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La cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans un arrêt du 5 septembre 2025, se prononce sur le licenciement pour faute grave d’un salarié boucher accusé notamment de harcèlement moral et sexuel ainsi que de manquements graves aux règles d’hygiène.
Un salarié avait été engagé le 1er août 2016 en qualité d’ouvrier professionnel de production au rayon boucherie d’un supermarché. Le 31 mai 2018, il recevait un rappel à l’ordre pour une réflexion blessante adressée à une cliente. Le 10 août 2019, une collègue adressait à l’employeur un courrier circonstancié dénonçant des avances sexuelles répétées de ce salarié, un harcèlement moral subi depuis plusieurs mois ainsi que diverses pratiques contraires aux règles d’hygiène au sein du laboratoire boucherie, parmi lesquelles l’utilisation de la plonge comme urinoir par plusieurs employés dont l’intéressé. Suite à une enquête interne menée avec le concours du comité social et économique, deux autres salariés étaient licenciés pour faute grave en septembre 2019. Le salarié concerné, en arrêt de travail pour accident du travail depuis le 20 septembre 2019, était convoqué à un entretien préalable le 10 octobre 2019 puis licencié pour faute grave le 22 octobre 2019.
Contestant son licenciement, le salarié saisissait le conseil de prud’hommes de Fréjus qui, par jugement du 10 juin 2021, retenait que le licenciement était justifié par une faute grave et le déboutait de l’ensemble de ses demandes. L’intéressé interjetait appel de cette décision, soutenant principalement que les témoignages produits par l’employeur étaient insuffisamment précis et que la procédure disciplinaire n’avait pas été engagée dans un délai restreint.
Il appartenait dès lors à la cour de déterminer si les éléments de preuve rapportés par l’employeur étaient suffisants pour établir les faits reprochés au salarié et si ces faits, à les supposer établis, constituaient une faute grave justifiant le licenciement d’un salarié pendant une période de suspension de son contrat de travail pour accident du travail.
La cour d’appel d’Aix-en-Provence confirme le jugement en toutes ses dispositions. Elle retient que « le témoignage de Mme [A] [PZ] est parfaitement circonstancié et en particulier détaille la chronologie du harcèlement dont elle a été victime ». Elle relève que les témoignages des deux autres bouchers, « s’ils ne précisent pas les dates des faits qu’ils rapportent, sont concordants tous deux avec la lettre déjà reproduite » de la salariée victime. Elle observe enfin que les attestations produites par le salarié licencié, émanant de clients satisfaits de ses qualités professionnelles, « ne démentent aucune des accusations précises figurant à la lettre portant précision des motifs du licenciement ».
La décision rendue par la cour d’appel d’Aix-en-Provence mérite attention tant sur la question de l’appréciation des preuves du harcèlement moral et sexuel en milieu professionnel (I) que sur celle de l’articulation entre protection du salarié victime d’un accident du travail et pouvoir disciplinaire de l’employeur (II).
I. L’appréciation souveraine des preuves du harcèlement en milieu professionnel
La cour d’appel procède à une évaluation minutieuse de la valeur probante des témoignages produits (A) tout en écartant les attestations de complaisance versées par le salarié licencié (B).
A. La force probante reconnue au témoignage circonstancié de la victime
La cour retient que « le témoignage de Mme [A] [PZ] est parfaitement circonstancié et en particulier détaille la chronologie du harcèlement dont elle a été victime ». Cette formulation souligne l’importance accordée par les juges du fond à la précision du récit de la victime présumée. Le courrier du 10 août 2019 reproduit in extenso dans l’arrêt décrit avec une grande minutie les avances sexuelles subies, les propositions explicites formulées par le salarié licencié ainsi que le comportement agressif qui s’était ensuivi après le refus de l’intéressée.
La Cour de cassation reconnaît de longue date que le juge du fond apprécie souverainement la valeur des témoignages produits. En matière de harcèlement, cette appréciation revêt une importance particulière dès lors que les agissements en cause se déroulent fréquemment sans témoin direct. La chambre sociale admet ainsi que le témoignage de la victime, corroboré par des éléments concordants, puisse suffire à établir les faits allégués.
La cour d’appel d’Aix-en-Provence s’inscrit dans cette jurisprudence en relevant que les témoignages des deux autres bouchers, « s’ils ne précisent pas les dates des faits qu’ils rapportent, sont concordants tous deux avec la lettre déjà reproduite ». Cette concordance entre les différentes sources de preuve permet de retenir la matérialité des faits reprochés sans exiger une datation précise de chaque incident. La solution paraît conforme au mécanisme probatoire applicable en matière de harcèlement moral et sexuel, lequel repose sur un faisceau d’indices convergents plutôt que sur une preuve directe de chaque agissement.
B. L’inefficacité des attestations de complaisance produites par le salarié
Le salarié licencié avait versé aux débats de nombreuses attestations émanant de clients et d’anciens collègues vantant son professionnalisme, sa bonne humeur et son respect envers la clientèle. La cour écarte ces témoignages par une formule lapidaire : ils « ne démentent aucune des accusations précises figurant à la lettre portant précision des motifs du licenciement ».
Cette motivation met en lumière la distinction fondamentale entre attestations de moralité et preuves pertinentes. Les témoignages produits par le salarié portaient exclusivement sur ses qualités professionnelles perçues par la clientèle. Ils ne pouvaient utilement contredire des accusations relatives à des comportements survenus dans le laboratoire boucherie, hors de la vue des clients, ou concernant le harcèlement exercé sur une collègue.
La cour applique ainsi le principe selon lequel la charge de la preuve contraire pèse sur celui qui conteste les faits allégués à son encontre. Le salarié ne pouvait se borner à établir qu’il donnait satisfaction aux clients. Il lui appartenait de réfuter point par point les accusations formulées, ce qu’il n’a pas fait. La solution retenue rappelle que la réputation d’un salarié ne constitue pas une cause d’exonération de sa responsabilité disciplinaire lorsque des faits précis et circonstanciés lui sont reprochés.
II. L’articulation entre protection du salarié accidenté et pouvoir disciplinaire de l’employeur
L’arrêt illustre les conditions dans lesquelles un employeur peut procéder au licenciement d’un salarié dont le contrat de travail est suspendu pour accident du travail (A) tout en exigeant le respect d’un délai restreint dans l’engagement de la procédure disciplinaire (B).
A. La faute grave comme exception à la protection du salarié accidenté
L’article L. 1226-9 du code du travail dispose que l’employeur ne peut rompre le contrat de travail d’un salarié victime d’un accident du travail que s’il justifie « soit d’une faute grave de l’intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’accident ou à la maladie ». Le salarié licencié soutenait que son licenciement, intervenu pendant son arrêt de travail, était nul.
La cour d’appel rejette cette argumentation en retenant que « le licenciement, prononcé durant un arrêt pour accident de travail, repose bien sur une faute grave et n’encourt dès lors pas la nullité ». Cette formulation confirme que la protection offerte par l’article L. 1226-9 n’est pas absolue. Elle cède devant la démonstration d’une faute grave, définie par la jurisprudence comme le fait ou l’ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.
Les manquements reprochés au salarié présentaient incontestablement ce caractère de gravité. Le harcèlement moral et sexuel exercé sur une collègue pendant plusieurs années, les atteintes répétées aux règles d’hygiène dans un laboratoire de préparation alimentaire et le dénigrement des collègues devant la clientèle constituaient des violations majeures des obligations contractuelles. La circonstance que le salarié se trouvait en arrêt de travail au moment de l’engagement de la procédure ne pouvait faire obstacle à son licenciement dès lors que les faits étaient établis et suffisamment graves.
B. L’exigence d’un délai restreint dans l’engagement de l’action disciplinaire
Le salarié reprochait à l’employeur de ne pas avoir engagé la procédure disciplinaire dans un délai restreint alors qu’il avait connaissance des accusations depuis le courrier du 10 août 2019. La convocation à entretien préalable n’était intervenue que le 10 octobre 2019, soit deux mois plus tard.
La cour écarte ce moyen en relevant que « l’employeur justifie qu’il a procédé à une enquête concernant les faits dénoncés avec le concours du CSE ce qui a conduit au licenciement des deux autres salariés impliqués ainsi qu’à l’engagement de la procédure de licenciement ». Elle retient que « l’employeur a bien agi dans un délai restreint à partir du moment où il a pu se convaincre de la réalité des accusations portées ».
Cette motivation s’inscrit dans la jurisprudence constante de la chambre sociale selon laquelle le délai restreint prévu à l’article L. 1332-4 du code du travail court à compter du jour où l’employeur a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés au salarié. La nécessité de mener une enquête interne, en particulier lorsque les faits dénoncés impliquent plusieurs salariés, justifie un délai de réaction plus long.
L’employeur avait agi avec diligence en associant le comité social et économique à son enquête, conformément aux dispositions de l’article L. 2312-59 du code du travail. Le licenciement successif des trois salariés mis en cause témoigne d’une approche méthodique destinée à établir la part de responsabilité de chacun. La solution retenue par la cour d’appel d’Aix-en-Provence conforte ainsi la pratique des employeurs consistant à diligenter une enquête approfondie avant de prononcer des sanctions disciplinaires, même lorsque les accusations initiales paraissent suffisamment circonstanciées.