- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
La question du manquement de l’employeur à ses obligations en matière de visite médicale de reprise et de maintien du lien contractuel avec un salarié en arrêt prolongé constitue un contentieux récurrent devant les juridictions prud’homales. La cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans un arrêt du 5 septembre 2025, apporte des précisions utiles sur les conditions de la résiliation judiciaire du contrat de travail et sur l’appréciation des manquements de l’employeur.
Une salariée avait été embauchée en qualité d’assistante dentaire par contrat de professionnalisation le 1er septembre 2008, puis par contrat à durée indéterminée à compter du 1er mars 2010. Elle fut placée en arrêt maladie à compter du 14 novembre 2016 et ne reprit jamais son poste. Le 1er août 2018, elle fut classée en invalidité de deuxième catégorie. Par courrier du 1er octobre 2018, elle reprochait à son employeur plusieurs manquements : absence d’organisation de la visite de reprise malgré l’information de son placement en invalidité, défaut de transmission des documents nécessaires à l’organisme de prévoyance, absence de réponse à ses demandes de duplicata de bulletins de paie et retard dans le versement des compléments de salaire.
En première instance, la salariée saisit le conseil de prud’hommes de Toulon le 11 juin 2019 aux fins de résiliation judiciaire du contrat de travail. Elle fut licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 12 novembre 2019. Le conseil de prud’hommes, par jugement du 18 juin 2021, la débouta de sa demande de résiliation judiciaire et de l’ensemble de ses prétentions indemnitaires, tout en ordonnant la remise des bulletins de paie sous astreinte.
La salariée interjeta appel. Elle soutenait que le défaut d’organisation de la visite de reprise durant plus d’un an après son placement en invalidité, combiné aux autres manquements de l’employeur, justifiait la résiliation judiciaire du contrat aux torts de ce dernier. L’employeur faisait valoir qu’il avait régularisé la situation avant l’audience et que les manquements allégués ne caractérisaient pas une faute suffisamment grave.
La cour d’appel d’Aix-en-Provence devait déterminer si les manquements reprochés à l’employeur, notamment le retard dans l’organisation de la visite médicale de reprise et les négligences administratives, étaient de nature à justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur.
La cour confirme le jugement et déboute la salariée de sa demande de résiliation judiciaire. Elle retient que les manquements de l’employeur, pour certains régularisés, ne présentaient pas un caractère de gravité suffisant pour empêcher la poursuite du contrat de travail.
L’examen de cette décision conduit à analyser successivement les conditions d’appréciation des manquements de l’employeur à ses obligations légales (I), puis les conséquences de cette appréciation sur le régime de la résiliation judiciaire (II).
I. L’appréciation circonstanciée des manquements de l’employeur
L’arrêt illustre la méthode d’évaluation des obligations patronales en matière de suivi médical du salarié absent (A), avant d’examiner la prise en compte des régularisations intervenues en cours d’instance (B).
A. L’obligation d’organiser la visite médicale de reprise
L’article R. 4624-31 du code du travail impose à l’employeur d’organiser une visite de reprise après une absence pour maladie d’au moins trente jours. Cette obligation existe dès lors que le salarié manifeste sa volonté de reprendre le travail ou que l’employeur est informé de la fin de la suspension du contrat. La salariée invoquait avoir informé son employeur de son placement en invalidité le 9 août 2018, ce qui aurait dû déclencher l’organisation d’une visite de reprise dans les meilleurs délais.
La cour retient néanmoins que ce manquement, bien que caractérisé, ne présente pas le degré de gravité exigé pour justifier la résiliation judiciaire. Cette position s’inscrit dans une jurisprudence nuancée de la Cour de cassation qui distingue selon les circonstances de l’espèce. Un retard dans l’organisation de la visite de reprise ne suffit pas toujours à caractériser un manquement d’une gravité telle qu’il rende impossible le maintien du lien contractuel. L’appréciation dépend notamment de la durée du retard, des démarches entreprises par les parties et de l’attitude générale de l’employeur.
En l’espèce, la cour semble avoir considéré que le contexte particulier de l’affaire, marqué par des échanges entre les parties et une tentative de régularisation, atténuait la portée du manquement initial.
B. La régularisation en cours d’instance comme circonstance atténuante
L’employeur avait fait valoir qu’il avait régularisé la situation de la salariée avant l’audience de jugement. Cette argumentation trouve un écho favorable auprès de la cour qui prend en considération les efforts de l’employeur pour remédier aux carences constatées.
La jurisprudence admet que la régularisation des manquements puisse influer sur l’appréciation de leur gravité. La cour d’appel s’inscrit dans cette logique en refusant de prononcer la résiliation judiciaire malgré l’existence de manquements avérés. La lettre de l’employeur du 4 octobre 2018, intervenue trois jours après la mise en demeure de la salariée, témoignait d’une volonté de coopération et d’une prise en charge des difficultés signalées.
Cette approche pragmatique conduit à relativiser des manquements qui, pris isolément, auraient pu justifier une sanction plus sévère. Elle traduit également le souci des juridictions de ne pas systématiser la résiliation judiciaire dès lors que l’employeur démontre sa bonne foi.
II. Le régime de la résiliation judiciaire confronté à l’exigence de gravité
L’arrêt rappelle le critère déterminant de la gravité des manquements pour fonder une résiliation judiciaire (A), tout en mettant en lumière les limites de cette action lorsqu’un licenciement est intervenu postérieurement à la saisine (B).
A. L’exigence d’un manquement suffisamment grave
La résiliation judiciaire du contrat de travail ne peut être prononcée qu’en présence de manquements de l’employeur d’une gravité suffisante pour rendre impossible la poursuite du contrat. Cette condition, posée par une jurisprudence constante, implique une appréciation globale du comportement de l’employeur.
En l’espèce, la salariée invoquait plusieurs griefs : défaut d’organisation de la visite de reprise, retard dans la transmission des documents à l’organisme de prévoyance, absence de réponse à des demandes de bulletins de paie et irrégularités dans le versement des compléments de salaire. La cour refuse de voir dans ces manquements, même cumulés, une faute d’une gravité telle qu’elle empêcherait le maintien du contrat.
Cette solution peut surprendre au regard de la durée de l’inertie patronale et de ses conséquences sur la situation financière de la salariée. Le courrier du 1er octobre 2018 faisait état d’un « embarras financier conséquent » résultant des négligences de l’employeur. La cour privilégie cependant une lecture restrictive de la notion de gravité, conformément à la position de la Cour de cassation qui refuse de banaliser la résiliation judiciaire.
B. L’articulation avec le licenciement postérieur
La particularité de l’espèce tient à ce que la salariée a été licenciée pour inaptitude le 12 novembre 2019, postérieurement à sa saisine du conseil de prud’hommes le 11 juin 2019. Lorsque le juge est saisi d’une demande de résiliation judiciaire et qu’un licenciement intervient ultérieurement, il doit d’abord statuer sur la demande de résiliation. Si celle-ci est fondée, elle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse à la date de son prononcé. Dans le cas contraire, le juge examine la validité du licenciement.
En rejetant la demande de résiliation judiciaire, la cour laisse subsister le licenciement pour inaptitude prononcé par l’employeur. Ce licenciement, fondé sur l’avis du médecin du travail constatant que « le maintien dans un emploi serait gravement préjudiciable à la santé » de la salariée, n’est pas contesté en tant que tel.
La décision illustre ainsi la difficulté pour le salarié d’obtenir la requalification de la rupture lorsque les manquements invoqués, bien que réels, n’atteignent pas le seuil de gravité requis. Elle rappelle que la résiliation judiciaire demeure une mesure exceptionnelle, réservée aux situations où le comportement de l’employeur a rendu véritablement impossible la poursuite de la relation de travail.