avenant conférant le statut cadre, des bulletins récents cohérents avec un emploi de direction, et des témoignages circonstanciés sur ses fonctions de conducteur de travaux et de représentant aux réunions de chantier. Ces éléments établissaient une apparence significative et stable, suffisante pour déplacer la charge de la preuve vers ceux qui contestaient l’existence du lien de subordination. L’analyse s’inscrit dans une ligne constante, attentive au document écrit et au flux de paie, sans s’arrêter aux dénominations fonctionnelles.
B. L’inopérance des indices de direction de fait invoqués
La cour écarte ensuite, de manière circonstanciée, les éléments avancés pour qualifier une direction de fait. Elle retient que « la combinaison de la filiation de l’appelant, de ses mandats sociaux dans deux autres sociétés, des mentions portées sur une page LINKEDIN ainsi que de son consentement à des retards de paiement de salaires ou de congés payés alors que l’entreprise familiale rencontrait des difficultés économiques, ne permettent pas de rapporter la preuve que l’appelant en était dirigeant de fait et qu’ainsi il se trouvait dégagé du lien de subordination que laisse présumer le contrat de travail tout autant que les 7 témoignages précités ».
Le raisonnement est net. La parenté avec le dirigeant ne suffit pas, pas plus qu’une participation minoritaire au capital, des mandats extérieurs ou des déclarations publiques imprécises. L’acceptation de retards de rémunération, dans un contexte économique dégradé, ne caractérise pas une autonomie décisive sur la gestion. Faute d’actes positifs de direction effective et d’indications d’indépendance décisionnelle, la subordination présumée par l’apparence contractuelle demeure. La solution confirme une méthode exigeante, évitant l’assimilation trop rapide entre implication familiale et direction de fait.
II. La portée indemnitaire de la reconnaissance et ses limites
A. La fixation des créances salariales et accessoires en procédure collective
La reconnaissance du salariat conduit à fixer les créances au passif. La cour calcule précisément le rappel de salaire et les accessoires, retenant que « la créance de salaire de l’appelant se monte à la somme de 15 mois × 5 243,73 € = 78 655,95 € bruts outre la somme de 7 865,60 € bruts au titre des congés payés y afférents ». La méthode, purement arithmétique, s’appuie sur le salaire de base et la durée retenue, après analyse des mouvements de compte et des acomptes allégués.
S’agissant du préavis, la cour accorde une indemnité égale à trois mois, au regard de la convention collective applicable, en retenant que « il sera alloué au salarié la somme de 15 731,19 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis de trois mois ». L’indemnité de licenciement est ensuite fixée « à la somme de 40 366,23 € », selon un calcul détaillé et transparent : « 5 243,73 € × 3/10 × 10 ans = 15 731,19 € ; 5 243,73 € × 6/10 × 7,83 (7 ans et 10 mois) = 24 635,04 € ». La juridiction ordonne encore la remise des documents de fin de contrat, acte corrélatif à la reconnaissance du statut, et précise que l’organisme de garantie avancera, dans les limites légales, les sommes fixées sur présentation du relevé par le mandataire.
B. Le rejet de l’abus et l’économie du procès
Sur l’abus du droit d’ester, l’appréciation est sobre et maîtrisée. La cour juge que « il n’apparaît pas que les intimés aient laissé leur liberté de défendre en justice dégénérer en abus ». La demande de dommages et intérêts pour résistance abusive est donc rejetée, ce qui préserve un véritable droit de discussion dans une affaire techniquement contestable.
L’économie du procès est préservée par l’allocation d’une somme modérée au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel, et par la mise à la charge de la liquidation des dépens. La combinaison de ces décisions équilibre l’indemnisation du salarié et la discipline procédurale, sans sursanctionner la partie qui a échoué au fond. L’ensemble dessine une portée claire : la qualification salariale, lorsqu’elle repose sur un contrat apparent et un flux de paie probant, résiste aux indices faibles de direction de fait ; les conséquences indemnitaires suivent, sous contrôle des plafonds légaux et des règles propres aux entreprises en procédure collective.
Ainsi, l’arrêt précise utilement les exigences probatoires en matière de direction de fait opposée à un contrat apparent, et confirme une ligne de protection mesurée du salariat en contexte familial et de défaillance d’entreprise, sans excès répressif sur le terrain de l’abus.